L’homme « marmotte » qui s’était enfermé 30 jours sous 30 tonnes de neige

30 jours, 30 nuits, sous 30 tonnes de neige !

Il faut être fou pour avoir cette idée ? Un peu. Ce qui était le cascadeur Bruno Chalumeau. Voilà comment à l’Alpe d’Huez, à la fin de l’hiver 1981, les touristes constatèrent qu’il y avait un drôle de tas de neige dans la station iséroise… Dessous, dans sa voiture, un homme tentait de réussir son pari.

A quoi ça ressemble la vie de marmotte version motorisée ?

« Je ne recommencerai jamais ! »

Ce 1er  avril 1981, un homme sort de sa voiture à l’Alpe d’Huez et il le dit cash : « C’était atroce ! » À ce point ? À ce point.Sa Fiat Ritmo vient d’être dégagée par une pelleteuse de la station. Elle était enfouie sous la neige, avec son conducteur dedans.

1er avril 1981. Archives Le Dauphiné Libéré / Alpe d Huez
1er avril 1981. Archives Le Dauphiné Libéré / Alpe d Huez

Le résultat d’une bêtise ? D’une avalanche ? Vous n’y êtes pas. L’homme qui titube en sortant du véhicule et s’exprime ainsi s’était volontairement mis dans cette situation. Et cela un mois auparavant !Un mois dans sa voiture enfouie sous des tonnes de neige. Il faut être fou ? Non, cascadeur.

Un passif de tête brulée

Retour en arrière. Le héros de l’histoire s’appelle Bruno Chalumeau. Son nom vous dit quelque chose ? Normal. Depuis la fin des années 70 il fait partie de ces cascadeurs qui multiplient les exploits les plus fous. Frank Valverde, Alain Prieur, lui et d’autres ont une imagination débordante et surtout peur de rien.

En cet hiver 1981 Bruno Chalumeau n’en est donc pas à son coup d’essai, notamment en Isère. Le 28 octobre 1973 par exemple, à Voiron 5000 habitants les yeux écarquillés l’avaient vu sauter du 3e étage d’un bâtiment avec sa voiture. Genre James Bond.

25 mai 1972. Archives Le Dauphiné Libéré/Alpe d Huez
25 mai 1972. Archives Le Dauphiné Libéré/Alpe d Huez

Au volant de son véhicule Bruno Chalumeau avait appuyé sur l’accélérateur, traversé une baie vitrée, fait un bond d’une dizaine de mètres avant de s’écraser sur des automobiles placées dans la rue comme un “tapis”. Trop facile, même pas peur !

Voilà, vous avez une idée du personnage…

Une nouvelle idée… originale

En cet hiver 1981, une nouvelle idée lui est venue à l’esprit. Puisqu’il adore les voitures, et s’il restait à l’intérieur d’une d’entre elles un mois ? Une sorte d’hibernation. Mais comme une marmotte, lui aussi pourrait avoir plein de neige au-dessus de sa tête.

Soyons fous, 30 tonnes ! Il s’en amuse déjà. Et le lieu de l’expérience est tout trouvé : à l’Alpe d’Huez on sera ravi d’organiser ce genre d’animation… 30 jours, 30 nuits, sous 30 tonnes de neige, pari lancé !

Un lancement en grande pompe

Le lundi 2 mars, l’idée loufoque de Bruno Chalumeau devient réalité. À 16 h 30, sous les yeux de dizaines de touristes, voilà notre homme qui s’assoit dans sa voiture, une Fiat Ritmo aménagée pour l’occasion.

Un dernier signe de la main, et ça y est bulldozers et fraiseuses entrent en action. Sous les yeux d’un huissier de justice venu de Vizille, on recouvre le cascadeur et sa voiture de neige.

Une marmotte ou un cobaye ?

Au-delà de “l’exploit”, on en profitera pour faire des expériences. Vêtements protecteurs innovants, aliments, médicaments, Chalumeau sera un cobaye. Sa voiture aussi. Résistance au froid, au poids… elle sera tout autant surveillée que lui.

Désormais dans l’Alpe d’Huez trône donc un tas de neige de plusieurs mètres de haut. “Tanière de marmotte” moderne, puisque Chalumeau a le téléphone et une caméra qui le filme…

Avril 1981. Archives Le Dauphiné Libéré / Alpe d Huez
Avril 1981. Archives Le Dauphiné Libéré / Alpe d Huez

Un début d’expérience idéal

Au bout de deux jours, la presse prend déjà de ses nouvelles. Comment va “l’enneigé volontaire” ? Très bien, merci, selon son équipe. Son moral est excellent.

Côté santé, son rythme cardiaque est à 66 pulsations minutes. A-t-il froid dans ce véhicule où il fait un petit 3 °C ? Pas trop, ses sous-vêtements en polyester spécial et sa combinaison en thinsulate remplissent leur rôle pour l’instant. La seule chose, c’est qu’il ne dort pas très bien, mais bon, on ne s’improvise pas marmotte en 48 heures.

Un mode de vie très spécial 

Au bout d’une semaine, le journaliste du Dauphiné Libéré remonte à l’Alpe d’Huez. Alors l’enneigé ? Toujours heureux ? Cette fois le reporter en saura plus, dans l’estafette occupée par l’équipe du cascadeur, il peut le voir sur deux écrans tout en conversant avec lui par téléphone.

« Ça se passe mieux que je ne le prévoyais » note Bruno Chalumeau. Il vient de se réveiller et a pris son petit-déjeuner. Devant la caméra il montre la boîte qu’il vient de vider. « C’est une préparation médicamenteuse qui contient des lipides, protéines et vitamines ».

Appétissant…

Avril 1981. Archives Le Dauphiné Libéré / Alpe d Huez
Avril 1981. Archives Le Dauphiné Libéré / Alpe d Huez

C’est que, si vous vous enfermez dans une voiture sous des tonnes de neige, vous n’avez évidemment pas de toilettes… D’où un régime spécial, ressemblant à celui utilisé pour les comateux, prévu pour deux impératifs : pas de selles et le droit d’uriner une fois par jour.

L’expérience n’étant pas loin de la punition, Chalumeau ne boit pas non plus. « Je possède dans la voiture 24 bouteilles d’eau minérale mais c’est pour faire un peu de toilette et pour le cas où je contracterais la grippe » explique-t-il.

Les jours passent et l’inconfort arrive

Lui, pour l’heure, ne regrette rien. Pourtant plus il parle, moins son sort fait envie… Le thermomètre varie entre -2° et 7 °C et l’humidité « est assez élevée ». Mais ça va aller mieux, paraît-il, on vient de construire un caisson pour modifier un peu le tas de neige et le rendre plus “agréable”.

Il ne peut plus fumer de cigarette, mais ça ne lui manque pas trop. En revanche rester tout le temps assis ou couché, finalement ce n’est pas le rêve. L’Homme est fait pour la station debout, pas de doute.

Et puis dormir sur une couchette de 50 cm de large, c’est un peu juste. Bruno Chalumeau roupille de 12 à 14 heures par jour mais il commence à faire de plus en plus des cauchemars.

Avril 1981. Archives Le Dauphiné Libéré/Alpe d Huez
Avril 1981. Archives Le Dauphiné Libéré/Alpe d Huez

Les premiers jours il s’enfermait complètement dans son duvet, bien au chaud. «Maintenant je suis obligé de laisser mes bras dehors » avoue-t-il, parce qu’il angoisse : « J’ai l’impression qu’en cas de coup dur, je m’en sortirai plus facilement ». L’équipe médicale lui a donc ordonné de prendre quelques calmants. Mais il le sait, « dans les prochains jours, ces périodes de stress risquent d’être plus fréquentes ».

Attendre et tenir bon.

Et au fait, la voiture dans tout ça ? Comment va-t-elle ? Chalumeau en prend soin. « Tous les jours je tire sur le démarreur. Chaque fois le moteur part au quart de tour ! »

Avril 1981. Archives Le Dauphiné Libéré / Alpe d Huez
Avril 1981. Archives Le Dauphiné Libéré / Alpe d Huez

Ainsi se déroule le mois de mars 1981 à l’Alpe d’Huez. Tous les jours les spécialistes scrutent leur cobaye, tandis que les touristes passent à côté d’un gros tas de neige sans toujours comprendre pourquoi…

À la radio, les auditeurs de RTL entendent régulièrement Chalumeau raconter son aventure. Alerte, du 15e  au 21e jour, l’expérience est à deux doigts de mal tourner. Chalumeau attrape une bronchite et « en bave ».

« J’ai hâte de sortir »

Et puis arrive la fin du mois. Le cascadeur va tenir son pari ! La veille du grand jour, le 31 mars, le reporter du Dauphiné Libéré prend des nouvelles de la “marmotte” une dernière fois avant son “réveil”. « J’ai hâte de sortir » lance Chalumeau.

C’est qu’au cours de la dernière semaine, il s’est encore fait une frayeur: « À cause du redoux, la voiture s’est retrouvée inondée ». « Le démarreur était noyé, j’ai paré au plus pressé en épongeant tant bien que mal l’eau qui se trouvait dans l’habitacle. Ça a duré toute la nuit. Par chance, ma combinaison spéciale m’a protégé efficacement. » Le lendemain, le moteur tournait à nouveau normalement.

Mais le cascadeur a eu assez peur comme ça. Désormais, à 24 heures de sa sortie, il ne rêve que d’une chose, «prendre un bain! » Et manger autre chose que les 114 boîtes d’éléments diététiques qu’il a avalées. Encore faudra-t-il sortir. Deux choses l’inquiètent un peu : le retour à la lumière et marcher.

1er avril, 16h55 : exploit accompli !

1er avril 1981. Archives Le Dauphiné Libéré / Alpe d Huez
1er avril 1981. Archives Le Dauphiné Libéré / Alpe d Huez

Entrée en action depuis plusieurs minutes, une pelleteuse vient de dégager en grande partie le tas de neige. Encore quelques coups de pelles, à la main, et Bruno Chalumeau met en marche le moteur de la Fiat.

La voiture fait quelques mètres et le cascadeur en descend en titubant. Lunettes noires sur les yeux pour se protéger de la lumière, il est blême. Sous les applaudissements, il sourit quand même. Mais son verdict est sans appel :

« Je suis content d’avoir réussi mais je ne recommencerai jamais ! C’était atroce ! » Ne s’improvise pas marmotte qui veut…

1er avril 1981. Archives Le Dauphiné Libéré / Alpe d Huez
1er avril 1981. Archives Le Dauphiné Libéré / Alpe d Huez

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