Après plus de 60 jours de pédalage intensif à travers 14 pays, Jean Rouaux vient de prouver que le voyage prime sur la destination. Parti de Chamonix le 10 août dernier, ce jeune de 22 ans a relié la capitale de l’alpinisme au Népal presque à la seule force de ces cuisses.
L’équivalent de 4 Tours de France
Et bien qu’il soit maintenant rentré chez lui, le grimpeur devenu cycliste après un premier périple jusqu’au cap Nord , ne sait toujours pas si c’est son courage ou son insouciance qui l’a poussé à vouloir se rendre au pied de l’Ama Dablam à bicyclette. Une chose est sûre, cette esthétique montagne culminant à 6 812 m le faisait rêver. « Ce sommet est un bijou qui se méritait trop à mes yeux pour être approché via un vol long-courrier », confie l’aventurier engagé ayant préféré parcourir l’équivalent de quatre Tours de France pour enfin apercevoir ce sublime pic de ses yeux.
Une démarche éthique allant à l’opposé des expéditions commerciales pullulant au pays de l’oxygène rare. Mais au-delà du geste écolo, Jean Rouaux voulait se lancer dans une expérience solitaire unique. Et il a été servi ! En Italie, la chaleur de l’été lui apprend qu’il peut boire 10 litres d’eau par jour et toujours avoir soif. En Bulgarie, il esquive les poids lourds qui slaloment sur des routes pleines de nids-de-poule. En Asie centrale ses nerfs sont mis à rude épreuve par dix jours de vent de face. Témoin d’une extrême pauvreté au Tadjikistan, il se résigne à laisser les barres énergétiques qui lui restent à des jeunes plus affamés que lui. Il se heurte aussi parfois à des contrôles douaniers très scrupuleux, notamment en Chine où l’on ne comprend pas trop les intentions de ce jeune homme que des Pakistanais, n’ayant jamais vu d’étranger de leur vie, ont pris quelques jours plus tôt pour un Afghan…
Une moyenne de 180 km par jour
Des anecdotes qui font le sel de cette itinérance, résumée quotidiennement par le moniteur d’escalade à travers de courtes vidéos publiées quand il avait accès à Internet, avant de s’effondrer, le plus souvent, dans sa tente. Parfois, le gamin pétillant a aussi noué de belles amitiés avec des gens prêts à lui offrir le gîte ou le couvert.
Avec une moyenne de 180 km par jour, dans des territoires vides de touristes, il eut le temps de se sentir petit face à l’immensité des paysages traversés. Arrivé au Népal, le nomade aux sacoches optimisées est choqué par les énormes valises transportées par des porteurs.
« Alors que j’ai voyagé deux mois, j’ai eu l’impression d’avoir pris trop d’affaires. Je n’imagine même pas ce que les clients de treks peuvent emporter d’inutile avec eux », s’étonne celui que certains ont pris pour un extraterrestre quand ils le croisèrent sur sa selle à près de 4 000 m. Après deux mois passés derrière le guidon, son corps fut en tout cas aussi déboussolé que celui d’un astronaute revenant sur Terre.
« Il n’y a pas eu d’heureux rebondissement »
Une fois son fidèle destrier confié à l’agence népalaise qui s’occupait de son permis d’ascension, le grimpeur entame sa marche d’acclimatation en direction du camp de base de l’Ama Dablam. Malade à cause d’une intoxication alimentaire, son état de santé se dégrade à mesure qu’il gagne en altitude. Il s’arrête à un centre médical où la prise en charge a un côté risible.
« On a pris ma tension sans me faire enlever ma doudoune », sourit celui qui a dû se résigner à faire demi-tour pour se faire soigner à coups d’antibiotiques. « Je ne laisserai pas la place à la frustration et l’égocentrisme dicter mon raisonnement, un seul choix s’offre à moi : accepter de redescendre humblement », écrit-il alors à ses proches.
Sérieusement déshydraté, l’increvable sportif a pour interdiction de retourner tout de suite en altitude. Il n’a plus le temps d’à la fois récupérer, puis de tenter l’ascension. Il doit renoncer à l’objectif final de cette épopée. « J’aurais pu tenter de me remettre sur pied et de prendre un hélico pour ne pas refaire la longue marche d’approche, mais c’était contre toute l’éthique de mon périple », explique-t-il en paix avec sa décision. « Il n’y a pas eu d’heureux rebondissement, simplement la réalité d’un voyage simple et modeste. Et de toute façon, que vaut la gloire de se tenir en haut de cette montagne, face à la richesse d’une aventure à travers le monde pour la rejoindre ? »
Article issu du Dauphiné Libéré