« Je n’ai en mémoire qu’une image : le vide » : Vadim Druelle chute de 150 mètres

« J’ai encore grillé un joker. À mesure que mon corps revit, je comprends que j’ai évité le pire. » Comme cette fois sous le mont Blanc où il allait cueillir un cristal sous la mitraille des chutes de pierres. Ou cette autre, sous la dent Blanche, lorsqu’un rocher a stoppé sa chute.

De retour dans son chalet d’alpage près de Morzine, au nord des Alpes, le Haut-Savoyard tente de décrypter le déterminisme auquel il doit de pouvoir raconter aujourd’hui ce qui lui est arrivé à l’Annapurna (8 091 m).

« Vadim a une bonne étoile » souffle sa mère, Véronique, qui connaît trop la montagne, pour savoir qu’on ne bride pas la passion d’un fils de 23 ans à qui on a refilé le virus des hauteurs. Elle a eu très peur quand, à 7 heures du matin, elle a reçu le coup de fil et ces informations du Népal.

Une histoire qui débute sur l’Annapurna

Ce 30 mars, Vadim Druelle est au camp 3 (6400 m), sommet de sa phase d’acclimatation, entamée trois jours plus tôt. Il y a passé une nuit médiocre, et s’apprête à redescendre pour se reposer au pied de la montagne. « Une journée pas comme les autres, je me sentais un peu moins bien. »

Il se bat avec le vent, pour démonter sa tente. Les quelques personnes qui ont passé la nuit dans cette zone, sont déjà devant, il est le dernier à lever le camp pour entreprendre cette section, la plus dangereuse du versant nord. « Il y a des séracs, gros morceaux de glace menaçants. C’est un entonnoir dans lequel s’engouffrent les avalanches. » Quelques jours plus tard l’une de ces furies emportera deux sherpas. « On ne traîne pas dans ce passage qui oblige à limiter l’acclimatation. »

Photo Flavie Kazmierczac
Photo Flavie Kazmierczac

« J’avais plus de baudrier, plus de casque, un gant en moins et ma montre arrachée. »

Vadim entame sa descente avec concentration. Il lui faut tirer des rappels en zone glaciaire, un sac lourd sur les épaules. « D’un coup, c’est le trou noir. Je n’ai en mémoire qu’une image : le vide. Je me revois en train de tomber, c’était très raide. » Les heures qui suivent reviennent sous forme de flashs. D’abord ce premier bon coup du sort, pour ce soliste, habitué à gravir les géants himalayens sans assistance : la présence d’un bon samaritain en la personne du Pakistanais Sirbaz, le dernier du groupe qui le précède dans la descente.

Seul témoin de sa chute. Pour une raison inexpliquée, le Français a dévissé de 150 mètres, pour atterrir à 20 mètres de fond dans une crevasse qui, sans Sirbaz, aurait été son tombeau. « J’avais plus de baudrier, plus de casque, un gant en moins et ma montre arrachée. »

Son sauveur appelle en renfort les sherpas en aval. « C’est grâce à son courage et sa détermination qu’aujourd’hui je peux témoigner. » Le Pakistanais et ses compagnons népalais le hissent à partir de vieilles cordes trouvées sur place et le sortent du piège. « Ils m’ont remis ma combinaison en duvet, puis enroulé dans une toile. Et il a fallu attendre quatre heures l’arrivée de l’hélicoptère. »

Un patient miraculé

Une semaine plus tard, quand Vadim est transféré près de chez lui au centre hospitalier Alpes Léman, à Annemasse, le diagnostic tient de la divine surprise. « Je vais garder mes doigts. » Ce qui pour une gelure de stade 4, le plus grave, défie les lois de la physiologie. Ses pognes de tailleur de pierres, à l’épreuve des ardoisières, étaient-elles mieux armées que celles du commun des mortels ?

Après une semaine en neurologie, Vadim est sorti mardi soir. « Le plus surprenant, c’est que vu l’ampleur de la chute je m’en tire avec aucune fracture. » Tous les jours, il descend au cabinet de Morzine où une infirmière lui change l’énorme patte de dinosaure qui lui sert de pansement.

« Je me donne un an et demi pour repartir »

On le sent transformé par l’expérience : « Je n’étais pas conscient, ce qui m’a sauvé. Comme si le cerveau avait coupé ce que je ne voulais pas voir. » Remis en cause, ses rêves de gravir les quatorze 8000 à sa façon, léger, sans oxygène, d’une traite, là où les expéditions commerciales font le siège de la montagne sur plusieurs jours ?

« Je vais prendre plus le temps pour m’entraîner et me donne un an et demi pour repartir ». Quitte à abandonner la solitude, un de ses critères d’ascension, lui, le spécialiste des chronos, en moins de 24 heures, au Manaslu, au Kangchenjunga, au Nanga Parbat ou sur les deux Gasherbum. « À un moment, tu te dis que la montagne on la fait à deux. Y aller en solitaire, c’est peut-être la roulette russe. » Seulement, des himalayistes de son espèce, ça ne court pas les versants, lui l’ancien champion de ski alpinisme, vainqueur de la Pierra Menta chez les juniors.

Article issu du Dauphiné Libéré

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