« On réalise une étude depuis 1990, avec l’idée de comprendre la vie sociale et biologique des marmottes. Elles représentent une espèce modèle pour comprendre comment les mammifères vivent en groupe, ce qui n’est pas d’une évidence première », détaille Christophe Bonenfant, chargé de recherches au CNRS.
Détecter les prédateurs, élever les jeunes pousses à plusieurs, ou encore partager les tâches au sein de la famille, constitue les avantages indéniables de la vie collective. A contrario, le partage des ressources alimentaires, les luttes de pouvoirs, et parfois la transmission de maladies incitent plutôt à la jouer en solo. « Une partie de notre mission consiste à se positionner à un endroit, observer avec les jumelles et décrire sur un carnet les caractéristiques d’une famille dans un territoire », ajoute une des cinq stagiaires, Aure Hirigoyen.
« Il nous faut une base de données sur la génétique de ces rongeurs »
L’équipe de chercheurs a par exemple observé que les marmottes récupèrent d’anciens terriers, en creusent elle-même et pensent à des terriers de cachette, en cas de menace imminente. D’ailleurs, lorsqu’on les observe de plus près, les marmottes ne sifflent pas mais ouvrent grand la bouche comme l’aboiement d’un chien. Et pourtant cette observation passive et descriptive ne suffit plus. « On ne peut pas faire de science moderne en s’asseyant au milieu des prés. Il nous faut une base de données sur la génétique de ces rongeurs. »
À l’aide de cages à double entrée, avec comme appât de la mélasse et des granulés pour chevaux, les chercheurs réussissent à les attraper. Le temps est compté pour réduire le stress de l’animal. Samuel Ginot est alerté par radio, qu’une femelle est prête à être analysée. Dans son sac à dos, il sort un transpondeur qui identifie l’animal grâce à une puce, et son matériel de pesée. Les marmottons atteignent 500 grammes tandis que les adultes peuvent grimper jusqu’à cinq kilos.
Mignonne, douce et vedette des plus jeunes, la marmotte jouit d’une belle réputation. Et pourtant, la réalité est bien différente. « Les tensions permanentes à l’intérieur et à l’extérieur des familles ont pour conséquence l’infanticide », explique Christophe Bonenfant.
Une famille de marmottes se compose d’un couple de dominants, des subordonnés entre deux et quatre ans, qui ont interdiction de se reproduire, mais aussi des “yearlings” âgés d’un an, et de nouveau-nés. Une répartition que l’on retrouve chez les suricates et les lions. Mais le dérèglement climatique rend instable cette structure familiale.
« Les subordonnés participent à la survie des plus jeunes en hibernation. Ils se réveillent plus souvent que la femelle pour réchauffer l’hibernaculum, la salle où les marmottes passent ensemble l’hiver », éclaire le scientifique.
Cette économie d’énergie permettait aux marmottons d’avoir 80 % de survie contre 50 % sans l’aide des subordonnés.
Problème, le dérèglement climatique a annulé le gain substantiel des subordonnés. Ce qui les pousse à aller voir si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs, pour décrocher un statut de dominant.
Les aventuriers partent très tôt de leur famille, avec l’objectif d’évincer les marmottes au pouvoir. Deux cas de figure se présentent : le “roi” du territoire réussit à se défendre et faire fuir les assaillants, soit il est vaincu par la jeunesse en quête d’émancipation.
À l’aide de leurs griffes et de leurs dents, les nouveaux princes n’hésitent pas à tuer la portée de l’année, héritière naturelle du “trône”. « Il y a toujours quelqu’un qui veut être le calife à la place du calife », ajoute le chargé de recherches au CNRS.
Déterminer le régime alimentaire des marmottes
Le jeune chercheur a apporté sa petite touche à l’étude, en mesurant également la puissance de leur morsure. « Ça permet d’analyser l’ossature du crâne, les conséquences physiques de l’hibernation et même les différences de caractères entre individus », argumente-t-il.
Plus étonnant encore, les défections de marmottes passent au radar. Une technique qui permet de scruter la présence de parasites et de déterminer le régime alimentaire des marmottes. Comme sa voisine tarine, la marmotte broute essentiellement de l’herbe mais peut aussi se laisser tenter par des os et des colportes. D’autres analyses complémentaires ont permis de constater que la marmotte en tant qu’espèce monogame, tend à se diversifier, avec 30 % des portées qui possèdent deux pères.
Une fois collectés, tous les prélèvements seront emmenés au laboratoire de biométrie et biologie évolutive de l’unité de recherche CNRS-Université Lyon 1.
« Les marmottes dépensent plus d’énergie pour maintenir leur température d’hibernation »
La petite boule de poils contribue à elle seule, à l’aération des sols, à l’apparition de fourmilières en dispersant les graines qu’elle mange, et à la production de matière organique remplie d’azote grâce à ses excréments. Cette contribution à l’équilibre de la chaîne alimentaire, est impactée par les effets du dérèglement climatique.
« La neige étant moins épaisse et moins présente dans la durée d’un hiver, les marmottes dépensent plus d’énergie pour maintenir leur température d’hibernation. » Le poids de naissance des marmottons a diminué de 15 %, réduisant l’espérance de vie des plus jeunes.
Parfois les modifications comportementales sont infimes mais en disent long sur la perturbation temporaire de la faune locale. Cette année, les marmottons sont sortis du terrier le 19 juin, soit quatre jours plus tard que la norme. La faute à de fortes pluies et à des températures basses, pour la saison. Les jeunes pousses sont donc restées au terrier, dans l’attente des premières chaleurs.
« Les parasites risquent de proliférer avec la hausse des températures »
Alors que très peu de parasites sont détectés sur les marmottes du vallon de la Grande Sassière, la donne pourrait changer avec le réchauffement climatique. « Lors de l’hibernation, la température du corps de la marmotte atteint quatre degrés, des conditions peu adéquates pour les parasites. Par contre, les parasites risquent de proliférer avec la hausse des températures et des printemps de plus en plus précoces ».
Malgré le changement climatique et la chasse que subit la marmotte, l’espèce n’est pour l’heure, pas menacée d’extinction.
Depuis 1990, les scientifiques du laboratoire de biométrie et biologie évolutive (Université Lyon 1/CNRS) étudient minutieusement le comportement des marmottes du vallon de la Grande Sassière à Tignes.
Les chercheurs, techniciens de terrains et de jeunes stagiaires, suivent une trentaine de territoires de marmottes, soit plus de 250 individus sur un kilomètre et demi.
L’étude a duré deux mois, de la mi-mai jusqu’au vendredi 12 juillet. Le CNRS par le biais de l’Institut national de l’écologie et de l’environnement (INEE), le parc de la Vanoise, et des financeurs qui ont répondu aux appels à projets de l’Agence nationale pour la recherche (ANR), participent pécuniairement à cette observation in situ.
Le coût serait inférieur à 8 000 € par an (hors salaires) selon Christophe Bonenfant, chargé de recherche au CNRS.
Article issu du Dauphiné Libéré