Dans les Alpes, des vendanges héroïques sur des pentes à plus de 30%

« Minéral et vertical ». Il a le sens de la formule, Hervé Grosjean, pour qualifier les vins de son pays alpin. Le garçon est de la veine de ces héros au service de Bacchus, plus que de Zeus, pour qui le mot foudre sonne comme un viatique et non une plaie divine.

Une viticulture héroïque

Dans une Italie où aucune région n’est pas viticole, la sienne est la plus petite mais la plus haute, culminant entre mont Blanc, Cervin, mont Rose et Grand Paradis. En Val d’Aoste, voilà trois générations que les Grosjean cultivent un vignoble de 18 hectares qui s’élève entre 300 m, à Donnas, limite du Piémont, où le raisin pousse sur de vertigineuses terrasses, traversées par un monorail pour évacuer les grappes, et 900 m sur les hauteurs de Quart qui domine la capitale régionale.

C’est bien à Aoste, qu’a été implanté le très sérieux Centre d’études et de recherche de la viticulture de montagne et en forte pente. En Europe à peine 5 % des vignobles correspondent à ses canons : plus de 30 % d’inclinaison, 500 m d’altitude minimum. Un particularisme qui inclut les îles viticoles telle Elbe, théorisé sous le nom pompeux de viticulture héroïque.

« Un truc de journalistes » sourit Vincent Grosjean, l’oncle d’Hervé à la tête du syndicat qui représente l’appellation Vallée d’Aoste, sept terroirs, quelque 500 viticulteurs et une production annuelle de deux millions de bouteilles. Lui parle modestement de culture montagnarde.

Ici le vin est blanc à 99 %

« De la taille aux vendanges, tout se fait à la main et les coûts d’exploitations des sols sont bien plus élevés avec des parcelles difficiles d’accès, souvent tenues par des murs de pierre ». Là où le coût moyen en plaine est de 150 heures de travail/hectare, le ratio atteint les 800 heures à Morgex et La Salle, en haut de la vallée, où les ceps de Prié blanc, ultra-autochtones, de la hauteur d’un homme, composent le plus haut vignoble d’Europe culminant à 1200 m d’altitude avec les parcelles de la Piagne. Ce domaine de 30 hectares dont 18 gérés par la cave du Mont-Blanc, est délimité par le plus grand couloir d’avalanche de la vallée où une coulée a tué une personne dans sa maison en 1999.

Les éboulements de granit tiennent un sol de caractère, vestige de moraine glaciaire, où les racines vont puiser au plus profond leur vitalité. Ici le vin est blanc à 99 %. À ces hauteurs, le rouge n’a guère le temps d’arriver à maturité avant l’arrivée du général hiver.

« Glacier » une cuvée vinifiée à 2000 m d’altitude

Plus bas, à la cave des Grosjean, le pinot noir et les cépages autochtones, le torrette, ou petit rouge, tanique et tardif, le fumin, le cornalin et le picotendro (nébiolo) ont fait le succès de la maison qui s’exporte dans 94 pays. À entendre Hervé, la situation est bénie des dieux. « On doit aux sommets de 4000 mètres qui nous entourent, un climat sec et aéré. Et à nos hauteurs, des températures nocturnes qui limitent le stress de la plante par canicule ». C’est comme si les cimes faisaient paratonnerre. Ici moins d’orages, et de grêle. L’exposition sud capte le moindre rayon du soleil et limite le gel. En cas de sécheresse, l’eau de fonte des glaces et neiges vient à la rescousse.

Si le vin est devenu religion, le clergé y est pour beaucoup en cette terre jadis occupée par le royaume de Bourgogne. Après-guerre, le père Joseph Vaudan, chanoine de l’hospice du Grand Saint-Bernard, célèbre pour ses chiens sauveteurs, importe le célèbre cépage suisse : la petite arvine. Et le savoir-faire viticole qui va avec.

Depuis, Delphino le grand-père et les générations suivantes de Grosjean, sont passés par son Institut agricole régional qui a développé la viticulture de montagne. En haut, à Morgex, dans les années 50, le curé Alexandre Bougeat donne au blanc local son essor. La cave du Mont Blanc s’honore de son pétillant, estampillé “Glacier” qui représente la moitié de la production. Une cuvée limitée est même vinifiée à 2000 m d’altitude en collaboration avec les guides de haute montagne de Courmayeur à la station du téléphériques SkyWay Monte Bianco depuis 2015.

Le vin des glaces est en voie de disparition

« La différence de pression occasionne une fermentation plus lente pour une bulle plus fine » assure Nicolas Bovard, jeune président de la cave. Quelques flacons sont aussi stockés à 3400 m, à l’étage “glaciaire”, au sommet de la pointe Helbronner, pour mesurer les effets d’un vieillissement à retardement.

En ces hautes sphères aussi les effets du climat se font ressentir. « Nos rouges arrivent plus vite à maturité, on parvient à de meilleurs taux d’alcool » estime Hervé Grojean, quand ses aïeuls avaient du mal à atteindre les 12°. « Le blanc de Morgex a perdu en acidité, gagné en structure » confirme Nicolas Bovard. Naguère, Vincent Grosjean se souvient avoir vendangé le 12 novembre. Désormais, le coup de feu est donné un mois plus tôt. Et même en août l’an dernier à Morgex, où l’autre grande curiosité, le vin des glaces est en voie de disparition. Nicolas Bovard a la nostalgie de ces récoltes aux premières neiges, le grain caparaçonné par le givre. « On vendangeait jusqu’à début décembre pour produire un blanc liquoreux, un peu comme le sauternes ». Las, la dernière cuvée en 2020 s’est limitée à 700 bouteilles. « On en sortait 7 000 en 2008… »

Les hauteurs ne préservent pas totalement des soubresauts du climat. Sur ce versant des Alpes, 2024 est du même acabit que dans le vignoble savoyard, entre un quart et 40 % de volumes en moins. « Une année de merde, avec six mois de pluies et des maladies nous obligeant à travailler le double ». Pas de quoi ébranler les 22 vendangeurs, fidèles au poste pour 25 jours d’un effort qui sera réparti sur deux jusqu’à mi-octobre, échéance qui rappelle celles de jadis. Et à défaut de quantité, la qualité devrait être au rendez-vous.

Article issu du Dauphiné Libéré

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