Emmanuel Renaut l’a imposé à sa carte : l’histoire de la renaissance du coteau de Cevins

Il est des villages au nom prédestiné. À Cevins, 800 âmes, la vigne a longtemps fait partie du patrimoine. Dans les années 1930, d’après le géographe Raoul Blanchard, 9000 hectolitres jaillissaient des tonneaux de basse Tarentaise. Chaque famille produisait sa consommation et façonnait un paysage associant le fond de vallée à la carte postale des beaux sommets.

L’or n’était pas encore blanc, mais tirait au rouge. Qu’est-ce qui a tué la vigne locale ? Le phylloxéra, l’essor de la houille blanche, la déprise agricole ? « La vigne est morte de ne plus être aimée » conclura le viticulteur Michel Grisard, artisan de sa résurrection. Auparavant, les jours de bouchons, Cevins, en bord de voie rapide, peinait à attirer le regard des automobilistes.

« Le climat était tendu. Il fallait un projet qui rassemble »

Ce décor, de sa terrasse, Denis Perroux, l’ancien maire, n’est pas peu fier d’avoir contribué à le faire renaître. Détournant l’attention de millions de touristes des stations de ski vers sa commune, à 400 m d’altitude. En 1995, quand cet humaniste est élu à sa tête, le village est divisé. Dire que l’ambiance rappelait Don Camillo serait exagéré. Mais le vignoble avait sombré dans l’oubli. On avait laissé la nature faire à sa guise. Ronces, broussailles et aulnes avaient colonisé le coteau, les murs de pierre et les sartots, celliers traditionnels, tombaient en ruine. Au sommet du calvaire, Notre-Dame-des-Neiges, la Sainte Vierge, ne croyait plus au miracle.

« Le climat était tendu. Il fallait un projet qui rassemble par-delà les convictions politiques ou religieuses », se souvient l’ex édile, modéré. Signe d’œcuménisme, l’idée lui est soufflée par une association locale, Vivre en Tarentaise, dont certains membres étaient de ses opposants : la vigne en sommeil était le dénominateur commun des Cevinois : « Alors, on a réuni tout le monde à la salle des fêtes ».

Faire revivre ce coteau, au pied de la colline de Notre-Dame éplorée, ne fut pas une mince affaire. Comment rassembler 450 parcelles – 12 m² pour la plus petite – détenues par 250 propriétaires ? Et le miracle advint, la quasi-totalité a accepté de céder son bout de terre à la commune ou de former un groupement foncier viticole. En tout six hectares pour qu’un vigneron plante et travaille la vigne. Le notaire a failli s’arracher les cheveux, dans cette pente abrupte, des bouts de ficelle pour délimiter les lopins.

Denis Perroux. Photo Le DL/Louise Raymond
Denis Perroux. Photo Le DL/Louise Raymond

« Toute trace de désherbant excessif finit par déconnecter le cépage de son terroir »

Demeurait la grande question : faire du vin de qualité en ce versant, une gageure ? Pas tant que ça. « Le coteau est plein sud dans cette zone ouverte de la vallée. On est sur un terroir de schiste qui chauffe et permet des maturités suffisantes » explique Brice Omont, le patron de ce qui s’appelle désormais le Domaine des Ardoisières. À l’heure des vendanges, on contemple le résultat d’un quart de siècle de labeur et les fruits de la renaissance. Le domaine s’étend sur deux versants. Côté village, les blancs ; côté cluse, les rouges. « Toutes les parcelles ont été analysées avant d’être plantées » explique le vigneron qui a pris la succession du créateur, Michel Grisard, inspiré par les Italiens du Val d’Aoste. À l’époque, ce dernier était le pape du bio en Savoie. « Il avait compris que toute trace de désherbant excessif finit par déconnecter le cépage de son terroir ».

Dire qu’il y a 25 ans on les a snobés quand ils ont tenté d’intégrer l’appellation des Vins de Savoie. « Pourtant à l’époque, ils avaient encore la réputation de vins à raclette ». Qu’importe, les viticulteurs ont gardé leur modeste label de pays, vin des Allobroges. « Et aujourd’hui on n’a plus besoin du syndicat ». Les cuvées ont fait le reste exprimant, par leur nom autant que par leurs arômes, la minéralité du terroir et les cépages alpins : le Schiste, à base d’altesse, le Quartz, assemblage de jacquère, rousanne, mondeuse blanche et pinot gris et, pour les rouges, l’Améthyste, alliage de persan et de mondeuse.

Brice Omont. Photo Le DL/Louise Raymond
Brice Omont. Photo Le DL/Louise Raymond

« Quand il a eu sa troisième étoile, on m‘appelait d’Allemagne pour commander »

Le domaine des Ardoisières, sans grands moyens, s’est ainsi taillé une solide réputation. Et ses bouteilles ont fini sur la table des prestigieux étoilés des Savoie. « Les sommeliers sont devenus nos premiers ambassadeurs », se félicite le vigneron. Mention spéciale à Emmanuel Renaut, le chef de Megève qui l’a imposé à sa carte. « Quand il a eu sa troisième étoile, on m‘appelait d’Allemagne pour commander. » Aujourd’hui, l’écrivain et président de l’académie Goncourt, Philippe Claudel se damne pour le Quartz.

Et le domaine des Ardoisières s’est ouvert de nouveaux horizons s’étendant sur 24 hectares à Saint-Pierre-de-Soucy, Apremont ou Arbin, terroirs qui ont porté haut l’étendard des vins de Savoie. Brice Omont y produit l’Argile ou l’Érythrine. Et le climat actuel jouerait presque en faveur des vins savoyards. « Avec des heures d’ensoleillement en moins, notre région relativement froide, n’a pas le problème du sud où les degrés d’alcool montent en flèche. Et le delta qui nous manquait nous amène des équilibres meilleurs. » Mais au pied des montagnes où les températures s’inversent, il faut composer avec une autre menace : les gels tardifs.

« Or la végétation démarre un mois plus tôt qu’il y a 20 ans. Cette année, on est encore passé par plusieurs épisodes de stress, mais à la différence de 2021 et 2024, avec 80 % de récolte perdus, on s’en sort bien. Ce sera un beau millésime, digne des années en 5. » Reste la difficulté de travailler les vignes en pente : « On ne peut rien mécaniser, d’où des coûts de production élevés. C’est deux fois plus compliqué qu’à Arbin aux confins de la combe de Savoie. » Mais c’est aussi ça qui fait la beauté du vignoble qui attire le regard par son agencement et donne à ce fond de Tarentaise, où les usines ferment, des airs de théâtre de verdure.

Article issu du Dauphiné Libéré

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