« Des secrets engloutis » : 10 vérités méconnues sur le lac de Serre-Ponçon

Parfois, quand le niveau de l’eau baisse au cœur de l’été, quelques pierres réapparaissent, disjointes, rongées par le temps. C’est tout ce qu’il reste du vieux pont de Savines, englouti en 1961 sous les eaux du plus grand lac artificiel d’Europe occidentale.

À première vue, le lac de Serre-Ponçon semble avoir toujours été là, bordé de campings et de plages tranquilles, posé comme par enchantement entre les Alpes de Haute-Provence et les Hautes-Alpes.

Mais sous ses flots dorment deux villages rayés de la carte, des hectares de vergers disparus et les souvenirs d’un millier de personnes déplacées de force. Car ce lac n’a rien de naturel : il est le fruit d’un projet titanesque lancé il y a près de deux siècles. Un chantier hors normes, qui a bouleversé tout un territoire.

1. Un projet imaginé sous Napoléon III… et terminé sous de Gaulle

Si les pelleteuses ne sont entrées en action qu’en 1955, l’idée d’un barrage à Serre-Ponçon est bien plus ancienne. L’idée d’un barrage sur la Durance remonte aux année 1850, à la suite de crues dévastatrices.

Sous le Second Empire, les premières études hydrauliques sont lancées, mais la géologie du site rebute les ingénieurs : alluvions instables, failles sismiques et venues d’eaux chaudes à 60 °C compliquent tout espoir de construction.

Il faudra attendre plus d’un siècle et les progrès techniques de l’après-guerre pour que le projet prenne enfin forme.

Photo Archives LDL / Savines (Hautes-Alpes)  le 03 mai 1961
Photo Archives LDL / Savines (Hautes-Alpes) le 03 mai 1961

2. En béton à Embrun ? Non, en terre à Ubaye

À l’origine, les ingénieurs du projet (des « Ponts et Chaussées ») privilégient un site en amont d’Embrun. Mais les crues répétées de l’Ubaye et la forme naturelle du défilé de Serre-Ponçon finissent par convaincre les décideurs.

Sauf qu’il faut d’abord s’assurer que le sous-sol tienne. Les sondages révèlent alors une couche d’alluvions de 110 mètres. Pour fonder un barrage, il faudrait atteindre le socle rocheux… mission impossible sans technologies modernes. 

Faute de roche accessible, EDF abandonne l’idée d’un barrage en béton. Le choix se porte sur un barrage en terre compactée, selon des méthodes venues des États-Unis. Ce type d’ouvrage accepte mieux les mouvements sismiques et les déformations naturelles. Avec ses 124 mètres de haut et 630 mètres de long, il devient le plus grand barrage en terre d’Europe à sa mise en service.

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3. Un ouvrage deux fois plus haut que prévu

Le barrage initialement envisagé au XIXe siècle n’aurait fait que 50 mètres de haut. Celui construit cent ans plus tard mesure 124 mètres.

Conséquence de quoi, la retenue créée par l’ouvrage actuel a noyé toute la confluence de l’Ubaye et de la Durance, jusqu’à engloutir les villages entiers de Savines et d’Ubaye.

Le vieux Savines, qui aurait été épargné par un barrage plus modeste, dort aujourd’hui sous les flots.

4. L’une des plus grandes expropriations rurales de France

Entre 1955 et 1959, plus de 1 100 personnes sont contraintes de quitter leur foyer, dont 800 rien qu’à Savines, village rasé pour faire place au lac.

Trois cents agriculteurs, des dizaines d’ouvriers, de commerçants, d’enseignants ou de professions libérales sont concernés. Il faut aussi démolir deux usines et reconstruire routes et voie ferrée. À l’époque, cela n’avait jamais vu ça dans les Alpes.

Photo Archives LDL / Savines (Hautes-Alpes)  le 03 mai 1961
Photo Archives LDL / Savines (Hautes-Alpes) le 03 mai 1961

5. Première reconnaissance officielle du « préjudice moral »

Face à l’ampleur du déracinement, les expropriés s’organisent, refusent les premières propositions d’EDF, et font appel au gouvernement.

C’est ainsi que les accords de Matignon de 1956 imposent une indemnisation inédite en France. Pour la première fois, la loi reconnaît le préjudice moral causé par l’arrachement d’une population à son territoire. 

Tout est bénéfique pour les habitants, qui bénéficient en plus de l’exonération habituelle sur la valeur de leurs biens.

Photo Archives LDL / Savines (Hautes-Alpes)  le 03 mai 1961
Photo Archives LDL / Savines (Hautes-Alpes) le 03 mai 1961

6. Une chapelle vouée à la destruction, sauvée de justesse

Située sur une butte entre Chorges et Prunières, la chapelle Saint-Michel échappe de peu à la disparition. Construite au XIIe siècle, détruite puis reconstruite au XVIIe, elle devient un haut lieu de pèlerinage local.

Lors du remplissage du lac, sa démolition est envisagée, mais sa position légèrement au-dessus de la cote maximale d’eau lui sauve la vie.

Elle trône désormais seule sur un îlot minuscule, inaccessible en été, visible uniquement en bateau ou lors des basses eaux. Ce miraculé du béton est devenu l’un des symboles les plus photographiés du département.

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7. Un chantier titanesque, jour et nuit

À son pic d’activité, le chantier mobilise jusqu’à 3 000 ouvriers, répartis en plusieurs équipes qui se relaient de 2h du matin à 22h.

Entre 50 tonnes d’argile et 20 000 m³ de gravats déplacés par jour, dragues, compacteurs et bulldozers tournent à plein régime pour ériger ce qui est alors le plus grand barrage d’Europe par sa capacité.

8. Un barrage jamais inauguré

L’histoire retiendra que le barrage de Serre-Ponçon, pourtant fleuron de la reconstruction d’après-guerre, n’a jamais été officiellement inauguré.

Prévu en grande pompe avec la venue du général de Gaulle, l’événement est annulé à cause de la guerre d’Algérie. Et malgré sa mise en eau spectaculaire entre 1959 et 1961, aucune cérémonie ne viendra marquer la naissance de ce colosse de terre et d’argile.

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9. Plus grand lac artificiel d’Europe de l’Ouest… à sa sa création

Quand il est mis en eau en 1961, le lac de Serre-Ponçon devient le plus vaste plan d’eau artificiel d’Europe occidentale. Il couvre plus de 28 km² pour une capacité (maximale) de 1,2 milliard de m³.

Ce record sera dépassé par le barrage d’Alqueva, mis en service au Portugal en 2002.

10. Marseille dépend du lac pour son eau potable

Serre-Ponçon ne sert pas qu’à faire tourner des turbines ou irriguer des vergers. Une partie de son eau descend jusqu’à Marseille via le canal de Provence.

Grâce à lui, plus de 3 millions de personnes peuvent boire une eau captée à 780 mètres d’altitude. Ce rôle stratégique, souvent méconnu, fait du lac une ressource vitale pour tout le sud-est de la France, et un maillon clé de sa résilience hydrique.

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