La nuit est encore noire, le froid mordant, l’oxygène rare. Mais sur les pentes glaciaires visibles depuis la terrasse du refuge, le ballet des lumières émanant des lampes frontales émaille déjà les pentes alentours, parfois jusque très haut. À l’heure où certains ferment leurs paupières en quête de sommeil, les alpinistes entrouvrent les leurs et entament leur journée. Pourquoi si tôt ? Les avantages de cette habitude sont nombreux, comme l’explique Mathieu Ghaleb, guide de haute montagne au bureau des guides de Grenoble. Et ils ne se limitent pas aux levers de soleil.
Les déplacements sont moins énergivores
« S’il fait suffisamment froid, le matin, la neige sur le glacier est durcie par le regel. C’est plus agréable pour marcher dessus qu’en plein après-midi, quand elle s’est ramollie », expose-t-il. Car s’enfoncer à chaque pas peut coûter beaucoup d’énergie pour parcourir la même distance. De plus, les ponts de neige, ces amas qui recouvrent les crevasses, sont plus résistants lorsque la neige est dure. La montagne n’est pas sans risque, mais se lever tôt permet de limiter son exposition à certains d’entre eux.
Pour plus de sécurité
Globalement, le regel de la neige, même relatif, explique en grande partie ces départs matinaux. Parfois de manière indirecte : par exemple, les chutes de pierre sont moins fréquentes lorsque les blocs branlants sont cimentés à la paroi. Lorsque l’enduit fond, ils peuvent être libérés et projetés dans la pente.
Il en va de même pour les avalanches, car même en altitude, les températures peuvent être très élevées en été. Conséquence : ce réchauffement alourdit la neige, l’humidifie et augmente les risques de déclenchement de plaques. Ce qui peut être particulièrement problématique, notamment dans les pentes raides, plus à risque.
Une fenêtre plus large
« Et puis, en été, il y a les orages de la fin d’après-midi, rappelle Mathieu Ghaleb. Rentrer tôt permet de les éviter. » Car en montagne, prévoir de ne pas terminer sa journée au crépuscule est une manière de prévoir un filet de sécurité en cas d’incident ou de retard. « Certaines courses peuvent durer plus de dix heures, parfois 15. Un départ matinal permet de rentrer à un horaire correct », fait valoir le guide.
Comment savoir quand partir ?
« Souvent, il y a des horaires de lever spécifiques parce que les gardiens de refuge savent quand il faut partir, décrypte Mathieu Ghaleb. Et quand l’itinéraire est un peu rocheux, on s’arrange pour atteindre l’attaque au lever du jour. » En même temps, l’obscurité complique nettement la tâche pour trouver son chemin sur une paroi et savoir quelles prises empoigner.
Alors, un départ aussi matinal est-il toujours obligatoire ? Eh bien, pas forcément, si l’itinéraire prévu n’est pas exposé aux risques matinaux que le regel réduit et qu’il n’est pas particulièrement long. « Mais il y a quand même une ambiance assez féérique le matin, revendique le guide. Marcher sur un glacier, de nuit, c’est une expérience, un monde différent. On est encore dans un demi-sommeil, dans ses pensées », plaide-t-il. « Et puis voir le lever de soleil sur les montagnes, c’est quelque chose qui mérite d’être vécu. »