Elle dit vivre comme « une insulaire ». Dans une « solitude choisie ». En cette matinée, seuls quelques travaux perturbent le chant des oiseaux qu’Agathe Chion aime écouter. « Parfois, je me pose et je regarde ce paysage pendant des heures », dit-elle. Agathe est la septième génération de la famille Ravix et fait partie des 40 âmes qui vivent toute l’année aux Glovettes. Une résidence construite dans les années 70, symbole du tourisme de masse : 940 copropriétaires, 5 000 lits disponibles, des commerces, un hôtel, une patinoire, un tennis, une piscine, un carrousel…
Cinquante ans plus tard, certains espaces ont disparu, d’autres n’ont jamais été réalisés mais les appartements, eux, sont toujours là. « On est un hameau de Villard », s’amuse Agathe qui connaît par cœur chaque travée… enfin presque ! « J’arrive encore à me perdre parfois pour rejoindre les garages ou les caves », s’amuse-t-elle. Petite, c’est d’ailleurs ici qu’elle se livrait à des parties de cache-cache avec ses cousins.
Car les Glovettes, Agathe les a toujours connues. Son grand-père y avait acheté un appartement au début du projet. « Il vivait dans le sud mais était très attaché au Vercors. Il voulait participer au développement touristique. À cette époque, tout le monde croyait en l’or blanc. On construisait tout en béton, il neigeait beaucoup », précise Agathe. C’est dans appartement, situé travée 16, en duplex, sur le front de neige, que petite, depuis Grenoble, elle montait chaque week-end pour faire du ski. Et c’est aussi dans cet appartement qu’elle vit aujourd’hui avec son compagnon et ses enfants depuis leur retour de Berlin en 2019.
« Tous les habitants vivent quelque chose de fort avec les Glovettes »
« Quand on a décidé de quitter l’Allemagne, on s’est interrogé sur l’opportunité de vivre ici. On se demandait si on n’allait pas se sentir seuls », explique-t-elle. Car les milliers de lits ne sont occupés que l’hiver et en grande partie l’été. Hors saison, ils ne sont donc pas plus d’une quarantaine à vivre ici.
« Tous les habitants vivent quelque chose de fort avec les Glovettes. Finalement, l’architecture prend tout son sens quand la résidence est vide car elle est contemplative », estime Agathe. D’autant que la vue depuis les appartements est incroyable. La forêt semble à portée de main.
« J’ai été rassurée de trouver des âmes humaines »
« C’est comme si on était dehors tout en restant chez soi », détaille joliment Julie Normal. La musicienne occupe un logement depuis la fin du mois de mai. Elle va y rester quelques jours afin de préparer sa création pour le festival Solstice-en-Vercors qui a lieu du 20 au 22 juin sur le site des Glovettes. « C’est très différent de ce que je m’attendais à ressentir. J’imaginais un grand bâtiment vide, silencieux. D’autant que quand je suis montée en voiture, tout était dans le brouillard. Ce n’est que le lendemain que j’ai vu le paysage devant moi et j’ai été rassurée de trouver des âmes humaines. »
Dix autres artistes sont hébergés hors saison. C’est Agathe qui a eu cette idée, constatant qu’il était tellement dommage que la vie des Glovettes s’arrête après le départ des derniers résidents au printemps et à l’automne.
« Quand je suis arrivée de Berlin, plusieurs propriétaires m’ont demandé de m’occuper de leur location pour les touristes comme je vivais ici à l’année. Quand venait la fin de saison et que je fermais les volets, en sachant qu’ils ne seraient pas rouverts avant des mois, j’avais un pincement au cœur. »
Metteuse en scène, elle a très vite imaginé organiser une résidence d’artistes en dehors des périodes touristiques. Une manière de faire vivre les lieux, pas seulement l’été et l’hiver. Ce qui permet d’ailleurs au café-restaurant de rester ouvert la plupart des mois de l’année. Car ici, des commerces ont été intégrés directement dans le bâti, au milieu des appartements. Rappelant l’utopie du vivre-ensemble de la cité radieuse à Marseille prônée par Le Corbusier. On ne sait pas à qui l’on doit l’architecture des Glovettes. Souvent décriée par son imposante présence mais qui se fonde pourtant totalement avec le paysage. Comme si les concepteurs l’avaient imaginée en regardant les courbes de la montagne. C’est aussi ce regard qu’Agathe veut apporter au grand public. Une manière de transmettre l’histoire de ce site.
Article issu du Dauphiné Libéré