Tête brûlée. Cheveux longs. Grosse Jeep. Rock à fond. Voilà pour le cliché associé aux amateurs de sports extrêmes. En somme, tout le contraire du président de l’association de saut de falaise du Val d’Arve et du Giffre, Dominique Monnard, 61 ans. Calme, coupe courte, lunettes rectangles. « Ce n’est pas de la cascade, c’est plus large que ça », lâche-t-il, du haut de ses 1 600 sauts dans le vide.
« Imaginez-vous ça, vous volez ! »
Notons d’abord que le base-jump, (“Base” étant l’acronyme anglais de buildings , antennas, spans, and earth , autrement dits, immeubles, antennes, pont et falaises) consiste à se jeter depuis un point fixe… dans le vide. Un parachute dans le dos, cela va de soi. De là, plusieurs tenues existent, dont la fameuse wingsuit. Le professionnel insiste : « On dit la wingsuit ! ».
Cette combinaison présente la particularité de pouvoir faire planer, au sens propre du terme, celui qui l’endosse, pendant près de deux minutes. C’est d’ailleurs ce qui pousse les férus d’altitude à la revêtir. « Moi j’aime voler ! imaginez-vous ça, vous volez ! », s’exclame-t-il, la passion dans les yeux.
« Je ne recherche pas l’adrénaline. La dopamine, à la limite. » On est loin des clichés véhiculés par le film Point Break , où de jeunes accros aux sensations fortes braquent des banques pour assouvir leur addiction au surf et à la chute libre. « En fait, c’est une communauté de gens raisonnables, posés, qui ne se mettent pas en danger lorsqu’ils sont à l’exit, le point depuis lequel on se lance. »
Une discipline sans encadrement officiel
Alors, comment expliquer les accidents, comme ceux qui ont coûté la vie à deux hommes dans la vallée de l’Arve les 21 et 29 septembre 2024 ? Pour Dominique Monnard, de tels drames tiennent au manque d’expérience et aux aléas liés à l’équipement. « Il y a des mecs qui ne sont pas faits pour faire du base-jump, et ces gens-là, il ne faut surtout pas leur laisser la possibilité d’en faire », insiste-t-il.
La discipline ne bénéficie d’aucun encadrement officiel par une fédération. Il existe toutefois des brevets à passer, comme le BPA et le Bi4 (track), pour pouvoir débuter le base-jump. De plus, la pratique repose principalement sur l’autorégulation : les passionnés se fixent eux-mêmes des règles de bonne conduite. Car ne saute pas d’une falaise qui veut. Ainsi, ils estiment que 150 à 200 sauts depuis un avion sont requis avant de sauter d’un point fixe en “lisse”, c’est-à-dire en vêtements de tous les jours. L’adage “prudence est mère de sûreté” se vérifie d’autant plus, lorsque le base-jumpeur émérite se confie : « Pour moi 150 à 200 sauts c’est dérisoire, je préfère 500. »
Et ce n’est que le début. Avant de pouvoir atteindre le Graal, à savoir sauter depuis une falaise vêtu comme un écureuil volant. L’apprenant devra effectuer plus de 600 sauts dans différentes configurations. « On veut tenir la communauté avec intelligence. L’autorégulation, je pense qu’on peut y arriver », livre avec optimisme le vétéran des airs.
Rendre l’activité plus sûre
À l’évocation de l’arrêté qui avait été pris à Chamonix d’interdire la wingsuit, lequel est resté en vigueur cinq ans, il répond catégoriquement : « Je comprends à 100 %. Vous croyez que le maire n’a pas d’autres choses à gérer ? » Cette décision avait fait suite à l’accident mortel d’un wingsuiteur russe, qui avait percuté une habitation de la station.
L’association maglancharde s’efforce elle aussi de rendre l’activité plus sûre. Les membres ont par exemple changé toutes les cordes permettant d’accéder aux exits à Magland. De plus, ils ont installé des panneaux avec un QR code pour indiquer aux nouveaux venus l’endroit où ils se trouvent et le matériel adéquat pour le saut en question.
Les représentants ont également créé un groupe WhatsApp. L’objectif est simple : signaler son saut, afin d’éviter des accidents qui pourraient résulter d’une collision entre deux “hommes-oiseaux”. Pour le rejoindre, il faut remplir un long formulaire. Si l’un des responsables de l’association estime que le postulant n’est pas prêt pour sauter à Magland, il lui téléphone pour lui conseiller de revenir après s’être entraîné davantage sur des sauts plus faciles.
Une image d’inconscients qui colle à la peau
L’association a aussi pour vocation d’être un “point de chute” pour les habitants et pour les municipalités. « On avait des personnes qui ouvraient (leur parachute) près d’habitations. Ça faisait peur aux gens. On ne le savait pas ». Ainsi, les personnes au sol peuvent faire remonter des informations, afin de vivre en harmonie avec celles qui les survolent.
Une image d’inconscients, d’affranchis leur colle à la peau. Mais le respect s’impose comme une valeur cardinale pour les adeptes du grand air. « Tirer (l’extracteur du parachute) au-dessus d’une maison, C’est interdit ! Celui qui fait ça, il prend une châtaigne ! ».
Malgré tout, les pratiquants semblent avoir les pieds sur terre : « Le base-jump ça commence quand on a les deux pieds au bord du trou et ça se termine quand on a les deux pieds au sol », conclut-il sagement.
Article issu du Dauphiné Libéré