Divorce entre Tignes et la Compagnie des Alpes : qu’est-ce qui va changer ?

Coup de tonnerre dans le monde des stations de ski. Le 8 août 2024, le conseil municipal de Tignes actait la non-reconduction du contrat qui lie la commune à la Compagnie des Alpes (CDA) et sa filiale la STGM pour l’exploitation du domaine skiable, un des plus prestigieux de France. Ce faisant, la commune a mis un terme à près de 40 ans de collaboration avec le délégataire de la station.

Le précédent des 2 Alpes

La dernière grosse station à avoir quitté le giron de la Compagnie des Alpes, c’est les Deux Alpes (Isère) en 2019, la collectivité ayant résilié la délégation de service public par anticipation. Mais là, il y avait eu appel d’offres et la Sata (Société d’économie mixte qui gère les remontées de l’Alpe d’Huez) avait été jugée plus en phase avec les enjeux du territoire, notamment le projet d’un grand domaine relié mécaniquement. Depuis, l’idée du Grand Oisans a été abandonnée.

Commencée une décennie auparavant par le rachat de “Deux Alpes loisirs” (qui possédait aussi la piscine, la patinoire, de l’immobilier), l’histoire entre la CDA et la station de l’Oisans s’est achevée devant le tribunal administratif pour régler le contentieux né autour des biens de retour.

« Reprendre notre destin en main »

Cinq mois plus tard, c’est dans une ambiance détendue que le maire de Tignes Serge Revial révèle lors de ses vœux le nom de la société publique locale (SPL) qui reprendra la gestion du domaine à partir du 1er  juin 2026, date de fin du contrat actuel. Celle-ci se nommera Altta , acronyme de l’Alliance locale pour la transition des territoires d’altitude. Toute une promesse.

« L’enjeu est à la fois de garantir la vie à l’année des Tignards mais aussi de préparer l’avenir pour nos enfants », justifie Serge Revial devant une assemblée de commerçants, propriétaires et salariés de la STGM à la réunion publique du jeudi 16 janvier. Mais la raison principale de ce divorce tient en une formule que le maire martèle : « Reprendre notre destin en main. »

Dans les faits, des facteurs plus techniques ont présidé à la décision municipale. À commencer par le manque de flexibilité d’un tel accord. Le maire s’explique : « Dans ce type de contrat, il y a un taux de rentabilité à respecter. À partir du moment où il aurait fallu remettre en cause des investissements en raison du changement climatique, cela devient compliqué. »

De plus, selon l’édile, il était impossible d’adosser d’autres objets dans le contrat que celui de la gestion du domaine. Comme un volet transport. « Lorsqu’il a fallu négocier une navette supplémentaire, ils nous ont dit que ce n’était pas dans le contrat. On avait l’impression qu’on allait les ruiner. » Autant de « petits détails » qui, accumulés, ont fini par froisser la mairie.

« Avec Sainte-Foy, on a le même état d’esprit, un esprit de résilience »

Alors que mettre à la place ? La mairie de Tignes a opté pour une SPL qui repose sur le même fonctionnement qu’une société privée, mais dotée de fonds publics. Sa constitution dispense la municipalité de passer un appel d’offres pour la gestion de son domaine skiable. Mais pour former une SPL, il faut s’associer avec au moins une autre entité publique. La commune de Sainte-Foy-Tarentaise a répondu présente. Le maire de la station, Yannick Amet, parle d’une conjonction d’agenda : « Notre contrat d’affermage se termine au même moment puis nos deux communes sont limitrophes. » Forcément, ça rapproche. « Avec Sainte-Foy, on a le même état d’esprit, un esprit de résilience », loue de son côté Serge Revial.

Mais le divorce entre Tignes et la CDA aura un coût. 110 millions d’euros selon les estimations d’Olivier Duch, premier adjoint à la mairie de Tignes et président du conseil de surveillance d’Altta. « C’est le coût de rachat des remontées mécaniques, auquel il faut ajouter entre 30 et 40 millions pour la reprise des biens propres comme les logements », décrypte l’élu. Sans oublier plus de 250 employés, transférables s’ils le souhaitent, selon le Code du tourisme.

200 millions d’euros d’investissements ont également été fléchés, portant la facture à près de 340 millions d’euros pour la levée de fonds auprès des banques. La mairie de Tignes contribuera à hauteur de 23 millions d’euros pour le capital social d’Altta. En dehors de cet emprunt, Serge Revial promet : « Moi, maire, jamais je n’engagerai la commune sur les 200 millions d’euros d’investissement. »

« Nous sommes forts. On est capables de réussir »

Le pari est audacieux. Si bien qu’à Val-d’Isère, dont le domaine est relié avec celui de Tignes, on regarde attentivement ce qu’il se passe. Quant à l’idée de rejoindre Altta en 2032, date de fin du contrat entre la station avaline et la CDA, le maire Patrick Martin répond « pourquoi pas ». Mais l’édile prévient : « Si on n’arrive pas à s’entendre aujourd’hui sur la répartition des flux, on aura du mal à s’entendre dans le cadre d’une SPL. » Une référence aux actuelles négociations qui patinent entre Tignes et Val-d’Isère sur la redistribution des rentrées d’argent entre les deux stations. Mais Patrick Martin tient à leur « [souhaiter] le meilleur ».

Des vœux de réussite qui résonnent avec le vent d’optimisme qui souffle sur Tignes. « Nous sommes forts. On est capables de réussir », affirme Serge Revial. Car, selon le maire, « si on ne l’avait pas tenté, on nous aurait reproché de ne pas l’avoir tenté et maintenant qu’on l’a fait, on nous reproche de vouloir marquer l’histoire ». Seul l’avenir sera juge.

Un dernier télésiège à livrer avant la fin du contrat

Station historique (avec Peisey - Les Arcs) depuis 1989 et les origines de la CDA, Tignes quittera le groupe au 31 mai 2026. « On prend acte, on n’a pas perdu la DSP. Les élus ont fait le choix d’un autre moyen de gestion, en direct », reconnaît David Ponson, directeur des opérations domaines skiables.

« On aurait préféré être remis en concurrence et être challengé sur notre cœur de métier, comme à La Plagne. » D’ici là, selon l’avenant signé en 2003, la CDA continuera à investir, comme ces dernières années. « Après le télésiège du Marais (15 M€ cet hiver), on doit livrer l’année prochaine celui de l’Aiguille Percée. Dans le protocole de sortie de DSP, on a redéfini ces derniers investissements et la commune a demandé de ne pas faire les tapis au Lavachet, ni le télémix de Tichot. »

Conscient des reproches qui peuvent être adressés à un gros groupe (« peut-être plus d’inertie, moins d’agilité locale »), David Ponson en mesure aussi les avantages, après 35 ans d’exploitation de domaines skiables et de notoriété. À commencer par l’assise financière, adossée à la Caisse de Dépôts et des banques régionales, qui garantit des financements à long terme. La stratégie d’achat groupé de pièces et prestations est aussi évidente. À l’image d’une commande de 200 M€ à Poma pour plusieurs stations, il y a quelques hivers, ou de l’achat d’énergie électrique sous la houlette d’une spécialiste (les stations de la CDA consomment près de 250 GWh par an).

Il y a aussi une mutualisation pour tous les sites de compétences et expertises techniques très pointues qui peuvent paraître moins évidentes. C’est le cas « des contrats d’assurance perte d’exploitation, bris de machine, attaque cyber mutualisés sur 1,3 Md€ de chiffre d’affaires et des milliards d’euros d’actifs, doublés d’une captive d’assurance (matelas amortisseur interne de 2 M€ pour chaque année pour les premiers sinistres sans déclencher le contrat). Ou des moyens, plus de 50 informaticiens, pour lutter contre la cyber criminalité ».

« Notre modèle d’exploitation est challengé par les effets du réchauffement climatique, poursuit David Ponson. Les stations de basse et moyenne altitude souffrent de l’enneigement ou de questions d’eau, la haute altitude subit tout autant la fonte du permafrost, du givre comme jamais, des vents violents qui créent des dégâts et empêchent d’exploiter certains jours. Il vaut mieux être bien accompagné. » Alors que les stations d’altitude perdent de la population permanente tous les ans par le coût de l’immobilier et parce que les centres urbains sont prisés, la CDA fixe compétences et savoir-faire sur le territoire (services partagés paye, comptabilité et marketing à Chambéry).

Le premier opérateur de remontées reste à l’affût de sollicitations françaises ou étrangères, et des fins de DSP ou changement de modèle. « Des opportunités, il y en a. »

Article issu du Dauphiné Libéré

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