« À Tignes, le projet doit permettre aux gens de vivre en montagne »

L’allégresse règne dans l’auditorium de Tignespace, pour la réunion de début de saison en novembre. La neige est là, les professionnels sont confiants, la station affiche la plus forte hausse de réservations (+3,8 points), devant Courchevel. Mieux que 2023/24, déjà record. Business as usual  ? Pas exactement. Depuis le Covid, la municipalité regarde plus loin que la fin de l’hiver. Même avec l’un des plus grands domaines, culminant à 3450 m, la transition se joue maintenant.

Grâce aux précipitations d’octobre, Tignes a ouvert aux pros le glacier de la Grande Motte le 16 novembre dernier, condamné en 2060 selon les glaciologues. Et les chutes de la semaine dernière ont permis à la station d’ouvrir le samedi 23 novembre.

« Pour moi, c’est le Graal », assure Olivier Jouty, nommé à la tête de la régie des pistes. Il arrive des Bauges, d’Aillons-Margeriaz, emblème des sites de moyenne altitude confrontés au manque de neige. Ici, c’est l’autre extrême, même s’il s’agit aussi de reconsidérer l’offre.

Photo Le DL/Tom Pham Van Suu
Photo Le DL/Tom Pham Van Suu

« La montagne 365 jours par an »

« À Tignes, le projet doit permettre aux gens de vivre en montagne. Toutes les stations seront concernées par l’impact climatique et la diversification. » Sur ce glacier qui naguère valait à Tignes son slogan “Le ski 365 jours par an ”, les jours de glisse estivale sont comptés. Il a plu en juillet là-haut. Le domaine n’ouvre plus à la Toussaint. Des crevasses s’ouvrent, des rochers apparaissent, un lac de fonte menace. À l’arrivée du téléphérique, la glace se détache, rendant le ski compliqué en début d’hiver. Comme La Plagne, la station va-t-elle rabaisser son sommet ? Le slogan a muté. « C’est la montagne 365 jours par an », résume Olivier Duch, 1er adjoint, évoquant les autres merveilles de la station, l’aiguille Percée ou la Grande Sassière (3730 m), plus haut sommet randonnable de France, pour un tourisme contemplatif à l’année.

« Le glacier a été le catalyseur de la réflexion. Le réchauffement, ailleurs, attaque par le bas. Chez nous, c’est par le haut. » Le maire précédent voulait construire un ski Dôme au pied des pistes, comme à Dubaï. L’équipe élue en 2021 a décidé de se séparer de son exploitant de remontées mécaniques à la fin de la concession, le 1er juin 2026. Nouvelle fracassante en plein mois d’août. C’est ici, à Tignes, que la Compagnie des Alpes (CDA), leader européen, est née, en reprenant, en 1989, le domaine alors en faillite, après la folie des hauteurs du promoteur Schnebelen. Après 37 ans et 14 avenants, Tignes dira adieu à sa filiale la STGM. Elle a 16 mois pour bâtir une société publique locale (SPL), société anonyme aux actionnaires exclusivement publics, avec sa voisine Sainte-Foy en Tarentaise, qui elle aussi reprend son domaine en gestion.

“Imaginons Tignes 2050”

« Manière de dire que la CDA n’est plus incontournable », selon Frédéric Porte, directeur de Tignes Tourisme. Pour Olivier Duch, qui tient un magasin de sport, l’exploitant ne répondait pas aux besoins identifiés par la concertation citoyenne lancée en 2023, “Imaginons Tignes 2050” : tourisme au service des habitants, diversification estivale, ouverture sur des ailes de saisons déficitaires, mai ou novembre pour le ski, plus adaptés à la nouvelle donne climatique. Et il y a l’idée que les revenus générés par la STGM, 9,5 M€ l’an dernier, ne s’évaderont plus vers la maison mère et ses actionnaires. Mais seront réinvestis sur les pistes, dans le logement et le transport.

Ambitieux sur le papier, le choix inquiète Bernard Reymond, ancien maire. « À la création de la station, la commune avait géré ses remontées et ça n’a pas fonctionné. Ce n’est pas son métier. » Le sujet est politique. Et social. Le personnel de la STGM (300 salariés) s’interroge. « On ne sait pas trop où on va », confie un agent. Stéphane Cadier, représentant syndical FO, précise : « La mairie tente de rassurer, mais on sait ce qu’on perd, pas ce qu’on va gagner. Et il faudra à la commune trouver d’importants financements. Ce n’est pas gagné. »

400 millions d’investissement à Tignes sur 30 ans

En se séparant de la Compagnie des Alpes, la collectivité devra verser 160 millions à l’opérateur au titre de la reprise de ses biens. Et elle s’engage aussi sur 400 millions d’investissement à Tignes sur 30 ans, avec la requalification du glacier en plein parc de la Vanoise, la rénovation du funiculaire soumis à la fonte du permafrost et le renforcement du retour station.

« Le temps est compté, 160 millions sont prévus dans les cinq ans », confirme Olivier Duch, pour qui « les banques trouvent que le projet a du sens. Le risque est mesuré. Et sur les 20 ans, on est confiant quant à la capacité de nos stations à générer de l’activité. » Tignes et Sainte-Foy comptent entraîner dans leur SPL les voisines de Haute Tarentaise, sous pavillon CDA, Val d’Isère en tête. Effet domino ? Olivier Duch évoque d’autres collectivités ayant majoritairement la main sur les remontées, aux Saisies, à Courchevel, aux 2 Alpes, où la CDA a aussi été évincée, et à Orcières Merlette qui s’est séparé de Labellemontagne. « Je ne connais pas de commune mécontente d’avoir son destin en mains. » En 2011, la Cour des comptes pointait la position de faiblesse des petites municipalités face à des groupes mieux armés juridiquement. Le temps est-il venu de l’émancipation ? Pas si vite.

À la CDA, les dirigeants sont peu loquaces. Observant juste « qu’il va falloir remplacer de l’investissement privé par de la dette publique ». Et 2026 sera l’année des municipales. Qu’adviendra-t-il si la majorité change ? La Plagne, qui doit aussi renouveler le contrat de ses remontées, a choisi pour sa part de garder le modèle de la délégation de service public. La CDA est dans la place. Le groupe, coté en Bourse, aura-t-il un concurrent ? Le géant américain Vail Resort qui a déjà fait main basse en Suisse sur Crans Montana à prix d’or ? Le ski aiguise encore les appétits.

Article issu du Dauphiné Libéré

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