
C’était une sortie matinale habituelle pour ce skieur-alpiniste de haut niveau. Une séance de marche sportive alors que l’hiver se profile pour ce Grenoblois de 23 ans qui ambitionne de participer à sa première Coupe du monde cette année, lui qui a déjà remporté la mythique Pierra Menta en mixte avec Margot Ravinel.
« Un animal qui n’a pas peur de l’Homme »
Une séance rythmée par le cliquetis des bâtons quand, au loin, « je vois un lynx. J’étais en mode “incroyable”, ça m’a scotché. C’est un animal rare, discret, que je n’avais évidemment jamais vu. Je l’ai suivi doucement durant une quarantaine de secondes, persuadé qu’il allait s’enfuir. J’ai alors sorti mon téléphone pour le filmer mais à ce moment-là, il avait disparu ».
David apprendra plus tard, en téléphonant à l’Office national de biodiversité (OFB) pour les avertir de sa rencontre impromptue, qu’il s’agit « d’un animal curieux, qui n’a pas peur de l’Homme. J’ai également précisé l’emplacement à l’association Athena ».
« Je voyais cette nature sauvage loin d’ici »
En partant ce matin-là de Grenoble à vélo pour rejoindre son lieu d’échauffement, David Tourancheau était évidemment loin d’imaginer l’aventure qu’il allait vivre, alors qu’il a entamé une carrière sportive professionnelle pour mettre toutes les chances de son côté en 2024.
« Je suis en 4e année de médecine, avec des horaires aménagés pour prioriser la saison sportive », glisse ce natif de Lyon, qui a grandi en Savoie. « Je m’entraîne deux fois par jour, entre deux et quatre heures le matin, plus légèrement l’après-midi.
Mon but, c’est d’intégrer l’équipe de France de ski-alpinisme », dit celui qui est classé 10e français. Mais si, au gré de ses escapades, il avait déjà croisé comme beaucoup « des bouquetins, des marmottes ou des chamois, je n’avais jamais aperçu de lynx ni de loup. Moi qui suis amateur de documentaires animaliers, je voyais cette nature sauvage loin d’ici. En fait, elle est aussi autour de moi, de nous ».
Le Parc naturel régional de Chartreuse participe aux prospections pour mieux connaître la population de lynx dans le territoire. Selon le Parc, « de 2017 à 2019, le suivi par pièges photographiques a permis de mettre en évidence la présence simultanée de 6 individus différents sur le versant ouest du massif, dont 2 proviennent du Jura ».
Présent en Europe dans les régions boisées, ce félin avait fini par disparaître des Alpes au XXe siècle, précise aussi le Parc. « À partir de 1970, plusieurs programmes de réintroduction sont mis en œuvre en Europe et notamment dans le Jura suisse, puis dans les Vosges. Depuis, il a recolonisé progressivement certains massifs forestiers de l’Est de la France et des Préalpes. En 1990, la première observation d’un lynx en Chartreuse constituait quasiment la limite sud de sa répartition connue ».
Dans le Vercors, le Parc a recensé 24 observations sur 36 communes ces dernières années, la première en 2005, la dernière en 2022. Seules cinq de ces observations ont été relevées entre 500 et 1 000 m d’altitude.
Le lynx est également présent en nord-Isère. Des pièges photos ont permis d’identifier sa présence sur le secteur de L’Isle-Crémieu.
« Un cache-cache de six minutes »
Si David avait un temps perdu de vue le lynx, ce dernier, lui, avait gardé le contact avec le jeune homme ! Au point de se lancer, durant six minutes, « dans un cache-cache en forêt. Peu après, sans savoir où il était, j’ai regardé à gauche et j’ai aperçu du mouvement à cinq-six mètres de moi. Il était là à me fixer, j’étais stupéfait. Je craignais de le faire flipper ou qu’il se prépare à m’attaquer. Mais non, pas du tout. Il restait à quelques mètres derrière moi. Je le regardais du coin de l’œil en me retournant, je voyais bien qu’il me suivait ».
Aussi subitement qu’il était apparu, le lynx finit par obliquer dans la forêt, loin des yeux. « C’était un moment totalement inouï, magique ».
Inouïe aussi, la vague de vues sur les réseaux sociaux. « Je me suis posé la question de savoir si je pouvais le publier. Après l’avoir envoyé à ma famille, j’ai décidé, sans dévoiler l’endroit où ça s’est déroulé, de le partager parce que ça concourt aussi à mon exposition et à ma démarche de professionnalisation sportive. Mais je n’avais pas imaginé l’ampleur que ça allait prendre, y compris médiatique ».
Une semaine plus tard, dit-il enfin, « je crois que je mesure encore plus ma chance. J’en garde un sentiment de chance et d’incroyable gratitude ».
Article issu du Dauphiné Libéré.
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