La Traversette, de trésor oublié à monument historique

À près de 2 800 mètres d’altitude, aux confins de la vallée du Queyras, sa porte à flanc de montagne ne mène pas à la légendaire Moria du Seigneur des anneaux mais à l’Italie. Ce qui n’empêche pas le tunnel de la Traversette, à Abriès-Ristolas, de se traîner quelques mythes…

Ce qui est sûr, c’est que d’inscrit, l’ouvrage est devenu classé au titre des Monuments historiques. Le vote à l’unanimité, le 4 septembre dernier en commission nationale, s’est mué en classement par arrêté le 1er octobre.

Mais, inutile de se précipiter pour l’admirer : long de près de 80 mètres, le tunnel situé sous le col de la Traversette a été fermé pour l’hiver fin septembre.

« Sa fermeture intervient dès les premières neiges », rappelle l’un de ses gardiens, Nicolas Tenoux. La faute à l’altitude et la Lombarde, précise le garde-technicien de la Réserve naturelle de Ristolas mont Viso. « C’est pour cela que le choix a été fait d ’installer une porte hermétique : pour une meilleure préservation. »

Elle ne rouvre qu’aux beaux jours, « aux alentours de la mi-juin », grâce aux gestionnaires des refuges voisins. « Et encore, il y a parfois quatre mètres de neige par-dessus », sourit Nicolas Tenoux.

Le plus ancien tunnel alpin

Un ouvrage modifié classé monument historique  ? D’autres n’ont pas eu cette veine, y compris dans la commune. « Mais il n’y a pas eu débat en commission nationale, celle-ci a estimé qu’il s’agissait d’un ouvrage d’art remarquable », explique Christelle Inizan, chargée de la protection du patrimoine pour la Direction régionale des affaires culturelles de Paca.

Cette dernière a instruit le dossier, sur demande de la commune d’Abriès-Ristolas. « Le tunnel de la Traversette est le plus ancien tunnel alpin recensé à ce jour, creusé au marteau et à la pointerolle », souligne celle qui s’est penchée sur le dossier.

Mais qui s’est mis en tête de créer ce pertuis du Viso ? « Il n’est pas antique, ni n’est l’œuvre de François Ier ou des Sarrazins », renseigne Bruno Ancel, archéologue. Celui-ci a mené une campagne de fouilles en 2014, lors de travaux de préservation de la percée menés par la France et l’Italie.

« Ce tunnel est à l’initiative du marquis de Saluzzo [Saluces, dans le Piémont italien voisin, NDLR], Ludovico II à la fin du XVe siècle, relate l’Indiana Jones local. Il était désireux de garder son indépendance vis-à-vis du duché de Savoie pour le commerce, du sel venu de l’étang de Berre [Bouches-du-Rhône, NDLR] notamment. » Le col de la Traversette n’étant pas des plus praticable toute l’année, le marquis imagine plutôt passer dessous et fait part de son intention au parlement du Dauphiné, à Grenoble.

De l’oubli à la gloire

L’accord obtenu, vient le temps de creuser. « Le tunnel a été percé rapidement, en deux campagnes de travaux en 1479 et 1480, signale Bruno Ancel. C’est la première grande percée des Alpes, à une grande altitude. »

Et la route du Viso connaît un franc succès au début du XVIe siècle. « Mais, déjà à l’époque, c’est un ouvrage qui s’abîme régulièrement à cause des chutes de pierres, du gel et dégel, poursuit l’archéologue. Et, le duché de Savoie le voyant d’un mauvais œil, il a même été fermé un temps et tombé dans l’oubli. »

Lors de sa campagne de fouilles et via de la matière littéraire, Bruno Ancel a cependant pu établir que l’ouvrage a fait l’objet de réfections au cours des siècles, notamment au début du XIXe. Pour du commerce ou du passage d’armées.

Le tunnel de la Traversette devient peu à peu, vers la fin des années 1800 et le développement de l’alpinisme, un ouvrage à vocation touristique. Il est aujourd’hui un indispensable du tour du Viso. Et un indispensable du patrimoine queyrassin et, donc, national.

Au bonheur du maire – et guide en montagne – d’Abriès-Ristolas, Nicolas Crunchant. « Du fait qu’il soit à cheval sur la frontière franco-italienne, c’est un dossier original pour les Monuments historiques, estime l’élu. Ce classement va forcément nous permettre de le faire connaître au grand public. Mais c’est aussi un moyen de le préserver, puisque les Monuments historiques permettent d’obtenir des financements supplémentaires lors de travaux d’entretien. »

En espérant que ce ne soit pas un mythe…

Des monuments moins connus

Parmi les 173 édifices protégés au titre des monuments historiques dans les Hautes-Alpes figurent des stars bien connues : la place forte de Mont-Dauphin, la collégiale de Briançon, l’abbaye de Boscodon… Mais, dans la liste de ces constructions protégées par le Code du patrimoine, il y a aussi des bâtisses plus anonymes qui parfois recèlent des histoires étonnantes.

Des lieux privées ?

Rue Clovis-Hugues, à Embrun, il y a une maison qui ne paie pas de mine. Il faut dire qu’elle ne date pas d’hier : selon le ministère de la Culture sa structure “semble remonter au XIVe siècle”. À l’intérieur le bien est doté d’un plafond à la française décoré “d’armoiries non identifiées”.

Gap a aussi une maison partiellement classée , rue Cyprien-Chaix. Cette dernière date de 1885 et possède une frise de style néogothique “peut être réalisée par le peintre Philibert Florence”.

Le manoir de Prégentil 

Le manoir de Prégentil , situé à Saint-Jean-Saint-Nicolas, serait “la plus vieille maison du Champsaur” selon le spécialiste de la mémoire du Champsaur, Rober Faure. La construction de ce monument historique date d’il y a 700 ans. Plus récemment, en 1943, le manoir a été une cachette pour un groupe de Résistants dont a fait partie Maurice Para. C’est à cet endroit le groupe a été arrêté par la Gestapo en novembre de cette année-là.

La fontaine de Chorges

On passe devant sans trop faire attention, mais elle fait partie de l’histoire de Chorges depuis 1548. Il s’agit de la fontaine de la place Lesdiguières “une des plus anciennes et plus belles fontaines du département”, vante le site de la commune. “Construite en marbre des carrières de Chabrières et de Guillestre, l’eau s’écoule par des dégorgeoirs qui rappellent le bestiaire fantastique du Moyen-âge”, décrit le petit article.

Il n’y a pas que la place forte, à Mont-Dauphin

Il y a aussi la “mesure banale de grains en pierre”. Située à l’angle des rues Catinat et colonel Cabrié il s’agit en fait d’une balance publique en pierre qui servait à peser des volumes de grains. “Le système de mesure dit métrique a été élaboré après la Révolution française. Sous le règne de Louis XIV, d’autres systèmes de mesure étaient utilisés”, explique le bulletin communal, selon lequel cet instrument est témoin de cette époque.

Des monuments déclassés

Le 27 juin 1925, la Vieille halle d’Abriès-Ristolas est classée monument historique. Rien d’étonnant pour un bâtiment dont les origines remontent à 1609. Pourtant le ministère de la Culture a décidé de le déclasser en 2014 la faute à “d’importantes modifications dans le cadre de la reconstruction d’après-guerre”. Des travaux qui ont vraisemblablement dénaturé le bâtiment au point qu’il ne soit plus assez historique.

Article issu du Dauphiné Libéré

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