Le film a été diffusé le vendredi 14 juin au Cinéma Vox dans le cadre du Chamonix film festival. À cette occasion, rencontre avec François Damilano, réalisateur de ce long métrage exceptionnel.
Pouvez-vous nous parler du film Le dernier sommet ?
« C’est un documentaire qui revendique une liberté de regard sur le monde de l’alpinisme et qui est incarné par la réussite de Sophie Lavaud. C’est pour cela qu’à l’intérieur du film, il peut y avoir un certain nombre de séquences “cash”. Sophie n’a jamais mis les pieds dans la salle de montage. Elle n’a découvert le film que quand il était finalisé. Le long métrage sera disponible sur Canal +. »
Pourquoi cette obsession pour Sophie Lavaud pendant plus de dix ans ?
« Sophie est devenue le premier alpiniste français à avoir gravi les 14 sommets à 8 000. Je l’ai rencontré en 2012, lors de son premier 8000, alors qu’elle n’imaginait pas qu’elle en gravirait plusieurs. Il était évident qu’après ses deux premiers 8000, soit elle arrêtait, soit elle irait à l’Everest. Elle a décidé d’aller à l’Everest. À partir du moment où elle continue, c’était certain qu’elle allait tenter les 14. Au départ, quand elle commence cet enchaînement, elle n’a même pas cette connaissance de la culture de l’Himalaya pour réaliser qu’il n’y a pas de Français avant elle qui ont réussi cet exploit. Cela fait une étrange personnalité. En tant que cinéaste, les personnalités un peu décalées qui ne répondent pas aux codes de nos milieux, ce n’est que de la bonne matière pour un cinéaste. »
Sophie Lavaud ne respecte pas les codes de la culture de l’alpinisme. En quoi est-ce intéressant ?
« Notre culture de l’alpinisme dit que seules les ascensions hors guides, hors aides de Sherpas, hors voie normale et hors oxygène méritent d’être regardées. Sophie n’essaye pas de rentrer dans une famille. Est-ce que Sophie ne serait-elle pas le témoin d’une réalité de la pratique de l’himalayisme ? Prenons un parallèle avec Chamonix. Il est bon ton de mépriser ou de regarder avec condescendance les touristes qui viennent gravir le mont Blanc. Or, ce sont ceux qui font la fortune de Chamonix, qui nous font travailler comme guide. On passe notre temps à nous vendre comme guide de haute montagne. Une fois que les personnes viennent, elles ne viennent pas de la manière dont on voudrait. Mais qu’est-ce que c’est cette vision ? J’essaye de travailler sur notre propre regard. D’essayer de remettre en cause ma propre culture et mes propres habitudes que j’ai héritées. Sophie m’a permis de faire ce travail-là. »
Est-ce le message que vous souhaitez faire passer un travers ce documentaire ?
« Je ne réalise pas des films à message. J’essaye de documenter cette forme d’himalayisme qui est traitée avec beaucoup de biais. J’essaye de dire que la réalité est plus complexe. Notre milieu n’est pas aussi séparé que ça. Je souhaite que le spectateur, au bout de 90 minutes, soit interloqué par ce qu’on lui a montré. Si je peux interroger les certitudes du spectateur qui est entré dans la salle, j’aurais réussi mon travail de réalisateur. »
Quels moments forts retenez-vous du tournage ?
« Il y a quelque chose qui est très marquant dans ce tournage. À partir du moment où on part en montagne, je sens que le film est un poids pour Sophie. D’ailleurs, elle l’exprime dans le film. Elle souhaite que ce film existe, mais en même temps, je suis un boulet pour elle. Je suis là en permanence, avec Ulysse Lefebvre. Je lui pose des questions, je lui demande de la disponibilité pour qu’elle réponde à des interviews… C’est une personne qui est sous un contrôle absolu et, pendant le tournage, elle ne laisse rien paraître de ça. Et c’est probablement parce qu’elle est structurée comme ça qu’elle a réussi à gravir les 14 sommets à 8 000. »
Article issu du Dauphiné Libéré