Détour par les rives de Serre-Ponçon lundi 21 octobre. Ciel clair et feuillage d’automne. Le lac semble haut. Très haut même. Au maximum peut-être ? Un coup d’œil sur la courbe que propose le site Syndicat mixte d’aménagement du lac (Smadesep). Elle dessine l’évolution de la cote du lac : 779,51 samedi 19 octobre, 779,55 le lendemain, 779,36 le lundi en question…
Le niveau d’eau maximal a-t-il été atteint ?
La cote de 780 mètres d’altitude « est effectivement le niveau le plus haut, rappelle Pascale Sautel, directrice Concessions à EDF Hydro Méditerranée. Le niveau au-dessus duquel on s’interdit d’aller. Et lundi 21 octobre, on est à 779,4. Donc on est proche du niveau maximal de la retenue. »
Frôler la limite, est-ce risqué ?
« 779,4 ça paraît proche mais il n’y a absolument aucun risque, observe Pascale Sautel. Serre-Ponçon est exceptionnellement haut pour la saison mais on maîtrise cette trajectoire. On regarde et on surveille en permanence les débits qui entrent dans la retenue. Si on devait s’approcher, et en tout cas avoir des trajectoires qui nous faisaient atteindre 780, on serait amené à ouvrir les vannes d’évacuation de crues du barrage de Serre-Ponçon. Ce que l’on n’a pas fait jusqu’à présent. »
Pourquoi le niveau de la retenue est-il si haut ?
Notamment en raison d’un automne 2023 « qui était déjà très pluvieux » et d’un stock de neige excédentaire dont la « fusion » a duré « jusqu’au milieu de l’été ». Cet excédent « a maintenu des débits entrants élevés dans la retenue et un niveau du lac assez haut, ce qui a permis d’avoir une saison touristique avec une cote favorable » retrace Pascale Sautel.
Exemple : en juin-juillet 2024, 1,2 milliard de mètres cubes ont été « accueillis » dans la retenue. Soit la capacité totale du lac. « L’ensemble de la pluviométrie que l’on a cette année est exceptionnel », observe la directrice. Et de rappeler : « Depuis janvier, on a connu 15 épisodes de crues. » Résultat : les « apports en continu » qui ont alimenté la retenue font « qu’elle est aujourd’hui très haute ».
Les dernières crues sont d’ailleurs très récentes…
Elles datent des 11 et 18 octobre. « Du 1er au 20 octobre, on a accueilli dans la retenue 300 millions de mètres cubes d’eau. En moyenne, c’est plutôt 100 millions que l’on touche en octobre, souligne Pascale Sautel. Notre gestion s’adapte en permanence aux phénomènes naturels. »
Illustration le 18 octobre avec « une pointe de débit entrant dans la retenue de Serre-Ponçon de 550 m³ par seconde . Ce qui nous a amenés à entrer en état de veille et à ouvrir le barrage d’Espinasses à 50 m3 par seconde, indique la responsable. Si on n’avait pas eu le barrage de Serre-Ponçon en capacité d’absorber cette crue, nous aurions eu des débits en rivière de 550 m³ au niveau d’Espinasses et bien plus encore à l’aval. »
À partir du barrage d’Espinasses jusqu’au barrage de Bonpas près d’Avignon, « les barrages de la Durance ont dû être partiellement ouverts pour laisser s’écouler les débits parce que tout ne pouvait pas transiter par le canal », indique Pascale Sautel, directrice Concession à EDF Hydro Méditerranée.
En fonction des conditions météo, des prévisions, des débits et des niveaux des retenues, « nous pouvons être amenés à basculer en gestion de crue » : « Nous appliquons alors des consignes très précises, partagés avec les pouvoirs publics. Il n’y a pas d’improvisation. »
Le barrage de Serre-Ponçon, une arme contre les crues ?
« C’est dans son ADN d’être le régulateur des débits, de pouvoir accueillir les apports des crues, pour limiter les impacts, résume Pascale Sautel. Si Serre-Ponçon n’existait pas, les crues de la Durance causeraient bien plus de dégâts, comme c’était le cas dans le passé. C’est une des raisons d’être de sa construction. » Tout comme la production d’énergie renouvelable et l’alimentation en eau de la Provence.
Que va devenir toute l’eau de la retenue ?
Cette eau est la raison d’être de Serre-Ponçon selon la responsable EDF : « C’est un immense réservoir de stockage de la ressource en eau, pour réguler les crues mais aussi pour produire de l’énergie pour cet hiver. À l’aval de Serre-Ponçon, il y a le canal EDF, il permet de faire transiter 250 m³ qui ne se retrouvent pas en torrent dans la rivière. Ces aménagements hydroélectriques permettent d’accueillir les débits qui entrent dans la retenue et de les canaliser de manière maîtrisée. C’est là qu’ils passent dans les turbines pour produire de l’énergie renouvelable. »
Un chiffre à retenir ?
« On a produit, depuis le 1er janvier, 5 milliards de KW/h d’énergie renouvelable grâce à ces apports en eau, annonce Pascale Sautel. Pour la chaîne de la Durance et du Verdon, c’est ce que l’on produit en moyenne annuellement, sur une année normale. Là on l’a fait entre janvier et septembre. »
Les intempéries sont très marquées sur le bassin-versant de la Durance, ces derniers mois.
« Depuis octobre 2023, il y a un enchaînement quasi systématique de pluie. Entre 1,5 et 2 fois la normale, voire 2,5 fois la normale pour le mois de mars. » Romain Valiente est météorologiste et nivologue à Météo France Briançon. Les seules exceptions restent les mois de juillet et août, déficitaires en eau, « avec moitié moins que ce qui tombe normalement ». Le mois d’avril reste proche de la normale.
« La particularité de cet enchaînement, c’est que tout le bassin-versant est touché. C’est un arrosage généralisé et persistant », poursuit-il. À titre d’exemple, à Embrun, entre novembre 2023 et le 22 octobre 2024, il est tombé 1065 millimètres de pluie. La normale s’établit à 732 millimètres. Le record fut de 1 105 millimètres, de novembre 1976 à octobre 1977 (mais le mois d’octobre était comptabilisé en entier). « On pourrait battre le record sur une année glissante. » À Barcelonnette, on comptabilise 955 millimètres (où la normale atteint 694) et 1016 millimètres à Briançon.
Deux fois plus de précipitations que la normale en septembre et octobre 2024
« Le lac a sûrement réagi comme ça à cause de l’excédent de pluie depuis l’automne 2023. Il est tombé 1,5 fois la normale. Sur une période aussi longue, c’est assez exceptionnel. Le caractère marquant, c’est la durée, pas les hauteurs extrêmes. Le sol est saturé, gorgé d’eau, elle s’emmagasine et elle va plus rapidement dans les rivières », analyse Romain Valiente.
En automne 2023, il est ainsi tombé 1,5 fois la normale, tout comme durant l’hiver 2023-2024 (décembre, janvier et février) et le printemps 2024. Pour ce qui est de l’automne 2024, il est tombé deux fois plus de précipitations que la normale. Du 1er septembre au 22 octobre 2024, Météo France enregistre 350 millimètres de pluie sur le bassin-versant de la Durance, soit un excédent de 97 %.
Du côté de l’enneigement, le météorologiste explique : « L’automne dernier, ainsi que cet hiver et au printemps, il a fait doux donc il n’y a pas beaucoup de neige en basse altitude. Mais au-dessus de 2 500 mètres, il y a une valeur très importante de neige. Elle a fondu tardivement dans la saison et a alimenté le débit des rivières plus longtemps qu’à l’accoutumée. »
Article issu du Dauphiné Libéré