« Même si on adore ça, c’est difficile » : la vie de saisonnier dans les Hautes-Alpes

Devant l’école du village d’Orcières, Timéo et Jérémy tendent le pouce depuis dix minutes.

À 18 et 20 ans, ils cherchent à se rendre sur leur lieu de travail dans la station de Merlette, six kilomètres plus haut. « Ça va, ici, l’autostop fonctionne. On finit toujours par trouver quelqu’un qui s’arrête », relativise Timéo, serveur pour sa deuxième saison, la première dans les Hautes-Alpes. Jérémy lui, est à la plonge, avec l’objectif de se faire « de l’argent et de l’expérience ».

Les deux travaillent dans une résidence qui accueille 120 vacanciers cette semaine. Pour ces emplois de décembre à mars, les jeunes hommes viennent de loin : Normandie pour l’un, Perpignan pour l’autre. Peut-être seront-ils là l’hiver prochain, peut-être feront-ils autre chose, ou peut-être feront-ils comme Sylvie ou Alexandra, jamais reparties depuis plus de 25 ans.

Restaurant Zugspitze
Restaurant Zugspitze

« On ne sait jamais comment vont être les saisons »

Alexandra se souvient précisément de son arrivée : « le 11 février 1998 ». Elle avait 20 ans. Depuis, elle a assuré 28 hivers au magasin Loutesskis. « Je suis Bourguignonne, fille de viticulteur. Je fais six mois ici et six mois comme skipper du côté de Marseille. Même si on adore ça, c’est difficile aussi », reconnaît-elle.

Pour revenir chaque hiver, elle loue un appartement toute l’année. « J’ai passé l’âge de déménager deux fois par an. Et puis trouver ici pour quelques mois en saison, c’est mission impossible ». Pour rester, il faut aussi savoir se réinventer.

« On ne sait jamais comment vont être les saisons, alors avant qu’elle ne démarre, j’ai travaillé au bureau de tabac de Pont-du-Fossé », confie Sylvie, 58 ans, elle aussi arrivée en 1998. Après avoir longtemps été à la pharmacie de la station, elle tient aujourd’hui seule La boutique de Pounette.

« J’adorerai ouvrir toute l’année. Mais hors saison, il n’y a plus personne. Même les locaux ont le réflexe d’aller à Gap. Quant à travailler dans une pharmacie là-bas, c’est trop loin, avec les trajets et le prix de l’essence, je ne m’y retrouverais pas ».

« Sans bouche-à-oreille, ça ne marcherait pas »

Sur le front de neige de Superdevoluy, Morgane, 25 ans, fait la route inverse. Pendant sept ans, la Gapençaise a travaillé chaque hiver à la supérette de la station. Ce mois-ci, elle est dans la boutique d’alimentation Le comptoir du Dévoluy. « Quand on vient d’ici, on sait qu’on travaille fort tout l’hiver et tout l’été », glisse-t-elle sous le regard de la gérante qui fait appel à des locaux pour l’épauler pendant les vacances.

« Nous avons seulement besoin de renfort pendant quatre semaines en février. Alors on fonctionne avec le bouche-à-oreille. L’hiver dernier, c’était une voisine et avant une personne de Montmaur. Si on ne connaissait pas du monde, on ne trouverait personne », estime-t-elle.

Hautes-Alpes  : une surreprésentation des saisonniers dans le marché du travail

Si beaucoup d’embauches se font de cette manière et que certains salariés reviennent d’une année sur l’autre, les offres d’emplois saisonnières qui circulent via France travail restent conséquentes. En 2024, 23 % des offres dans les Hautes-Alpes concernaient de l’emploi saisonnier.

En comparaison, elle représente 7 % pour les Alpes-de-Haute-Provence. « La seule main-d’œuvre des Hautes-Alpes ne suffit pas à combler tous les besoins des emplois saisonniers. Pas seulement en nombre, mais aussi en compétences », explique Laurent Estroumza, directeur départemental de France travail Hautes-Alpes.

À Superdevoluy, Zineb et Sébastien font partie de ceux qui viennent tenter leur chance pour la première fois. Elle en salle, lui en cuisine, ils découvrent la station en reprenant un restaurant en « location-gérance » car leur activité, en Bretagne, ne fonctionne que l’été. Un cuisinier a été recruté via internet. Une fois sur place, un ancien serveur de la Joue-du-Loup est venu déposer son CV. Dans les Hautes-Alpes, il se dit qu’un salarié sur deux serait un saisonnier.

Comment les syndicats tentent de défendre les saisonniers

Difficultés de logement, horaires à rallonges et périodes de disettes une fois les touristes rentrés : les problématiques des saisonniers ne manquent pas. Et la défense de leurs droits n’est pas toujours évidente. « Les syndicats ont du mal à saisir les salariés concernés car s’ils ne sont pas adhérents, il est compliqué de les suivre », explique Éric Becker, conseiller fédéral chargé des remontées mécaniques à FO-Transports et référent national saisonniers.

Pour agir à ce niveau, il a instauré une participation en fonction des mois travaillés. « Dans les remontées mécaniques, il n’y a pas de concordance avec d’autres métiers. Le reste de l’année, ces saisonniers sont beaucoup dans le BTP, les transports, l’agriculture ou la restauration. Mais c’est compliqué car les hivers sont de plus en plus courts et l’été ne rallonge pas.

Ceux qui se sont sédentarisés sont ceux qui ont trouvé du travail à l’année. Beaucoup de jeunes ne restent pas car ils ne peuvent pas envisager un avenir familial en étant trois mois ici et quatre mois là-bas. Ils pensent aussi à leur retraite : vont-ils la prendre à 80 ans ? », alerte-t-il.

Défendre ses droits et un statut plus protecteur

Pour les informer sur leurs droits, la CFDT va à la rencontre des saisonniers depuis 27 ans. Elle était à Serre Chevalier l’hiver dernier, à Orcières Merlette cette année. « Nous leur donnons les informations essentielles et conseillons l’application “Ma saison”. Elle permet de noter leurs heures. C’est le nerf de la guerre, car elles sont souvent largement dépassées », indique Michel Bothorel, secrétaire général CFDT 05.

Le 13 février dernier, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, se rendait quant à elle à la station de Vars pour appeler à nouveau à la création d’un statut protecteur des travailleurs saisonniers. « L’enjeu est de les déprécariser », explique Alexandra Pourroy, de la CGT des Hautes-Alpes. « Le comble est qu’ils sont les seuls à avoir des CDD sans la prime de précarité qui va normalement avec. Aujourd’hui, certains sont des nomades du travail. Sans parler des problématiques de logement, où certains s’entassent dans des studios quand d’autres se retrouvent en camion, avec chaque année des problèmes d’intoxication au monoxyde de carbone », ajoute-t-elle.

En vue des JO 2030, les syndicats espèrent un sursaut sur ces questions. « Le jour où il n’y aura plus de saisonnier, il n’y aura plus personne pour faire tourner l’industrie touristique du département », prévient Alexandra Pourroy.

Article issu du Dauphiné Libéré

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