Que peuvent bien se dire un télésiège et une calèche ? Dans la longue histoire des moyens de transport anthropiques, ils incarnent deux époques qui n’avaient pas vocation à se rencontrer.
Pourtant, tous deux se croisent depuis plus d’un demi-siècle dans une station de ski haut-savoyarde d’Avoriaz. Un anachronisme qui témoigne d’une vision avant-gardiste ayant contribué, en sus d’une architecture singulière, à lui conférer le label « patrimoine du XXe siècle. »
Le renne avant le cheval
Cinquante-huit ans après l’inauguration d’Avoriaz, en janvier 1967, leur relation demeure intacte. Lorsque des Morzinois eurent l’idée d’aménager une station de ski sur ce plateau d’alpage à flanc de falaise, les chevaux incarnaient déjà le présent et l’avenir de l’homme.
Quoiqu’à l’époque, ces derniers se voient piquer la vedette par un cousin inconnu dans le massif alpin : le renne. Une idée sortie du chapeau de Gérard Brémond, promoteur et co-fondateur d’Avoriaz. « J’avais eu l’idée de faire venir des rennes de Laponie : pour moi, et bien plus que les chevaux, cet animal nordique était le parfait symbole pour coller à l’image de la station sans voitures. » (*)
Accompagnés d’un cocher lapon, ce sont eux qui assurent le transport des premiers visiteurs. Une expérience qui tourne court. Habitués aux étendues plates de la toundra, ces derniers ont bien du mal à s’acclimater au relief escarpé du Haut-Chablais.
« Ce ne sont pas des animaux faciles à manœuvrer. Il arrivait souvent qu’ils s’échappent de leur enclos, et bon courage pour aller les rattraper » s’amuse Fabien Gaydon, président de l’association des cochers d’Avoriaz. Si bien qu’une fois le Lapon rappelé au pays, les Savoyards allaient vite revenir à des montures moins exotiques, permettant au cheval de prendre les rênes du traîneau.
« Le cheval, c’est toute ma vie ! »
C’est ainsi que dès les années 1970, la calèche devient le moyen de transport attitré de la station chablaisienne. Le tintement des grelots plutôt que le vrombissement d’un V12, un mantra pour les pionniers bâtisseurs. « Nous prônions déjà la rupture avec la vie urbaine, le besoin de dépaysement qu’éprouverait l’homme de demain » dira Jean Vuarnet. Une phrase qui, un demi-siècle plus tard, n’a pas pris une ride.
Au départ ils n’étaient qu’une poignée. Ils sont aujourd’hui une vingtaine à assurer un service de taxi quotidien. Un développement qui amène la construction des écuries d’Avoriaz en 1982. Une centaine de chevaux y séjournent durant l’hiver.
« Tous les cochers sont des travailleurs indépendants mais nous sommes réunis au sein d’une association, pour avoir un règlement et des tarifs communs » indique Fabien Gaydon. Comtois, trotteurs, franches-montagnes, chaque professionnel est autonome dans le choix des animaux, tous des chevaux de trait robustes, « capables de tirer des charges de 400-500 kilos. »
Quant aux compétences requises, la « passion du travail avec les chevaux » arrive largement en tête. C’est le cas de Laura, 26 ans, la benjamine de la cohorte. « C’est ma 5e saison ici. Je baigne depuis toute petite dans ce milieu puisque mon père faisait déjà de l’attelage. Le reste de l’année je travaille sur Megève dans une écurie. Le cheval, c’est toute ma vie ! »
Comme elle, les cochers effectuent entre 10 et 30 courses/jour, selon l’affluence dans la station. « La partie taxi, qui consiste à emmener les vacanciers d’un point A (le parking à l’entrée de la station) à un point B (leur lieu de résidence) varie entre 10 et 20 €. À côté de ça, on propose des balades qui coûtent entre 20 et 60 €. »
La question du bien-être animal
À l’analyse de leurs combats respectifs, il est parfois facile de penser qu’écologistes et animalistes ne font qu’un. Pourtant, le cas particulier des transports à Avoriaz nuance l’affirmation. Si le comparatif voiture/calèche ne fait pas débat en matière de bilan carbone, d’aucuns pousseraient des cris d’orfraie pour ce qui relève du bien-être animal.
À première vue, tirer un traîneau surchargé dans un froid polaire n’est pas un job de rêve. Mais dans les faits, la prise en compte des besoins des chevaux est calibrée sur la difficulté de la tâche. Alimentation adaptée, soins réguliers et temps de travail contrôlé sont au cœur du dispositif. « Chaque cocher dispose de cinq chevaux, chacun d’entre eux n’ayant pas le droit de passer plus de trois heures/jour devant le traîneau » insiste Laura.
Dans ce joli tableau demeure une facette sombre : l’état de vétusté des écuries. « C’est un peu le Moyen-Âge » confie l’architecte Simon Cloutier. Ça tombe bien, un projet de réhabilitation va débuter dans les prochaines semaines, piloté par l’Avoriazien d’adoption.
5,5 millions d’euros pour les écuries
« L’objectif est de doubler la taille des écuries pour avoir un outil plus moderne, doté de box individuelles de 3 mètres carrés où les chevaux auront plus d’espace et d’un système d’aspiration centralisé pour les déjections. » Livraison attendue pour l’hiver 2025-2026, investissement de 5,5 millions d’euros. Un chèque à la hauteur de ses locataires. « L’activité des cochers est en constante progression et on ne pourrait pas se passer d’eux. Ils font partie de l’ADN d’Avoriaz. »
À tel point que les vacanciers ont vu, en 2022, la mise en service d’une calèche à assistance électrique venue remplacer le petit train touristique durant la saison estivale. « C’est un service gratuit qui plaît beaucoup, qui nous permet de travailler ici toute l’année avec nos animaux » se réjouit Adrien. Ultime trouvaille pour démontrer qu’en bannissant les voitures de leur projet, les constructeurs d’Avoriaz n’ont vraiment pas misé sur le mauvais cheval !
Article issu du Dauphiné Libéré