Ça ressemble à du hors-piste, avec l’ambiance du hors-piste, la couleur du hors-piste et même la faune du hors-piste. Pourtant, ça n’est pas du hors-piste. La Vraille est au freeride ce que la “Canada dry” est à l’alcool. Et pour cause cette noire “foncée” n’est jamais damée et par mauvaise visibilité l’itinéraire est fermé. Son caractère est inscrit dans son nom qui incarne une plante sauvage de cette chaîne calcaire des Aravis.
Dans le massif de Balme
Mais dézoomons un peu l’endroit, s’il vous plaît. On est là dans le massif de Balme, le plus haut des cinq points cardinaux de la station de charme de La Clusaz, aux deux combes parallèles. Sur ces pentes au relief alternant alpages et rocher abrupt, depuis 1963 et l’équipement du domaine, ont éclos de nouvelles façons de skier, libérées des pesanteurs et des conventions.
Ce jour-là, le ciel peine à se lever et c’est au radar, que Guillaume Passeron, le chef des pistes du secteur nous donne les clés pour pénétrer son temple. L’été, libéré de son manteau blanc, le sanctuaire se fait plus tourmenté, moins voluptueux, libérant les vestiges de l’hiver passé. Bâtons, bonnets voire caméra Go-Pro, perdus ou abandonnés, parfois transportés par les avalanches, émergent dans ce qui apparaît alors comme un vaste gruyère de pierres. Ces lapiaz sillonnés de crevasses rocheuses constituent l’une des particularités du secteur et l’un de ses pièges que les pisteurs signalent pour éviter que les skieurs conservent le mauvais souvenir d’un passage dans un trou.
Direction le téléski de Torchère (2364 m), plusieurs fois redressé, sous le diktat des coulées de neiges traversant la combe éponyme, versant le plus sauvage du massif. Jusqu’en 2013, la Vraille se prenait directement par le haut mais une avalanche doublement mortelle en a modifié le tracé.
« À chacun de trouver son itinéraire et faire sa lecture de terrain »
Désormais, de discrets panneaux directionnels, estampillés JoTho, à la mémoire de Joseph Thovex, pisteur disparu en 2018 dans une pente raide de l’envers de l’Étale, autre massif de La Clusaz, nous mettent sur la voie.
« On a fait le choix de ne pas trop jalonner, à chacun de trouver son itinéraire et faire sa lecture de terrain. Seules quelques balises permettent de se repérer », explique le pisteur, 35 ans d’expertise. Et bon samaritain des gloires du freeride qui se sont forgé les cuisses sur ces pentes. Séb Michaud, Loïc Collomb-Patton et bien sûr son éminence Candide Thovex… La Clusaz a fourni le plus beau contingent de champions de la discipline. Tous, dans un mauvais jour, ont pu compter sur la barquette de Guillaume et ses gars.
Dans la Vraille, il en a vu de belles. L’entrée en matière s’avère faussement ludique, un cheminement bosselé donnant accès au mur, le “crux”, comme disent les alpinistes, le passage critique de l’itinéraire dont la pente flirte avec les 45°, avec deux éperons rocheux au milieu et sur la gauche une barre rocheuse. Il n’est pas très long mais la chute est sérieusement déconseillée.
Candide Thovex land
Une fois au pied du mur, sur la gauche se profile la longue barre des parois rouges qui caractérisent cette piste. Du haut de la falaise, il paraît qu’un skieur égaré a fait une chute de 175 m. Évacué d’urgence, il s’est levé de son brancard. C’est par l’une des grottes de ces parois que dans One of those days, un de ses films visionnés des millions de fois, s’engouffre Candide Thovex, pionnier du ski moderne, artisan de la révolution freestyle de l’an 2000 et enfant sacré du pays… Pour ressortir de l’autre côté de Balme. Magie du montage.
Cette grande muraille marno-calcaire sert ensuite de fil d’Ariane de la descente qui zigzague entre les rochers. Il n’y a pas un chat en ce jour blanc dans la Vraille, mais… un chamois nous contemple avant de détaler au rythme des godilles. Signe du caractère sauvage des lieux. De l’autre côté du massif, dans la combe de Balme un de ses congénères a ses habitudes. On l’a même baptisé Fernand, hommage à un agent des remontées mécaniques.
La Vraille est la plus technique des pistes des Aravis
De l’avis des moniteurs, la Vraille est la plus technique des pistes de la chaîne des Aravis. « Il y a toujours de la neige, on ouvre cinq mois cette combe qui offre 1001 solutions ». Pas étonnant qu’en fin de saison la station y organise son derby. Objectif : dévaler ses 1000 m de dénivelé le plus vite possible, chacun sa trajectoire.
Alors que se profile la jonction avec la piste rouge Lacha qui ramène au départ de la télécabine, une moraine se détache de la paroi et interpelle. C’était la rampe de lancement de la piste du kilomètre lancé (KL) dans les années 80. Melchior, beau-père de Guillaume en assurait le damage de haut-vol, la machine arrimée à un treuil ancré à une pierre qui porte désormais son prénom.
Mais voilà que la Vraille aura bientôt une nouvelle concurrente dans les parages. Car, à ses champions, La Clusaz a toujours été reconnaissante. Grospiron a son mur, Guy Périllat et la regrettée Régine Cavagnoud leur piste. Voilà le Mozart de la glisse Candide Thovex panthéonisé avec la création d’une noire à son nom à l’autre bout de ce massif de Balme où il a signé tant de prouesses. Mais il faudra une sacrée vision du ski pour surpasser le profil spectaculaire de la Vraille.
Article issu du Dauphiné Libéré





