Fin décembre, ils étaient 23 à participer à une randonnée nocturne au départ de Vanosc, dans le Nord-Ardèche. Guidés par un accompagnateur en moyenne montagne, tous étaient en quête d’une expérience insolite au contact de la nature.
Sélima est venue en solitaire ce soir depuis Montélimar (Drôme). Elle a laissé mari et enfants à la maison avant de prendre la route pendant deux heures pour « se faire plaisir » : « J’ai l’habitude d’aller randonner seule. »
La marche, « c’est un peu comme une thérapie »
Pour celle qui apprécie se rendre sur l’une ou l’autre rive du Rhône pour arpenter les sentiers, la marche « c’est un peu comme une thérapie. Alors que je suis seule dans la nature, je discute de choses desquelles je ne peux pas parler d’habitude, confie la brune à lunettes. Ça me fait du bien, j’en ai besoin, car dans mon travail, j’ai un devoir de réserve. »
Mais elle n’a pas fait tout ce chemin seulement pour se promener, en cette fin décembre. Plutôt pour « vivre une expérience ». C’est aussi le cas pour ces six copines de boulot.
Un circuit de 7,5 km sur le GR42
Avant de partir pour ce moment insolite, elles prennent la pose, le temps d’un selfie. Elles se retrouvent, avec une vingtaine de personnes, à Vanosc, dans le Nord-Ardèche, pour un circuit de 7,5 km sur le GR42. Rien d’anormal jusqu’ici… Sauf qu’il s’agit d’une “veillée nordique en Ardèche verte”. Comprenez, une randonnée nocturne à la fraîche, guidée par un accompagnateur en moyenne montagne, Alexandre Fanget.
Au départ, à 17 heures, c’est plutôt simple : la nuit n’est pas encore tombée et les participants peuvent admirer les reliefs. Mais Alexandre Fanget prévient : « Essayez d’allumer vos frontales le plus tard possible, pour que vos yeux s’habituent à l’obscurité et que vous profitiez pleinement de l’expérience. »
Profiter de moments de silence
Au bout de 30 minutes, les ennuis apparaissent. Alors que les bonnets alignés arpentent une montée parsemée de racines, une des copines ne semble pas sereine. « On n’y voit rien, je vais me casser la figure. Je peux te tenir le bras ? », lance-t-elle à sa collègue taquine, avant que les premières frontales commencent à illuminer le chemin.
À plusieurs reprises, le guide arrête le groupe pour des moments de silence, des instants suspendus afin d’écouter la nature. Il en profite pour livrer ses savoirs sur la flore, les paysages locaux mais aussi la faune, non sans humour : « Connaissez-vous le chant de la chouette chevêchette ? Bon, heureusement pour vous, je ne vais pas l’imiter ce soir… »
Outre la fameuse chouette, d’autres animaux peuplent l’Ardèche verte : chevreuil, sanglier, renard, blaireau, hibou, loup… Pourtant, aucune bête n’a daigné montrer le bout de sa queue ou la justesse de son cri ce soir-là.
« De nuit, on a une tout autre perception du terrain »
Si l’expérience est originale, elle aurait été meilleure dans l’intimité, selon certains participants : « Il y a trop de monde, les animaux se sont enfuis c’est normal », constate un membre du groupe.
Pour la solitaire Sélima, « c’était sympa de marcher à plusieurs. De nuit, on a une tout autre perception du terrain, de l’environnement, c’est incroyable. J’aimerais retenter la rando nocturne en essayant de ne pas du tout allumer ma frontale sur un chemin que je connais par cœur ».
Au dernier kilomètre du parcours, le feu d’artifice de Villevocance, commune voisine, a offert un spectacle éclatant à ces marcheurs vespéraux. Un imprévu qui clôt la randonnée en beauté. Et malgré les 3 °C, l’air humide et la nuit ténébreuse, l’ambiance reste chaleureuse.
À chaque pause, sa petite blague. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Alexandre Fanget ne manque pas d’humour. Alors, quand on lui demande pourquoi il a quitté une carrière de dix ans en tant qu’ingénieur dans le domaine de l’eau, il résume, tout sourire : « La crise de la trentaine ! »
Si le seul accompagnateur en moyenne montagne du Nord-Ardèche a « toujours fait de la montagne et de la randonnée » et est « accro à la course à pied et au trail », il a tout plaqué pour vivre de sa passion. « Je crois que, dans mon cursus pour passer le diplôme d’accompagnateur, on était à peu près 60 % d’ingénieurs qui en avaient marre de bosser derrière un bureau. On a cherché un métier dehors et avec de l’humain. »
Officiellement diplômé et installé à Ardoix (Nord-Ardèche), il a lancé son activité en mai 2023. Depuis, il s’associe à des agences de voyages, à l’office de tourisme mais travaille aussi avec des guides du Mézenc, du Pilat et du Sud-Ardèche.
Il passe la saison estivale au bureau des guides de la Vanoise, vers Bourg-Saint-Maurice. « J’ai fait ce métier pour bouger, justifie-t-il sans la moindre hésitation. Mon rêve c’était d’être guide, mais quand on a une famille, c’est un peu compliqué, car c’est risqué. Alors, être accompagnateur en moyenne montagne c’est quand même bien car je peux bosser en montagne sans risquer ma vie tous les quatre jours », plaisante celui qui est aussi prof à mi-temps au lycée agricole Agrotech d’Annonay.
Bref, le couteau suisse (ou plutôt nord-ardéchois) n’arrête pas. Et c’est justement ce qui fait l’essence même d’un accompagnateur, selon lui : « On a un bagage de connaissances en tout mais on n’est pas spécialiste, on n’est pas botaniste, on n’est pas géologue… lance-t-il, entre deux foulées. Dans mon métier, la principale qualité, c’est l’adaptation. Il faut savoir s’adapter à tous les terrains, tous les clients, toutes les situations, même les plus chaotiques. »
Coach, accompagnateur, prof… Le sportif originaire de Préaux assume aussi avec fierté sa casquette de sensibilisateur sur la protection de la biodiversité et de l’environnement : « Une grosse partie de mon job est d’informer tous les publics. Lorsque je suis en refuge l’été, beaucoup ne connaissent pas la montagne. Pour les enfants, on est entre les enseignants et les parents, soutient Alexandre Fanget. Alors, souvent, quand on fait passer un message, ça percute. » Tâche qui se révèle plus compliquée, en revanche, pour les adultes…
Article issu du Dauphiné Libéré