4 générations d’une famille dans un des plus petits villages des Alpes : « La France profonde »

La famille Blanchard, qui représente plus d’un tiers des habitants de Monestier-d’Ambel, résiste au dépeuplement de sa commune, la plus petite d’Isère. Cette lignée débrouillarde tente de sauver la tradition montagnarde.

Le chevreuil, c’est “papa” qui l’a chassé. Le gigot, “mémé” l’a enfourné. Et les courges fourrées dans la tarte ? Merci “mamie” et son potager. Comme tous les dimanches, quatre générations du même sang s’attablent au bout de la rue. Plus d’un tiers de la population de Monestier-d’Ambel prête à dévorer la même assiette. Bienvenue chez les “Blanchard”. Une famille soudée autour de sa matriarche de 90 ans. Au prix d’une vie recluse dans le plus petit village du département et ses quatorze habitants à l’année.

« Bon appétit ! », marmonnent deux bouches pleines. On repassera pour les bonnes manières. Mathias et Gabin, 4 et 6 ans, savent que leur arrière-grand-mère ne dira rien. « Je ne les gronde que quand ils disent des gros mots », confirme un accent du midi, enveloppé dans une voix chevrotante. C’est celle de Sylvie, veuve et doyenne de la lignée. « La famille, c’est mon seul plaisir, surtout en vieillissant », se réconforte la mémoire de cette bourgade en sursis , fatiguée d’en compter les volets fermés.

« Ils m’aident à bien vieillir, je me sens plus forte »

Elle a vu la jeunesse faire ses valises pour de bon. Les anciens ont suivi, déménageant toute leur vie, pour toute la vie, ou presque. Souvent près des médecins, en agglomération. Parfois au cimetière, derrière chez elle. Au contraire, Sylvie résiste. Certes, elle vit seule dans son chalet, comme 6 femmes sur 10 de plus de 80 ans. Mais sa descendance n’habite qu’à quelques mètres.

Quoi de plus consolant, chaque matin, que de se réveiller couverte de baisers par ses « deux petits oiseaux » avant qu’ils ne sautent dans le bus, direction l’école. Rien ne les sépare. Si ce n’est un escalier et huit décennies. « Ils m’aident à bien vieillir, je me sens plus forte », confie celle que les cadets surnomment « mémé ».

« On pourrait presque vivre en autarcie »

À ne pas confondre avec « mamie », la mère de leur père qui endosse « le mauvais rôle ». Il faut bien leur tirer les oreilles de temps en temps. « Avec eux, on ne s’ennuie pas », ironise Yolande, 70 ans, qui assume d’incarner la « France profonde ». Celle qui regrette l’âge d’or de la fessée pour corriger les caprices. Celle qui donne tous les ans un coup de balai dans l’église, sans rien attendre en retour. Celle qui préfère jouer aux cartes plutôt que de s’affaler devant la télé. Encore faut-il trouver d’autres amateurs de belote dans ce village fantôme.

« On pourrait presque vivre en autarcie », plaisante la retraitée. Comme si ce n’était pas déjà le cas pour cette tribu piégée entre lac et montagnes. Le supermarché le plus proche se mérite. Soixante kilomètres aller-retour. Une demi-journée pour remplir son frigo. Heureusement, le potager est bien garni, les poules sont bonnes pondeuses et la production des ruches suit celle du four à pain. Voilà qui explique les tartines de miel tous les matins. « J’essaye de transmettre aux enfants cette tradition rurale et familiale », insiste la grand-mère.

Prendre soin de ses aînés, Gabin sait le faire. Il suffit de l’observer, entre deux caprices, peigner avec tendresse les cheveux blancs et ébouriffés de son arrière-grand-mère. « Si on n’était pas là, elle serait peut-être en maison de retraite », croit savoir Anthony, le papa des petits. Un homme à tout faire, tantôt sur son tracteur, tantôt en mairie où il est seul adjoint. S’il a retapé la vieille grange de ses ancêtres, c’est pour garder un œil sur sa grand-mère. Un peu casse-cou lorsqu’elle se risque à des ménages aériens, en équilibre sur un escabeau. L’acrobate nonagénaire s’en amuse : « Mon petit-fils est toujours là pour me relever. Heureusement que ça tombe toujours un samedi, c’est le jour où il ne travaille pas. »

Cette année, « mémé » doit écrire ses mémoires dans un gros livre encore vierge. Un témoignage qu’elle laissera, le jour venu, à une famille amputée de sa colonne vertébrale. « Profitez-en pour le moment », martèle Anthony, qui redoute la réaction des garçons. Difficile de remplacer une pièce du puzzle Blanchard. Au risque d’ébranler un équilibre consenti où chaque tranche d’âge joue son rôle clé. « Avec mémé, j’apprends à cuisiner et avec mamie, j’apprends à compter ! » Gabin a tout dit.

Perpétuera-t-il, avec son frère, son père et sa grand-mère, cette colocation de quartier ? S’accrocheront-ils à la terre de leurs aînés, qui se meurt un peu plus chaque année ? Le petit dernier ferait un candidat idéal à la relève du poulailler. Attraper une volaille par les pattes, avec autant de vigueur et de sang-froid, n’est pas donné à n’importe quel gamin de 4 ans. « Je ne leur imposerai rien », tempère le paternel. Même s’il rêve, en secret, de leur léguer un jour sa boîte à outils.

Article issu du Dauphiné Libéré

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