Piégée entre les sommets de l’Isère et des Hautes-Alpes, Monestier-d’Ambel se vide progressivement et ne compte aujourd’hui plus que 14 habitants. Autant de montagnards qui s’accrochent aux traditions rurales, pendant que le temps emporte les anciens et que la jeunesse s’exile en ville.
Si votre autoradio bégaie, c’est que vous n’êtes probablement plus très loin. Si l’émission s’efface dans un grésillement, alors vous êtes arrivés. Monestier-d’Ambel est un village fantôme. Ou presque, tempèrent les statistiques. Quatorze âmes à tout casser. Plus de poules que d’habitants. Pas étonnant que la bourgade fasse la grimace. À l’image de cette boîte aux lettres renversée, bientôt masquée par une broussaille qui s’octroie les pleins pouvoirs. Il y avait un jardin, auparavant, sous les hautes herbes qui colonisent cette propriété désertée. Les tondeuses sont-elles en panne dans la commune la moins peuplée du département ? Où sont passés ses résidents ?
« Quand je fais mes courses, c’est une demi-journée foutue »
« Beaucoup sont morts », soupirent ceux qui les ont enterrés. D’autres, fatigués par l’âge, se sont réfugiés en ville, près des médecins, dentistes et spécialistes. « C’est devenu triste, on ne rencontre plus personne », se livre une voix chevrotante, qui peine à compter le nombre exact de voisins partis. Ici, tout le monde connaît le timbre de Sylvie, 90 ans. Il faut dire qu’il ne reste que quatre femmes. « Quand je suis arrivée en 1953, toutes les maisons étaient habitées par des agriculteurs à l’année. Aujourd’hui, les jeunes ne restent plus et ça fait mal », regrette la mémoire du pays, à peine consolée par son café et ses madeleines.
Le coupable de cette désertion ? L’isolement. « Quand je fais mes courses, c’est une demi-journée foutue », souffle Georges, habitué à remplir ses sacs cabas dans les Hautes-Alpes. Le supermarché le plus proche se mérite. Soixante kilomètres aller-retour. Mieux vaut ne pas avoir la tête qui tourne dans les lacets. Heureusement qu’il existe une boulangerie de proximité… à 20 minutes en voiture. « Rien n’incite à ce que la population ne vienne s’implanter là », conclut l’octogénaire.
Une silhouette robuste secoue la tête. « Il y a des endroits plus paumés ! », relativise Anthony. Il est l’homme à tout faire du village, tout juste 40 ans. Celui sur qui on compte pour déneiger les rues à coups de pelle. Un partisan du « pas d’excuse » : « Il y a quand même du boulot à la station de ski du Superdevoluy. » L’hiver, peut-être, mais l’hiver seulement.
Après tout, ses deux petits garçons ont le temps avant de déposer des CV. En attendant, « ils ont un hectare pour jouer avec les poules et les lapins. » Tant pis si vivre au paradis se paie de 40 minutes de bus, par jour, entre l’école et la maison. Seule déception pour Mathias et Gabin : aucun autre enfant, dans le voisinage immédiat, avec qui partager leur bac à sable géant.
« Mon rêve, c’est que ces propriétés soient habitées à temps complet »
Pour les plus anciens, bon courage dans la recherche de partenaires de belote. Ses cartes, Yolande les promène jusqu’au bourg d’à côté : « Ici, vous vous sentez seule, déplore la retraitée. Je suis au bout du village dans la dernière maison habitée en permanence » L’un des neuf chalets allumés toute l’année. Contre deux fois plus de résidences secondaires qui boudent en dehors des vacances et des week-ends. « Imaginez s’il nous arrive quelque chose en pleine nuit ? Un cambriolage ? Mon rêve, c’est que ces propriétés soient habitées à temps complet. Mais je sais que c’est un rêve. »
Peu d’espoir, non plus, chez le maire de la commune, Franck Gerbi, épuisé par ses coups d’épée dans l’eau. « Tout ce qu’on peut faire, c’est tenter d’améliorer les conditions de vie pour garder les gens qui sont déjà là. Mais on se sent impuissants. » L’antenne 4G, sortie de terre il y a trois ans, n’a pas convaincu les télétravailleurs du confinement à emménager durablement. Les défibrillateurs, installés çà et là, n’ont pas rassuré les plus fragiles. Et le prix des ruines a de quoi dissuader bon nombre d’acquéreurs.
Monestier-d’Ambel retient son souffle. La peur de devenir orpheline. Accrochée à ce qu’il reste du passé pour sauver un avenir en pointillé. Et l’élu de s’inquiéter pour la prochaine échéance municipale, qui aura lieu dans moins d’un an : « Je crains qu’on soit en carence de candidats pour organiser un conseil. »
Article issu du Dauphiné Libéré








