La combinaison spatiale de Neil Armstrong, le bonnet rouge du commandant Cousteau et le piolet de Maurice Herzog à l’Annapurna (8 091 m)… Des objets iconiques qui renvoient à notre imaginaire et nous raccrochent aux grandes épopées de la découverte du monde.
Le 3 juin 1950, 14 heures la photo du chef de l’expédition française brandissant son pic à glace en posant le pied sur le premier sommet de plus de 8 000 mètres, altitude où seuls les avions de ligne avaient le droit de citer, constitue un marqueur de grande histoire de l’alpinisme. Ce jour-là, c’est son compagnon de cordée, le guide de Chamonix Louis Lachenal qui immortalise l’instant.
Un exploit remis en cause par la fille de Maurice Herzog
L’image a été abondamment commentée par les exégètes. Parce que derrière Herzog, la pente semble se prolonger alimentant les conjectures : sont-ils bien au sommet ? Dans un ouvrage polémique, mêlant roman et biographie, Félicité, la propre fille du « héros », quelques mois avant sa mort, remettra en doute l’exploit. Mais un an plus tard, le Groupe de Haute montagne (GHM), cercle des sages de l’alpinisme, croisant les témoignages d’himalayistes qui dans le sillage des pionniers de 1950 ont gravi l’Annapurna, chassait les derniers doutes planant sur une ascension que l’histoire et la culture populaire avaient déjà authentifiée.
Pour ce 75e anniversaire, c’est le benjamin des enfants Herzog, Mathias, demi-frère de Félicité, adepte de yoga et bien plus zen qui prend les choses en mains. Sa démarche : « Honorer plus que conquérir. Plus qu’une simple commémoration, c’est une renaissance, une célébration vibrante qui unit passé et présent dans un hommage musical et spirituel. »
« Un symbole du dépassement de soi et de l’esprit d’exploration »
Le très discret Mathias a déjà réalisé un premier exploit, avant même de quitter le sol européen, faire sortir des collections du musée olympique de Lausanne, le piolet avec lequel son père a conquis le premier géant himalayen, au prix de graves gelures, amputé des doigts et orteils. « Un symbole du dépassement de soi et de l’esprit d’exploration ». Il y a des décennies, membre du CIO, l’ancien ministre des Sports du général de Gaulle en avait fait don à l’institution basée sur la Riviera du Léman.
Et voilà le modèle au manche en bois estampillé Simond, made in Chamonix qui transitait fin mai par capitale de l’alpinisme, avant le grand vol. On le retrouve devant la compagnie des guides. Mathias en prend soin comme d’une relique. Sa maman, Sissi, dernière épouse de Maurice se désole. « C’est dommage qu’à Chamonix, il n’y ait pas de musée digne de ce nom pour l’exposer ici au pied du mont Blanc ». Son fils a aussi exhumé la liste des noms des porteurs qui ont accompagné l’expédition de 1950, partie d’Inde.
L’Annapurna est une conquête des guides de Chamonix
Le président des guides chamoniards Olivier Greber sort avec dans les mains d’autres éléments de ce jour historique. Le drapeau tricolore et le fanion du Club alpin français que la cordée victorieuse avait hissés vers le ciel, le piolet d’Herzog faisant office de hampe pour le fameux cliché. « Toutes les preuves sont là », ironise René Ghilini, un des illustres guides de Chamonix. Lui aussi en 1982 a vécu une histoire particulière avec l’Annapurna, témoin de la mort de son compagnon de cordée, Alex Mac Intyre, tué par une chute de pierre lors d’une tentative dans la face sud. Comme le rappelle Olivier Greber, l’Annapurna est une conquête des guides de Chamonix. Outre Lachenal l’autre héros de 1950, Gaston Rébuffat et Lionel Terray étaient dans l’expédition, le second jouant même les sauveteurs, dans une aventure qui ouvrait la voie aux conquêtes himalayennes.
Ainsi René Ghilini accompagne Mathias dans son périple népalais en ce début juin sur les traces de son père. Première mission : acheminer le piolet au musée international de Pokhara, la grande cité au pied de la chaîne des Annapurnas où il sera exposé plusieurs semaines. Mais les célébrations de ces trois quarts de siècle seront émaillées d’une série de concerts jusqu’au camp de base de l’Annapurna à 4 000 m. « Nous tisserons des liens entre les cultures, les générations et les âmes », assure Mathias, qui parle de symphonie à créer avec son ensemble musical l’Annapurna Shakti Collective, associant danse, photo et spiritualité.
Maurice Herzog trail
Signe de l’empreinte de son père là-bas, le sentier qui conduit au camp nord de la montagne porte désormais le nom de « Maurice Herzog trail ». Mathias ne cache pas son embarras. « On aurait souhaité que nom de Lachenal lui soit aussi associé ». Mais dans la culture népalaise, le nom du chef d’expédition prime. Au programme aussi la création d‘un fonds d’urgence pour les porteurs népalais et une mini-série documentaire basée sur l’expédition de 1950 pour revivre l’aventure et sensibiliser aux défis actuels.
Mais parmi les objets fétiches de l’expédition de 1950 il en est qui, 75 ans après, se trouvent dans le patrimoine commun. Comme le livre Annapurna premier 8 000 bien sûr, vendu à 20 millions d’exemplaires, traduit dans une trentaine de pays et en népali cette année. Ou encore la montre Lip Himalaya, que portait Herzog le jour du sommet. 75 ans plus tard, l’Annapurna ne subit pas la surfréquentation que connaît l’Everest. Son versant nord reste exposé à de sérieux dangers objectifs et la face sud est très raide.
Article issu du Dauphiné Libéré