Franck Buisson, le gardien mythique du refuge de la Dent Parrachée

Dans le milieu de la montagne, sa réputation a dépassé les massifs et les frontières. Franck Buisson, gardien du refuge de la Dent Parrachée en Vanoise (Savoie) pour la quarantième saison, est connu comme le loup blanc. Un mythe que les médias s’arrachent ( « pourtant je ne les cherche pas »), digne du dahu… sauf que ses deux pieds touchent bien terre. Question de bon sens montagnard.

« Entre les ronfleurs et les prostates, fallait être un champion pour dormir »

Après sa formation en hôtellerie au lycée de la montagne à Valmeinier, le gamin d’Aussois se rêvait guide et moniteur. « J’ai fini gardien et pisteur ». Pisteur à Aussois pendant vingt ans ( « je suis passé trois fois dans une avalanche, la dernière, après des mois d’hôpital et de soins intensifs, je ne pouvais plus faire ce métier »), il est indissociable du refuge de la Dent Parrachée. Son refuge, même s’il est propriété du Club alpin français. « J’ai un contrat à vie, par tacite reconduction. Le dernier et le plus vieux contrat avec le Caf ». Monté là-haut, à 2 500 m d’altitude, le 15 juin 1985, pour un job d’été à 18 ans, Franck n’en est jamais reparti. « Ça a matché », résume-t-il. En son royaume de 52 000 hectares, il est gardien, cuisinier, météorologue, homme de bon conseil, show man, et menuisier (avec son entreprise, il a fait 80 % de la rénovation du refuge). « Mi fa toute » (je fais tout) disent les vieux Mauriennais. « Avec ses 39 m², le refuge, convivial, n’était pas conçu pour être gardé. Surveillé oui, mais il n’y avait pas de restauration. Trente personnes dans 20 m², c’était la salle d’attente la plus chère de la vallée. Entre les ronfleurs et les prostates, fallait être un champion pour dormir. Avec mon collègue, on dormait un sur la table de la cuisine, l’autre dehors sur la terrasse. Une nuit de neige, on m’a quand même uriné dessus depuis la porte. Mais je ne me suis jamais engueulé avec personne ».

Gardien, maçon, architecte

Au fil des autorisations de travaux ( « pas besoin de permis, quand tu ne dépasses pas 20m² »), le refuge a grandi petit à petit. Avec son ami Tim, ils ont mis 7 ans à creuser la cave au marteau burin, pour surélever ensuite le bâtiment de 35 centimètres avec des vérins et quelques potes. « L’Arche de Noé a été construite par des amateurs, le Titanic par des pros », se marre l’artiste. Et lorsqu’il y a eu un appel d’offres pour la rénovation, il a répondu avec un ami d’enfance. « On n’a jamais regardé les plans, on savait ce qu’on avait à faire ». Des portes ont été enlevées, mais les normes d’établissement recevant du public ont été respectées. Le refuge de 210 m², autonome en énergie et avec une consommation de gaz divisée par trois, a aujourd’hui 57 places avec des « simples lits doubles », mais aussi une chambre pour le personnel (cinq en pleine saison de juin à septembre, trois l’hiver)… une barre de pole dance et un sauna, dans le bûcher destiné à casser le vent. Un refuge anti-burn out. « Niveau confort, c’est devenu une Rolls. Vous connaissez beaucoup de refuges où on peut dire “pensez au maillot de bain” lors de la réservation ? »

« Le refuge a été conçu pour que chacun se fascine de l’univers de l’autre »

Depuis les travaux et avec l’évolution du ski de randonnée, la fréquentation a doublé (6 000 nuitées dont 2 700 au printemps). « Avec Sonam (son fidèle sherpa népalais depuis dix ans), on est passé à 35 heures… de sommeil par semaine ! » Clientèle hétéroclite et cosmopolite. Des grands alpinistes, des guides avec leurs clients, des randonneurs du GR 5, des formations de l’EMHM, de l’Ensa, de médecins de montagne ou de personnel hospitalier, les secours en montagne, mais aussi de plus en plus de familles avec des gamins, des mariages ou, dans la discrétion, la 7e   fortune mondiale. Début juin, des gamins de la banlieue lyonnaise côtoyaient 70 légionnaires de Saint-Christol d’Albion en bivouac. « Avec ses carrés de douze pour manger, le refuge a été conçu pour que chacun se fascine de l’univers de l’autre et que tout le monde parle à tout le monde. Des moments enrichissants que tu partages et qui ne s’achètent pas. On t’apporte autant que tu apportes. L’autodiscipline se met en place toute seule : à 9 h 30, tous couchés, et à 3 h 30, les premiers levés ne font pas de bruit. À la fois refuge de haute montagne et passage de GR, on est complet tout le temps. On est le plan B des guides en cas de mauvais temps, juste derrière c’est le départ des Dômes de la Vanoise, 135 km de glaciers. D’ailleurs, 80 % des gens viennent de Val Thorens, il n’y a que 400 m de dénivelé ».

« Le plus dur sera d’arrêter… un jour »

Dans cette auberge espagnole nichée à 2 500 m, Franck Buisson, ardent, combat la morosité et l’élitisme. « La montagne est à tout le monde, chacun suivant ses moyens et ses compétences. Qui que ce soit fait toujours une démarche physique pour venir te dire bonjour ». Alors, après le point météo en cuisine ( « réunion de travail entre professionnels, mais le temps n’est jamais mauvais : il est juste différent ») et le repas, autour d’un partage de génépi, il n’est pas rare que son one-man-show serve à en remettre en place ceux qui manqueraient d’humilité ou la ramèneraient trop. « J’ai tellement d’anecdotes pour faire passer le message ». Lui adore se payer ceux qu’ils surnomment « les bac + 7 – 3 + 2 ». « Un gardien de refuge, c’est un surdoué frustré par le système scolaire. Je suis bac + 2, j’ai passé l’examen de gardien de refuge à Foix, l’analyse d’un bilan comptable dans un vrai amphithéâtre. C’est un métier-passion, tu ne peux pas le faire autrement ». Le cadre, dans la salle à manger, attend toujours le diplôme qu’il n’est pas allé chercher. Franck est bien mieux là-haut, sous la Parrachée. « Le plus dur sera d’arrêter… un jour ». Ce n’est pas pour tout de suite, à l’automne il y aura 250 invités pour le 40e anniversaire et 270 personnes sont déjà sur la liste d’attente pour le réveillon… 

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