Bienvenue dans le pire village de France : « C’est un paradis ici ! »

Bienvenue au bout du monde. Là où les roucoulements agaçants des mésanges et l’écoulement soporifique des torrents ne connaissent pas la symphonie des klaxons. Bienvenue dans ce village-vallée ensauvagé, où il n’est pas rare, lorsque le soleil se couche, de capturer dans vos phares un chevreuil, un sanglier ou un chamois qui ne respecte pas le Code de la route. Bienvenue dans un de ces coins de montagne où, quelques secondes après avoir toqué à la porte d’un chalet, vous êtes déjà attablés près du poêle à bois, un verre de blanc dans la main, sans que votre hôte n’ait eu la politesse de vous laisser le choix. Bienvenue à Valjouffrey… pire commune de France.

« C’est un classement fait par des Parisiens ! »

« C’est une blague ? » ; « C’est un classement fait par des Parisiens ! » ; « On vit très bien loin de la civilisation » ; « C’est un paradis ici ! » : si certains s’étranglent, la plupart éclatent de rire en apprenant que leur bourgade de 170 âmes, voisine des Hautes-Alpes, est en dernière position du palmarès des “Villes et villages où il fait bon vivre”, relayé par le Journal du dimanche (JDD) : 34 795e sur 34 795 communes françaises passées au crible.

Les yeux de Claudine s’écarquillent : « Qu’ils viennent voir notre cadre de vie », encourage la retraitée, surprise mais qu’à moitié fâchée. Derrière elle, une maison en pierres, des rosiers bientôt fleuris et le calme insolent d’une rivière : « Quoi de plus merveilleux que d’entendre l’eau qui coule ? », médite la grand-mère, qui « ne regrette pas » d’avoir vendu son appartement en ville. « C’est un régal, tout est sauvage, on va ramasser les groseilles et les framboises. » Claudine connaît même une forêt où les morilles poussent généreusement. Et de brutalement devenir chauvine, en percutant que la cueillette est imminente : « Le JDD ? Qu’ils restent chez eux ! Et qu’ils ne viennent pas prendre nos champignons ! »

« Un camion nous livre le pain chaque samedi matin »

Si les enquêteurs – qui se basent sur onze catégories de critères – sont aussi sévères, c’est parce que les cinq hameaux de Valjouffrey sont coincés entre deux montagnes, au fond d’un cul-de-sac. Il existe bien une supérette, deux villages plus bas, mais la grande surface la plus proche est à 30 kilomètres.

Jean-Yves, qui pose ses valises dans son chalet secondaire dès les premiers rayons, relativise : « Quand vous habitez en périphérie de Grenoble et que vous allez faire vos courses à Comboire, vous mettez plus d’une demi-heure à l’aller ! » Certes, une fromagerie sauve l’honneur commerçant, mais à quoi bon acheter du chèvre s’il n’y a rien pour le tartiner ? Comment vivre sans boulangerie ? « Un camion nous livre le pain chaque samedi matin, rassure sa femme. Oui ça existe encore ! »

Personne ne se retrouve par hasard dans ce patelin où un résident sur six a déjà soufflé 60 bougies. Parmi les rares voitures qui traversent ce village aux cheveux blancs, une bonne partie sont des aides à domicile. « On prend soin de nous au quotidien ici, on n’a pas besoin d’aller chez le médecin », ironise une ancienne qui enfile ses chaussures de rando sur son perron. Tant mieux. Puisque tomber malade peut coûter cher en carburant : une heure aller-retour pour aller consulter ou faire le stock de médicaments à la pharmacie de La Mure. En cas d’urgence : pompiers ou Samu.

En route, direction le fond de la vallée. Là où les versants sont de plus en plus balafrés. Où les pierriers n’ont laissé aucune chance aux pins qu’ils recouvrent. Preuve que la commune est menacée par les éboulements, les avalanches, les inondations, et « même les chutes de bouquetins », plaisante un habitant. Encore quelques points en moins, malgré l’aménagement de digues et d’un paravalanche.

« J’ai appris avec beaucoup de joie qu’on était passé à la dernière place »

Le hameau le plus enclavé porte bien son nom : “le Désert” : « Ici, on n’a pas le choix, il faut faire du stop et passer le permis à 18 ans », assure Eva, enfant du pays et maman d’une fillette en CP. Pas facile, pour la dizaine d’enfants et d’ados de la commune, d’aller faire du shopping en ville, mais aucune excuse pour ne pas enfiler son cartable et rejoindre l’école la plus proche à 15 kilomètres : « Il y a un bus scolaire gratuit qui récupère les enfants dès 3 ans et prend en charge le périscolaire, indique-t-elle fièrement. Finalement, on est presque mieux desservi que certains villages à côté ! »

L’esprit de Valjouffrey, c’est « accepter les contraintes » et parfois vivre « à l’ancienne ». Il suffit de jeter un coup d’œil au carrosse du maire, Maxence Foglia : une Fiat Panda du début du siècle, à la peinture bleue écaillée. Tant que ça roule… « Il y a quelques années, on était avant-dernier du palmarès, alors j’ai appris avec beaucoup de joie qu’on était passé à la dernière place », s’amuse l’élu. Bon joueur et sans rancune : « Par un courrier officiel, je vais inviter gracieusement le président de l’association des villes et villages de France à visiter notre commune. »

Avec un peu de chance, d’ici là, ils pourront même trinquer local : un brasseur projette d’y installer ses alambics. À la santé du dernier !

Comment les communes sont-elles évaluées ?

L’association “Villes et villages de France où il fait bon vivre” attribue une note à chaque agglomération via 190 critères passés au peigne fin, regroupés dans 11 catégories. Les voici, rangées par ordre de priorité, selon le dernier sondage OpinionWay :

  1. Qualité de la vie : taux de chômage, espérance de vie, hébergements touristiques, espaces verts ou aquatiques, couverture numérique, etc.
  2. Sécurité : vols avec ou sans armes, violences sexuelles, cambriolages, trafic et usage de stupéfiants, présence de la police ou de la gendarmerie, etc.
  3. Santé : maison et centre de santé, médecins généralistes, urgences, pharmacie, maison de retraite, maternité.
  4. Transports : taxis et VTC, aéroport et gares.
  5. Commerces et services : boulangerie, boucherie, grande surface, coiffeur, librairie, artisans, magasin de vêtements, bureau de poste, station essence, banque, etc.
  6. Protection de l’environnement : qualité de l’air, pollution industrielle, risque sismique, risque d’inondation, récurrence des catastrophes naturelles, etc.
  7. Éducation : écoles, collège, lycée, institut universitaire, etc.
  8. Solidarité : réseaux pour l’emploi, logements sociaux action pour l’enfance.
  9. Sports et loisirs : terrains, piscines, centre équestre, salle de sport, cinéma, théâtre, musées, bowling, restaurants, etc.
  10. Attractivité immobilière : évolution du prix moyen au m2 pour les appartements ou maisons sur 3 ans et taux de logements vacants depuis plus de 2 ans.
  11. Finances et impôts locaux : taux de fiscalité et taxe foncière, part des ménages imposés, montant des dépenses d’équipements par habitant, montant d’épargne par habitant.

Article issu du Dauphiné Libéré

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