À l’évocation d’un couple français sur cette montagne mangeuse d’hommes, on a d’abord pensé aux Barrard, morts dans la descente du K2 en 1986. Le destin des époux les plus hauts du monde donnait la mesure de la dangerosité du deuxième sommet la Terre, plus dur que l’Everest. Pyramide parfaite qui engloutit un prétendant sur cinq.
L’alliance de deux vallées, Tarentaise et Maurienne
Quand, en juin, on apprit leur projet sans oxygène, assorti d’un décollage, on s’est attachée à la personnalité des protagonistes. La presse people investit peu ce microcosme. Sacrée cordée pourtant que celle, à la ville comme à la montagne, des deux Savoyards, depuis six ans. Une paire qui est à l’alpinisme ce que Steffi Graf et André Agassi sont au tennis.
Liv Sansoz et Bertrand Roche, alias Zébulon, c’est l’alliance de deux vallées, Tarentaise et Maurienne, même s’ils vivent dans la « Yaute » aux Houches, sous le mont Blanc. L’un et l’autre ont eu leurs heures de gloire. Championne du monde d’escalade pour elle, de Bourg-Saint-Maurice. Champion de la précocité pour lui, élevé à Val Cenis, dans les pas de son père Jean-Noël : mont Blanc à 11 ans, Yosemite à 13 ans, traversée des Alpes à 14, Everest à 17, plus jeune Français sur le toit du monde.
Les aventures de « Pap’s et Zébulon » à la télé éveillèrent une génération au bonheur d’être en haut. « Je n’ai fait que suivre mon père », minore Bertrand. « Ces années 80 étaient folles, tout était possible ». À côtoyer ces stars qui sprintaient les faces nord. Au mont Blanc, Zeb’ grimpait avec des Moon boots bricolés. « Avec mon frère on avait lu le livre » se souvient Liv.
Coup de foudre à la Dent Blanche
Depuis six ans et une rencontre de paralpinistes sous la Dent Blanche en Suisse, organisée par un partenaire, ils partagent la même voie. Bertrand avait enrichi son CV de premières, décollant en parapente biplace de l’Everest, en 2001, avec Claire, son ex-épouse. Liv est devenue guide, comme lui, a avalé les 82 sommets de 4000 mètres des Alpes.
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« Être deux, ça aide à faire le bon choix tactique »
Ce projet au K2 ils le nourrissent depuis qu’ils se connaissent. Étonnante propension de Bertrand pour les cordées familiales. Orphelin de son père, décédé il y a 22 ans au Cervin, il affectionne cette forme d’alpinisme avec sa bien-aimée. « Sans souci de performance ».
Rangée des murs d’escalade, Liv conçoit la pratique « pour la beauté et l’esthétique. Mais pour être honnêtes, au K2, on savait que personne n’avait décollé du sommet. » Leur aventure incarne les valeurs d’une cordée affective. « Zeb ne partirait jamais devant, on reste tout le temps ensemble ». Il abonde : « Être deux, ça aide à faire le bon choix tactique. Quand l’un a un coup au moral, l’autre le soutient ».
L’idée de voler en biplace s’est imposée. Pas juste en raison de la cordiale concurrence de deux autres Français qui, ce 28 juillet, décolleront du sommet. « On n’était pas dans le registre de Benjamin Védrines ». La star de l’alpinisme battra tous les records : ascension en 11 heures et premier vol. Quant au Haut-Savoyard Jean-Yves Fredriksen, en solo, Zébulon l’aidera à décoller.
Avec son vol, le couple complétera le triomphe français à la pure au K2 : ni assistance, ni oxygène. « L’avantage du bi, c’est qu’on restait unis, évacuant l’inquiétude que l’un décolle et pas l’autre » explique Liv. L’esprit de cordée jusqu’au bout. « Il n’y avait qu’une voile à porter, 2,6 kilos, le double d’une voile simple. Mais trois fois moins qu’il y a 23 ans l’Everest » précise Zeb, seul humain à avoir décollé des deux cimes. « Tous ceux qui ont volé de l’Everest l’ont fait avec oxygène ».
« On savait qu’on rentrerait en volant »
Mais c’est bien sur l’ascension que l’incertitude a plané 40 jours, faute de conditions idéales, les massifs du Pakistan en proie à l’instabilité. Une semaine avant l’avion du retour, un créneau se dessine. Le duo s’élance sans pression. « On montera le plus haut possible, faut que ça reste fun », annonce Zeb. Ils seront finalement 56 ce dimanche 28 juillet à se dresser là-haut.
Partis le vendredi, Liv et Zeb mettront trois jours, 26 heures d’efforts cumulés, payant le handicap de n’avoir pu s’acclimater au-delà de 6800 m et de devoir porter le matériel de bivouac jusqu’au dernier camp. Le jour J, réveil à 1h30, six heures après les expéditions commerciales dont les cordes fixes leur seront utiles, évitant le grand froid. « On savait qu’on rentrerait en volant, on n’avait pas besoin d’être tôt en haut ». Ils souffriront même de la chaleur, tombant la doudoune dans la pente du Bottleneck, barre de glace suspendue, pas refroidis par la vision d’un cadavre suspendu à une corde.
Et là Zébulon sent la fatigue. Il s’astreint à des micro-siestes, ponctuées par l’alarme de son mobile. L’hypoxie appelle un sommeil qui peut être fatal. Mais l’esprit de couple redonne un second souffle. « C’était Zeb qui devait nous faire décoller, il fallait qu’il arrive le plus frais possible alors je lui ai pris son sac plus lourd. » Les 150 m derniers mètres de dénivelé jusqu’à 8611 mètres prendront 3 heures.
Là-haut à 16 heures, ils prennent le temps d’un bisou. Mais pas d’un selfie. Trente ans après la regrettée Chantal Mauduit, Liv est la deuxième Française sur le K2 sans assistance respiratoire. Lui se concentre sur le décollage. « J’étais étonné par cette pente sommitale plus douce alors que toutes les faces sont raides. Pas du luxe avec une grande voile qui exige plus de technicité. » Il faut gérer la faible portance, dans l’air raréfié à une altitude où volent les avions de ligne.
Heureusement la neige reste dure, le vent léger. Bertrand donne le go à Liv. « Je mets la voile ici, je la gonfle et on se jette ». 30 minutes plus tard, ils se posent au pied du K2 que les autres expéditions mettront 48 heures à rejoindre. Ivre de bonheur, le duo est revenu au pays avec son plus beau souvenir partagé, perdant là-bas six kilos pour elle, 11 pour lui. La montagne, comme l’amour, rend léger et donne des ailes.
Article issu du Dauphiné Libéré