Benjamin Védrines au K2 : « Ma priorité, c’était d’aller au sommet »

L’entretien a été effectué lundi 29 juillet.

Où êtes-vous actuellement ? D’où nous répondez-vous ?

« Je suis au camp de base du K2, à 5 000 mètres, au nord du Pakistan, dans le massif du Karakoram. C’est le seul camp de base au pied de cette montagne du K2, là où s’agglomèrent plein d’agences différentes, avec des grimpeurs. La saison pour gravir cette montagne s’étale du 1er juillet à fin juillet, c’est le créneau favorable pour gravir cette montagne. »

Quand avez-vous atteint le sommet ?

« Je l’ai atteint le 28 juillet, exactement le même jour que ma tentative sur cette montagne, il y a deux années. Donc, finalement, c’était une date symbolique. On aurait bien voulu que cette date d’ascension soit un plus tôt, puisqu’on est au camp de base depuis le 17 juin. Mais on a dû attendre plus de 40 jours avant de pouvoir mettre les pieds au-delà de 7 000 mètres, avec des conditions favorables. »

Comment vous sentez-vous physiquement et psychologiquement, aujourd’hui ?

« C’est une ascension qui a été extrêmement exténuante mais, heureusement, avec tout le travail que j’ai pu faire en amont pour préparer le K2, mon corps récupère très vite de ce genre d’efforts, même s’il a été très poussé et même si je suis allé assez loin dans mes retranchements.

Nous avons travaillé avec Léo Viret, qui est mon préparateur physique, et Fabien Dupuis, mon préparateur mental, pour faire en sorte que, justement, je puisse accepter des doses de sport et des doses d’engagement mental comme ce qui a été le cas ; pour que je puisse aussi récupérer plus vite et ainsi pouvoir enchaîner les projets plus facilement. »

Photo Benjamin Védrines
Photo Benjamin Védrines

Pouvez-vous nous raconter ces 10h59 d’ascension, les conditions, les difficultés, la météo… ?

« C’était une ascension que je tenais absolument à faire. Et à chaque fois, quand le jour J approche, c’est quelque chose de très long, il faut être très patient. Et j’étais très content de partir à minuit 10, ce 28 juillet. C’est quand même quelque chose de très fort, ce départ.

Quand on s’engage sur plusieurs heures, au-delà de dix heures, et bien on rentre dans une bulle, on rentre dans quelque chose de très cérébral et, au final, ça s’est globalement très bien passé. J’avais très peur d’avoir de nouveau un problème au-delà de 8 000 mètres.

Donc à partir de cette altitude, j’ai vraiment ralenti le rythme, j’y suis allé doucement. J’ai dû vraiment me brider pour pouvoir éviter au maximum ce qui m’est arrivé il y a deux ans, c’est-à-dire une hypoxie sévère. Mon cerveau n’était pas assez alimenté en oxygène et j’avais eu une perte de conscience. Là, ça s’est très bien passé. »

Étiez-vous seul sur cette montagne ?

« J’étais globalement tout seul sur l’ascension. Il faut préciser que sur ce genre de montagne, quand il y a des jours où c’est favorable – et cette année il n’y avait qu’un seul jour pendant tout l’été – il y a pas mal de personnes qui le gravissent également, dans un autre style, en dormant dans des camps intermédiaires.

Généralement c’est au moins deux nuits, dans des camps à 6 700 et à 7 400 mètres. Et il y a très peu de personnes qui le tentent à la journée. Le dernier record en date était de Benoît Chamoux, en 23 heures, en 1986. »

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez atteint le lieu où vous avez été victime d’une crise d’hypoxie sévère, il y a deux ans ?

« Sur le lieu de l’accident, tout de suite j’ai reconnu le début de ce problème que j’ai eu, c’était pour moi une sorte de délivrance et une sorte de découverte de l’espace dans lequel j’ai évolué, sans avoir trop de souvenirs. J’ai pu remettre dans l’ordre certains éléments spatiaux, comprendre les flashes que j’avais dans la tête… C’était très intéressant de revenir vraiment au mètre près à l’endroit même où il y a deux ans, j’avais fait une grave hypoxie sévère et où j’avais failli, finalement, y passer. »

Y avez-vous pensé tout au long de l’ascension ? Cela vous a-t-il inquiété ?

« Évidemment, pendant l’ascension je n’ai fait que penser à ça, à cette précédente tentative, c’est pour cela que j’étais toujours sur la défensive, la méfiance et j’étais apeuré de retomber de nouveau dans une hypoxie sévère, j’avais vraiment très peur. Mais, justement sont venus tous ces exercices de respiration qu’on a mis en place avec mon préparateur mental, tous ces exercices aussi de résilience où l’adaptation dans ce milieu-là, c’est le ralentissement.

Il fallait parfois s’arrêter pour récupérer. J’ai vraiment été très humble et modeste par rapport à ce que j’aurais voulu mettre en place en termes de vitesse. Ça n’a pas été ma priorité. Ma priorité, c’était d’aller au sommet avant tout et de me gérer, c’était une gestion ascensionnelle vraiment à la seconde près. J’étais dans l’écoute de mes sensations.

À chaque symptôme qui me venait, je l’écoutais, et j’essayais d’y remédier en ralentissant, en m’arrêtant, en reprenant mon souffle, ma respiration. Grâce à tout ça finalement, je suis arrivé au sommet en étant bien conscient, avec une lucidité qui était très agréable par rapport à ce qui m’était arrivé il y a deux ans. »

Photo Benjamin Védrines
Photo Benjamin Védrines

Le K2 représente-t-il l’ascension la plus difficile de votre carrière ?

« Ce n’est pas forcément l’ascension la plus difficile d’un niveau technique, mais d’un point de vue physique et mental, c’est évident. C’est dans le top 5 des ascensions les plus engagées. La tension est exacerbée par tous les paramètres, l’attente, l’incertitude, la météo… Donc, ça la rend d’autant plus difficile. Quand le jour J arrive et qu’on sait qu’il n’y en a qu’un seul, ça met une pression, un stress qui est assez important. Il a fallu y faire face. »

Une deuxième tentative, avec une préparation différente

En juillet 2022, l’alpiniste Benjamin Védrines, qui habite au Monêtier-les-Bains, a réussi un autre exploit, gravir le Broad Peak deux fois, sans oxygène, en un temps record. C’est depuis ce sommet qu’il a pu repenser à ce rêve de gravir, un jour, le K2. Mais, le 28 juillet 2022, cela ne s’est pas passé comme prévu. Victime de l’altitude, il est redescendu, semi-inconscient. Ces instants-là ont disparu de sa mémoire. Mais rapidement, il a voulu y retourner. Comme aimanté.

Depuis deux ans, il s’entraîne pour ce projet. « Le moment du retour vers le lieu où j’ai eu l’accident, c’était un moment très fort. Parce que j’avais peur de retomber dans les mêmes travers et puis, j’ai pu aussi remettre un petit peu tous les espaces et tous les flashs, que j’ai encore et qui me reviennent de temps en temps, dans l’ordre.

Ça a été très fort ce moment-là, et également très fort à l’arrivée au sommet. Je n’avais pas l’impression d’y être, tellement j’en rêvais depuis deux ans. C’était un moment d’apesanteur un petit peu, entre le Pakistan et la Chine, sur cette frontière, avec cette vue incroyable, parce qu’hier, c’était quand même grandiose. »

Il y a deux ans, il a donc été victime d’une grosse altération de la conscience avec des amnésies, et seulement quelques flashes. Cet « échec » a été « très difficile à digérer pour moi et quelque chose de très puissant à vivre. J’en ai retenu un symbole, finalement, de ce K2. Et j’ai tout de suite eu envie de remonter sur cette montagne et prendre ma revanche, en quelque sorte. Et puis est venu le cheminement de la patience. J’ai voulu prendre le temps d’être plus mature sur ce genre d’aventure, sur des très hautes altitudes ».

Benjamin Védrines a l’habitude de parcourir les Alpes, de faire énormément de sommets dans le massif des Ecrins. « Et la très haute altitude, je la connaissais peu, il y a deux ans. J’ai mis en place tout un cheminement mental et physique pour arriver le plus prêt possible. Cette préparation, différente des autres expéditions, c’est ça qui m’a fait grandir. Je suis très fier du chemin parcouru au-delà même de la performance réalisée hier. »

« Je tourne assez vite les pages »

« Je tourne assez vite les pages. Même si le K2 était incroyable, j’ai ma vision qui s’aligne vers d’autres projets, et j’en ai beaucoup. Je suis en train de construire dans ma tête mon plan pour les mois à venir. Pour l’instant, ce n’est pas encore très clair. Mais, c’est sûr, j’ai beaucoup d’idées. J’ai vraiment plaisir à réinventer un petit peu des défis dans les Alpes. Ce sont des choses merveilleuses que de pouvoir se révéler, s’épanouir, se réaliser en tant qu’alpiniste autour de chez soi. Et puis, évidemment, en expédition, on ne peut pas reproduire l’Himalaya, le Karakoram, toutes ces hautes montagnes à côté de chez nous. Donc, j’ai aussi en tête de revenir dans ces contrées lointaines, ça, c’est évident. Mais bon, tout cela, c’est une affaire à suivre… »

Article issu du Dauphiné Libéré

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