Ce jour de fin mars, à Avoriaz, les nuages chassent le soleil. Pas vraiment un « Vuarnet day » pour reprendre la formule des chroniqueurs météo des JO de Los Angeles dont la marque était partenaire. Un âge d’or où il se vendait plus d’un million de paires de lunettes de soleil estampillées Vuarnet. En 2025, le slogan est remis au goût du jour par le nouveau propriétaire, numéro 1 mondial du luxe, LVMH, présidé par Bernard Arnault et sa filiale Thélios qui crée des montures pour les marques du groupe, Celine ou Dior.
Place Jean-Vuarnet, sur le front de neige, on retrouve les nouveaux visages de la maison. Il y a les ambassadeurs, l’ex-championne d’escalade Liv Sansoz, seule femme à avoir volé en parapente du K2, deuxième sommet du monde, ou l’homme qui défie les faces nord en solo, Charles Dubouloz.
« Jean Vuarnet n’était pas simplement un sportif mais un novateur, alliant le sens du style à la performance. C’est ça l’ADN de la marque qu’il nous faut travailler ». Là, c’est l’Italienne Giulia Zanzi, la directrice de la maison sous la nouvelle ère, qui parle. Rendant hommage au premier descendeur à adopter les skis métalliques, à l’inventeur de la position de l’œuf pour la recherche de vitesse, au père de cette station sans voiture, perchée sur la falaise à la frontière suisse au-dessus de Morzine. Et à sa griffe qui, en 65 ans, n’a pas pris une ride.
Certes, la fabrique de Meaux (Seine-et-Marne), la seule à produire en France des verres minéraux avec du sable local, n’a plus les mêmes volumes qu’avant et LVMH a repris une marque dont le chiffre d’affaires a été divisé par huit par rapport au faste des années 90. Mais l’esprit demeure avec, sous son nouveau pavillon, la tentation de l’élévation. La montagne comme un retour aux sources et tremplin pour le futur.
Un saga qui commence en 1960
La directrice dément le tournant du luxe, évoquant plutôt l’exigence d’une hauteur de gamme, au révélateur des conditions extrêmes de l’altitude. Témoin, le label “Entreprise du patrimoine vivant” dont jouit désormais son usine, gage du savoir “made in France” d’une PME (une cinquantaine de salariés) au rayonnement mondial. « Il faut 17 étapes pour produire nos verres, 19 fois plus durs que ceux en polycarbonate. Teintés dans la masse, ils garantissent durabilité dans le temps et protection à vie, filtrant 100 % des UV et des lumières infrarouges », rappelle Elsa Ravaud, directrice marketing.
L’alpiniste Dubouloz atteste de leur résistance aux rayures. Seuls ses crampons ont eu raison d’un de ses prototypes qui lui avait échappé au pied de la paroi. Le principe, inventé en 1957 par l’opticien parisien Roger Pouilloux, reste à toute épreuve. L’atelier d’origine, près de la Madeleine, a mué en l’une des trois boutiques Vuarnet (Avec New York et Megève).
La saga commence bel et bien en 1960. L’équipe de France de ski teste alors ce verre Skilynx conçu par Pouilloux, garantissant l’absence de distorsion de lumière et une acuité au top. Vuarnet leur attribuera une partie de sa victoire olympique dans la descente de Squaw Valley, racontant que ses lunettes l’avaient protégé du soleil sans obérer sa capacité à lire le relief.
Une clarté optique qui allait convaincre le skieur, doublé d’un homme d’affaires avisé, de s’associer à l’opticien pour lancer la marque à son nom. Très vite, la monture 02 sort des pistes, éclairée par les sunlights du showbiz, adoptée par Romy Schneider ou Mick Jagger. Le cinéma va iconiser ces lunettes. Alain Delon dans La Piscine ou Daniel Craig dans James Bond, portant les “Glacier” créées dans les années 70 pour les alpinistes tel Jean Afanassieff, premier Français à l’Everest… et popularisées à la scène ou à la ville par le jazzman Miles Davis. Avec, en 2016, Vincent Cassel comme ambassadeur, la marque continue à crever l’écran.
« On battait même Ray Ban, chez lui »
Alain Vuarnet, fils du fondateur, était jeune stagiaire dans les années 80, observant l’essor américain. « Après les Jeux olympiques de 1984, la notoriété a pris un coup de fouet à la mesure du gigantisme de ce marché. On battait même Ray Ban, chez lui ».
Quand son père cède en 1991 les lunettes, il sera son bras droit puis son successeur à sa retraite en 1998, dans la diversification. Le textile bien sûr, entre collection sportswear et vêtements de ski techniques. Il se vendra 3 millions de tee-shirts estampillés du logo V. Mais aussi des montres, du parfum, de la crème solaire Vuarnet. Alain Vuarnet ira jusqu’à créer une quinzaine de magasins, notamment au Brésil.
Il eut aussi à gérer le désendettement dans les années 2000. Et en 2015, le fonds anglais Neo Investment Partners prend le relais, opérant la fusion des deux entités de la marque, la recentrant sur l’optique et le textile, avant de la céder il y a deux ans à LVMH. « J’avais très peur de l’issue de cette vente. Par bonheur, j’ai vu rentrer la marque dans l’escarcelle de LVMH, l’acquéreur idéal pour la pérenniser. Il y a peu d’entreprises capables de conserver l’identité d’une maison, quitte à ne pas être toujours en phase avec le marché. J’aurais tellement voulu que mon père vive cette nouvelle ».
2026 sous le signe des « Vuarnet days » ?
La première grande collection Automne-Hiver 2024 -2025 de l’ère LVMH, avec trois nouvelles gammes de lunettes, dix formes inédites, ne trahit pas les origines avec toujours le souci de traquer les ennemis de notre regard, jour blanc et éblouissement, à la ville comme dans la nature.
Et un catalogue modernisé autour de trois familles : Atelier, Lifestyle et Outdoor. La première s’inspire de l’exploration en montagne, avec des modèles en titane japonais et cuir véritable pour le pont nasal amovible. Côté vêtements, l’hiver prochain, une collection “skiwear” est attendue, dont la maison maîtrisera la production au Portugal. Avec les Jeux de Milan-Cortina en perspective, il se murmure que 2026 devrait être sous le signe des « Vuarnet days ».
Article issu du Dauphiné Libéré