Aiguille du Midi à Chamonix : les 70 ans d’un téléphérique légendaire perché à 3842 mètres

Voilà un septuagénaire de bonne constitution. Malgré ses 70 ans, le téléphérique de l’aiguille du Midi n’a jamais aussi bien tourné. 620 000 personnes l’empruntent désormais chaque année et font de lui le premier site touristique de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Une remontée mécanique pionnière qui, à son inauguration en 1955, était le téléphérique le plus haut du monde. Et même s’il ne peut plus s’enorgueillir de ce titre, il reste l’un des plus vertigineux. Un premier tronçon et trois pylônes vous transportent de la vallée (1035 m) par-delà la forêt du plan de l’Aiguille (2137 m). Le second vous propulse au paradis blanc de la haute montagne par la pureté d’un fil de 3,1 kilomètres, tendu d’une traite.

Des « araignées du ciel »

Une prouesse technique qui a révolutionné l’aménagement en altitude et qui fascine encore aujourd’hui. « Je pense que les ouvriers ayant travaillé à sa construction ne mesuraient pas complètement ce qu’ils allaient offrir à Chamonix », songe Denis Cardoso. Cet enfant de Chamonix, spécialiste de l’histoire des remontées mécaniques, a récemment remis la main sur quelques photos couleur prises lors de ce chantier hors norme. Des hommes quasiment suspendus dans le vide, allant de câble en câble, avec seulement une corde autour de la taille en guise de protection. Ces « araignées du ciel », comme les a qualifiés, Philippe Gaussot, le journaliste du Dauphiné Libéré en poste à Chamonix à l’époque, ont malheureusement parfois payé de leur vie la prise de risque inhérente à ces travaux d’équilibriste. Dix d’entre eux sont morts électrocutés ou tombés dans le vide.

Voilà peut-être qui explique l’émotion de l’industriel piémontais Dino Lora Totino, de l’ingénieur Marcel Auvert et du conseiller général Philippe-Edmond Desailloud, considérés comme les trois pères du téléphérique, lorsque furent transportés les premiers passagers le 31 mai 1955. En cinq ans, ils ont donné à Chamonix sa tour Eiffel, en profitant du demi-siècle d’expérimentations offert par le téléphérique du col du Midi. Un ancêtre, premier “funiculaire aérien” de France, dont les vestiges rappellent aujourd’hui aux randonneurs que l’idée de relier Chamonix à l’aiguille du Midi par le câble couvait déjà il y a 120 ans, date de la première demande de concession déposée auprès de la commune. Le rêve devenu réalité rend la haute montagne accessible au grand public.

Le pas dans le vide en 2013

Plus haut et plus rapide, le téléphérique de l’aiguille du Midi détrône très vite celui du Brévent. N’en déplaise aux quelques guides ne voyant pas d’un bon œil cette démocratisation des cimes, la remontée s’impose comme un formidable avant-poste entre ciel et terre pour les alpinistes. Elle devient essentielle pour l’ouverture de nouveaux itinéraires dans le massif du Mont-Blanc.

Galvanisés par le succès de cette remontée, des projets d’extension voient le jour. Une liaison jusqu’au sommet du mont Blanc du Tacul notamment. Mais le fantasme ne verra pas le jour et contribue à fixer des limites à l’aménagement de la haute montagne. Un ascenseur est toutefois inauguré en 1966, dans le granit du sommet central, et donne désormais véritablement accès à l’altitude de 3842 mètres.

Au cours des décennies d’exploitation, l’équipement devra sans cesse s’adapter et se moderniser. En 2013, la Compagnie du Mont-Blanc ouvre le pas dans le vide. Le montagnard aguerri n’y voit qu’un gadget à sensation, mais l’installation à 16 millions d’euros insuffle une nouvelle jeunesse au site. L’aménagement d’un tube permettant de faire le tour du piton central et de larges fenêtres panoramiques permettant de contempler au chaud les dernières pentes qui vous séparent du toit de l’Europe occidentale ajoute à ce regain d’attractivité.

Désormais actif onze mois sur douze, le téléphérique de l’aiguille du Midi bichonne sa large clientèle et répond aux attentes de nouveaux touristes venus d’Asie et du Moyen-Orient. Finies les journées à 5700 visiteurs, la réservation obligatoire des bennes depuis la pandémie de Covid limite les files d’attente et offre une meilleure expérience aux clients. Bien que toujours croissante, la fréquentation est aussi bien plus lissée sur l’année. Une mécanique bien rodée et un phare pour Chamonix, gardé chaque nuit par des binômes d’employés dévoués à ce monument qui avait généré près de 27 millions d’euros de chiffre d’affaires lors du seul exercice 2022-2023.

Un avenir incertain

De quoi attirer l’appétit de nouveaux prétendant à son exploitation lorsque devra être renouvelée la délégation de service public liant jusqu’à 2028 la commune à la Compagnie du Mont-Blanc. Encore faudra-t-il que la montagne permette au site de rester en vie. Le réchauffement climatique et la fonte du pergélisol, ciment des cimes, laissent craindre qu’un jour la formidable épopée du téléphérique de l’aiguille du Midi s’arrête, net.

Avec son arsenal de capteurs capables de détecter le moindre mouvement, l’actuel exploitant veille au grain. « On peut garantir la sécurité des personnes qui montent chaque matin, mais on ne peut pas garantir que l’on ne soit pas obligé de fermer dans un mois », livre sans tabou son PDG. De quoi faire réfléchir à deux fois ceux qui voudraient y voir de nouveaux investissements d’ampleur pour que l’aiguille du Midi connaisse une nouvelle révolution. La déliquescence des cimes gelées risque sinon de leur donner un jour une leçon d’humilité.

Article issu du Dauphiné Libéré

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