L’argument n’arrive pas forcément en tête des cinq bonnes raisons d’aller à Avoriaz. Pourtant, il constitue l’ADN d’un site empreint de modernité. Façonnée par trois pionniers bâtisseurs au cœur des années 1960, précieusement sauvegardée depuis plus d’un demi-siècle, l’architecture de la station raconte un pan de son histoire. Celle-là même qui lui a valu d’être, en 2003, labellisée Patrimoine du XXe siècle. Alors lorsqu’un décret venu de Paris vient menacer cette singularité, c’est toute une vallée qui se lève comme un seul homme.
Le décret n°2019-461 du 16 mai 2019, relatif aux travaux de modification des IMH, pour mise en application au 1er janvier 2020, vise à renforcer la protection incendie des bâtiments d’habitation. Il s’intéresse notamment aux travaux d’isolation thermique par l’extérieur des IMH, précisant que “tous les matériaux utilisés […] doivent être de qualité et ne doivent pas être la cause d’une propagation de feux par la façade”.
Injonction intimement liée à l’incendie du 14 juin 2017, à Londres, d’un bâtiment de 24 étages, la Grenfell Tower. Parti du 4e étage, le feu s’était propagé à l’ensemble de la structure, bien aidé par une enveloppe isolante extérieure défaillante et recouverte d’un bardage en bois… Le bilan sera très lourd : 79 morts.
Pourquoi le sujet ne revient-il que maintenant sur le devant de la scène, quatre ans après l’entrée en vigueur du décret ? « Le dossier a été complexe à appréhender, retardé par la crise sanitaire et, pour ce qui concerne Morzine-Avoriaz, par le récent changement de municipalité », indique Éric Dussart.
Mais dans les faits, c’est bien l’instruction des premiers permis de rénovation sur trois immeubles concernés par la réglementation qui a accéléré la prise de conscience. Lancées dans un bras de fer administratif, l’ancienne et l’actuelle municipalité bloquent, à ce stade, tout projet de rénovation intégrant des matériaux composites.
« Aucun chantier de ce type n’est en cours à Avoriaz, les travaux pour les immeubles concernés sont actuellement en stand-by. Mais le temps ne joue pas en notre faveur, il faudra bien que ces travaux se fassent un jour », reconnaît Yannick Trabichet.
25 immeubles concernés à Avoriaz
Dans un monde où chaque drame remet en scène les questions liées à la sécurité, ce texte qui vise à durcir les normes incendie des IMH ne date pas d’hier. Son objectif : contraindre les travaux de rénovation de ces structures -d’une hauteur comprise entre 28 et 50 mètres- aux mêmes exigences que celles qui encadrent la construction des bâtiments neufs.
Cela revient, pour synthétiser le propos, à remplacer le bardage bois (inflammable) comme parement de façade des habitations par des matériaux composites type Rockpanel, complètement ignifugés.
Une hérésie pour l’Association du lotissement du domaine d’Avoriaz (Alda), collectif de copropriétaires de la station. « Avec cette loi, Avoriaz sera la plus largement touchée de toutes les stations de montagne, tant en termes de nombre de bâtiments abîmés qu’en termes de destruction de son architecture unique », affirme l’Alda dans un communiqué, qui dénombre environ 25 immeubles concernés par le décret.
Car c’est bien de cela dont il s’agit : la préservation d’une singularité locale. Dans le cas d’Avoriaz, plusieurs particularités ornementales font sa réputation, inscrites dans le Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUIH) de la Communauté de communes du Haut-Chablais (CCHC). L’intégration au paysage, le sentiment de mimétisme avec la roche environnante, en sont les plus brillantes illustrations.
« Ce décret va à l’encontre de la philosophie d’Avoriaz »
« Ici, la totalité des façades sont faites en bois, en principe du red cedar (cèdre rouge) ou du mélèze. Lorsqu’il vieillit, au bout de quelques années et selon son exposition à la lumière, il adopte une teinte grisâtre qui mimétise le bâtiment avec le rocher qui se trouve juste derrière lui », évoque Éric Dussart, président de l’Alda.
Propriétaire dans la station depuis 1968, ce Parisien d’origine a fait de la préservation de ce patrimoine local un combat personnel. « Ce décret va à l’encontre de la philosophie d’Avoriaz et transformerait, en quelques mois, une architecture vernaculaire en un pastiche de Disneyland. »
Au niveau politique aussi, le sujet crispe. Parce que les exigences du décret expriment l’inverse de ce qui est écrit dans le PLUIH, approuvé à l’automne 2022. « L’unité d’image d’Avoriaz doit être conservée en valorisant l’esprit originel de la station », peut-on lire, et figure également l’idée d’un périmètre de protection visant à « protéger tous les éléments singuliers qui confèrent à Avoriaz son caractère extraordinaire. »
« L’architecture fait partie intégrante de l’attractivité d’Avoriaz »
Problème : un document local d’urbanisme ne fait pas le poids face à un décret national. « On est un peu démunis, d’autant que les réponses ministérielles nous ramènent à une application stricte de la nouvelle réglementation. La sécurisation des personnes étant prééminente sur la protection du patrimoine », indique Yannick Trabichet, la présidente de la CCHC.
Pas de quoi ébranler la mobilisation locale, appuyée par des acteurs économiques persuadés que le sujet va bien au-delà de la seule préoccupation patrimoniale. « L’architecture fait partie intégrante de l’attractivité d’Avoriaz. Cela participe au choix de la destination et c’est un atout commercial pour nous », glisse Sébastien Mérignargues, directeur de l’office de tourisme Avoriaz 1800, farouchement opposé à toute « dénaturation » d’un site « qui bat des records de fréquentation sans construction de nouveaux lits. »
Un combat pour lequel ce dernier n’inclut pas l’obtention d’une dérogation locale dans la liste des solutions. « Plutôt que d’obtenir une exception, il faut privilégier l’idée d’un élan collectif pour la préservation du bois face à l’aluminium. »
Article issu du Dauphiné Libéré
