En seulement deux jours, la police de l’environnement a distribué l’équivalent de 20 % des amendes de l’an passé autour du lac du Lauvitel. Une sévérité censée recadrer des campeurs au profil de plus en plus citadin, d’après le parc des Écrins, qui ont découvert le site sur les réseaux sociaux et réagissent parfois violemment à l’encontre des agents.
Si ces randonneurs font la grimace sur le chemin du retour, c’est parce que, quelques heures plus tôt, ils ont été réveillés par un policier de l’environnement. 68 € d’amende au petit déj pour avoir bivouaqué en dehors de la zone autorisée au bord du lac du Lauvitel. « Dès le début de la saison, on leur dit que ce n’est pas la fête à la saucisse », s’impose Samuel Sempé, directeur adjoint du parc national des Écrins (PNE). Le carnet de contravention qu’il promène dans sa poche est déjà bien entamé. En seulement deux jours, les gardes ont réalisé 13 verbalisations pour toutes sortes d’infractions. Soit, plus de 20 % du total des sanctions sur ce secteur l’an passé : « C’est inquiétant pour le début de saison, grince l’employé du parc. On va sans doute exploser le nombre de contraventions. »
« Les gens ne s’imaginent pas qu’il puisse y avoir des règles et des contraintes »
À croire que peu de marcheurs s’arrêtent devant les panneaux jaune et vert qui jalonnent le sentier. Il suffisait pourtant d’y jeter un œil pour savoir que l’alpage est interdit aux chiens, aux drones et aux feux de camp, pour les derniers campeurs ayant mis la main aux portefeuilles. Certes, il n’est pas mentionné que les voitures télécommandées n’ont pas le droit de dévaler le versant, mais son pilote, lui aussi, a dû s’acquitter d’une amende pour “jeu interdit en cœur de parc” : « Les gens associent cet espace naturel à la liberté et ne s’imaginent pas qu’il puisse y avoir des règles et des contraintes », déplore Samuel Sempé.
Pourquoi faut-il tirer une croix sur les marshmallows grillés sur ce site ? « Quand on brûle 10 centimètres de sol, ce sont des milliers d’années qui partent en fumée, des milliers d’années nécessaires pour constituer le sol [de l’alpage] », alerte Suzanne Foret, cheffe de secteur Oisans Valbonnais au PNE. Sans oublier les risques incendies. Voilà pourquoi les agents, tantôt cachés derrière un pin, tantôt postés sur un pierrier, traquent « ceux qui partent rassembler des branches ». Une surveillance qui débouche parfois sur un « contrôle compliqué », euphémise un agent du parc. Et de raconter comment son collègue “a été chassé au bâton”, quelques jours auparavant, par un groupe prêt à tout pour sauver sa nuit blanche et contester son amende de 135 €.
La baignade n’est pas interdite. Mais il est recommandé ne pas faire trempette. La raison ? « Les lacs d’altitude sont des écosystèmes qui se forment très lentement, Pierrick Navizet, employé du parc national des Écrins. Cela peut engendrer des perturbations importantes sur le phytoplancton et les invertébrés. Et puis, la crème solaire laisse des traces dans l’eau et potentiellement des perturbateurs endocriniens. »
« La typologie des visiteurs a changé »
D’autres contrevenants tentent de négocier avec plus de diplomatie : « Mon chien n’attaque pas, il ne fait rien de mal » En apparence, du moins, puisque « rien que son odeur peut faire fuir les bouquetins et les chamois en altitude », indique Suzanne Foret. « Sans n’avoir aucune action de prédation, il suffit qu’un chien renifle la couvaison d’un tétras-lyre pour que l’oiseau abandonne tous ses petits. » Quant aux drones, « il dérange tous les oiseaux et génère un bruit aigu extrêmement stressant pour les animaux », martèle le directeur adjoint.
Ce rappel des consignes se fait parfois sur le parking au départ, avant même que le maître l’animal ou le propriétaire de l’engin volant ne commence son ascension. Tant mieux pour leur carnet de chèque : « On n’est pas non plus des va-t-en-guerre qui cherchent à verbaliser tout ce qui bouge », tempère Samuel Sempé, fier de mentionner que 35 verbalisations ont été évitées l’an dernier grâce à la « sensibilisation ».
La raison de cette vigilance accrue autour du lac du Lauvitel, facilement accessible : « La typologie des visiteurs a changé », assure le policier de l’environnement. « Ce sont surtout des gens originaires des grandes métropoles qui viennent faire leur première expérience de bivouac après avoir découvert l’endroit sur les réseaux sociaux. » À l’image de Marwen, dont le téléphone portable ne s’arrête pas de siffler : « Moi, c’est Tik Tok qui me l’a fait connaître », avoue le Parisien, qui traîne une tente « 2 secondes » encombrante. Environ un marcheur sur deux, ici, n’est jamais venu en montagne auparavant, d’après les données de la saison dernière. Pas étonnant de croiser des jeunes dévaler le sentier en chaussures de ville… ou même en claquettes.
Jusqu’à 1 500 € d’amende
« Pour un parc national, c’est une chance d’avoir des gens qui ont leur première expérience de nature », concède Samuel Sempé, décrivant à quel point ce lac d’altitude peut avoir des allures de plages du sud au cœur de l’été : « L’an passé, le pic de fréquentation sur une journée est monté à 800 randonneurs. » Et le soir, jusqu’à 80 tentes se disputent les quelques emplacements à peu près plats.
Quel paradoxe lorsqu’on sait que de l’autre côté du bassin règne un des coins de nature bénéficiant du « plus haut niveau de protection en France ». Une réserve intégrale à but scientifique, « où même nos agents n’ont pas le droit d’entrer », insiste le directeur adjoint du parc. Pas de quoi empêcher certains touristes de rejoindre ce « no man’s land » en barque, en paddle ou à la nage. Au risque d’encourir 1 500 € d’amende. « L’an passé, un individu nous a banané en nous donnant une fausse identité, se souvient le garde. Il a été surpris qu’on le retrouve. »
Article issu du Dauphiné Libéré