En Chartreuse, comme ailleurs en France, la forêt souffre des effets du réchauffement climatique qui accélère l’action des champignons et autres insectes prédateurs. Les techniciens du Centre national de la propriété forestière sont au chevet des propriétaires et de leurs forêts pour inciter à l’entretien et au reboisement en prenant les dispositions nécessaires.
Cinq à six fois par an, en lien étroit avec les associations de sylviculteurs, les techniciens du Centre national de la propriété forestière (CNPF) proposent des réunions de sensibilisation sur le terrain autour de la gestion durable des forêts, de favoriser par de petits travaux la régénération naturelle présente et de trouver les essences les mieux adaptées au changement climatique pour une plantation.
En Chartreuse, à l’invitation de Georges Puissant, président de l’Union des forestiers privés de Chartreuse (430 adhérents en Savoie, un peu moins en Isère, avec 8 hectares en moyenne), Antoine Gérardin et Juliette Venturini, techniciens du CNPF, ont procédé à un diagnostic de terrain et abordé les différentes problématiques auxquelles sont confrontés les forestiers.
Face au changement climatique
« On travaille au rapprochement des propriétaires savoyards et isérois. C’est le même massif, la même AOC [NDLR : Appellation d’origine contrôlée], les mêmes problèmes… mais pas les mêmes aides d’un côté et de l’autre », souligne Georges Puissant, rassuré par les conseils des techniciens.
« La forêt souffre de problèmes sanitaires », reconnaît Antoine Gérardin. Que ce soit le chancre du châtaignier, la chalarose du frêne ou le scolyte qui touche toute la forêt d’épicéa en France, tout est accentué par le changement climatique.
« Le scolyte existe depuis toujours, mais il n’y avait qu’une génération par an. Maintenant, il arrive à en faire trois, et c’est un développement exponentiel. »
D’où l’importance en prévention de mixer avec plusieurs essences, plusieurs âges et de porter une grande attention à maîtriser les plantations. « C’est une façon d’avoir un milieu plus complexe. »
« L’idée est de planter, d’enrichir , en fait de s’adapter », renchérit Juliette Venturini.
« On ne connaît pas les effets à long terme »
« On doit trouver des essences adaptées ou qui ont moins de risques de dépérir [NDLR : à cause du réchauffement, du stress hydrique, des maladies] », poursuit Antoine Gérardin. Ce sont des essences qui viennent du sud et supportent un climat avec 1 à 2 degrés de plus en moyenne, comme le pin laricio (très présent en Corse et en Sardaigne) ou le cèdre de l’Atlas. Mais la réussite n’est pas garantie. « Elles sont habituées au manque d’eau, mais pas adaptées partout. Tout dépend de l’exposition, de l’altitude… »
Autre exemple, le sapin Nordmann, qui s’est acclimaté au massif et a aussi tendance à s’hybrider avec son homologue pectiné, très présent en Chartreuse (40 % de la forêt locale). « Mais on ne connaît pas les effets à long terme », préviennent les techniciens du CNPF, qui préconisent aussi une analyse des sols avant de planter. Pour connaître le PH, la profondeur, la présence de calcaire actif, d’argile, l’hydromorphie…
BioClimSol, outil d’aide à la décision
« Un PH trop élevé n’est pas bon pour les érables, un problème d’hydromorphie et les racines ne respirent plus. Et s’il y a du calcaire actif dans le sol, le pin Douglas ou le châtaignier ne sont pas adaptés », liste Juliette Venturini.
Le CNPF a développé BioClimSol, outil d’aide à la décision dans le contexte du réchauffement climatique. Il modélise le dépérissement en croisant des donnés biotiques (maladies, essence, peuplement…), climatique et de sol, et permet de se projeter dans le choix d’essence de reboisement dans un scénario d’évolution climatique à +1°C et + 2°C.
« On diagnostique un niveau de vigilance, on ne prédit pas avec certitude si une essence va périr dans le futur. Nous sommes des conseillers, pas des gestionnaires », rappelle Antoine Gérardin. « L’objectif, c’est le capital de production, la viabilité pour un propriétaire, mais aussi de miser sur le capital vivant, la pérennité. Il y a des essences qui ne sont pas économiquement avantageuses, mais qui permettent d’avoir une ambiance forestière. »
Au milieu des fromages et des vins, c’est l’AOC la moins connue. Pourtant le bois de Chartreuse (le seul avec celui du Jura), après dix ans de travail, dispose de ce prestigieux label depuis octobre 2018, attribué par l’Inao (Institution national de l’origine et de la qualité). Avec le foin de Crau, ces bois sont parmi les rares produits non alimentaires à avoir reçu une appellation d’origine contrôlée.
Ce bois massif de structure destiné à la construction se présente sous la forme de sciages principalement. Les sapins et les épicéas sont récoltés de façon responsable dans les forêts identifiées du massif de Chartreuse à une altitude supérieure à 600 mètres (28 000 hectares sur 134 communes de Savoie et d’Isère) et transformés par les scieurs identifiés sur l’aire géographique.
Un savoir-faire vieux de plus de 400 ans
Bois solide et de haute résistance mécanique, il est utilisé dans différents domaines : structure de bâtiments, charpente, aussi bien en construction qu’en rénovation, à l’image de l’école de Myans, la cathédrale de Gap ou encore des 150 m2 de la Maison du parc naturel régional de Chartreuse. Sa traçabilité est assurée de sa forêt jusqu’aux scieries. Un certificat de garantie et une étiquette sur le produit sont délivrés. Tout au long de la filière et avant la mise en marché, le Comité interprofessionnel bois de Chartreuse et l’organisme de certification réalisent des contrôles pour garantir la traçabilité et la qualité du produit.
Bûcherons, scieurs, charpentiers… 350 professionnels sont partenaires de la filière et participent à la gestion durable de la forêt. L’appellation d’origine contrôlée certifie le respect du cahier des charges (obligation de bois venus d’une forêt gérée en futaie irrégulière) et un savoir-faire transmis depuis plus de 400 ans.