Si la montagne dort encore, les gyrophares bleus d’une demi-douzaine de camions éclairent déjà les routes sinueuses qui mènent aux stations de ski de l’Oisans.
À vue d’œil et à mesure que les chasse-neige grimpent, les gouttes de pluie se changent en flocons. Le début d’une course contre la neige que les agents du Département ont commencé à 4 h, comme à chaque fois qu’une nuit glaciale dépose un bon plâtrage.
« Si on n’ouvre pas la route, personne ne monte »
« Il y a une quinzaine de centimètres là-haut ! », prévient Régis, au volant de son poids lourd depuis 21 ans. « Si on n’ouvre pas la route ce matin, personne ne monte », assure son binôme, Marc, qui trépigne sur le siège passager. Ce matin humide de fin janvier, pour la pause-café, on repassera.
« La première fois que tu montes là-dedans, tu as l’impression d’être dans un avion de chasse », plaisante le copilote, désormais apte à déchiffrer les mystérieuses commandes qui entourent le siège de Régis. Le conducteur appuie sur un bouton et oriente une manette. Tout à l’instinct. Sans ne jamais quitter des yeux le tapis blanc qui recouvre l’asphalte. Une lame de plusieurs centaines de kilos, fixée à l’avant de l’engin, épouse désormais le goudron, direction Villard-Reculas. Puis Oz. Puis Vaujany.
« Là je me régale, je suis comme un gamin », s’excite Marc, qui se rapproche doucement de la retraite, sans pour autant s’éloigner de sa « passion pour les poids lourds » : « Quand tu passes avec l’étrave sur une route toute blanche, sans une trace, et que tu vois dans ton rétroviseur qu’elle est devenue toute noire, avec un bourrelet de neige sur le côté, c’est hyper gratifiant. »
« C’est un service public, on fait notre métier »
Le vrai sentiment du devoir accompli ? « C’est de savoir que tout le monde arrive à destination sans accident, sans finir dans un fossé, et sans nous avoir vus bosser », confie modestement Marc. « C’est un service public, on fait notre métier », complète Régis, à l’aise dans le costume du héros invisible. Peu importe si les collégiens n’auront pas la moindre pensée gratifiante, au moment de sauter dans leur bus, d’ici quelques heures. Tant pis pour le manque de reconnaissance des saisonniers et des touristes.
Indifférents, le plus souvent. Méprisant, parfois. En témoigne l’inévitable « vous auriez pu venir plus tôt », qui n’atteint presque plus les deux hommes. « Pour certains, la neige n’est pas encore tombée qu’il faudrait déjà qu’on l’enlève », ironisent ceux qui s’acharnent à coiffer dame Nature au poteau.
Heureusement, de temps à autre, sur le bord de la route, un automobiliste « en galère » leur adresse « un signe de la main », soulagé de comprendre qu’il n’aura pas à batailler avec ses chaînes à neige. Il y a aussi les « gamins », qui ravivent chez Marc des souvenirs enfouis : « Quand ils font la queue avec leurs parents pour acheter un forfait avec les skis sur le dos, ils nous voient passer, lâchent tout et ne nous quittent plus des yeux. Ils rêveraient de monter dans le camion. »
Des heures à sillonner les routes
Bientôt 100 kilomètres au compteur. La déneigeuse circule depuis plus de 2 heures. À vitesse modérée. « Si on roule trop vite, le sel s’éparpille et finit dans les fossés », précise le plus ancien, tripotant les boutons d’un boîtier orange. Un énième équipement qui contrôle la quantité et la portée de poudre magique : « Le sel glisse dans une goulotte à l’arrière avant d’être projeté sur le sol grâce à un disque. » De quoi ramollir la dernière couche de neige, très fine, que la lame seule ne parvient pas à balayer.
Marc prend le volant. Régis se repose. Enfin presque. Il faut continuer de balayer du regard le bout de paysage révélé par les pleins phares : « Il n’y a pas que la neige, il peut y avoir des pierres ou des animaux sur la chaussée, un panneau de signalisation touché par un problème ou un arbre en bord de route qui présente un danger. »
Sans oublier de jeter un coup d’œil au ciel, au moment où sa montre indique l’heure bleue « On voit le sommet des montagnes et les étoiles. » Mauvais présage. Les nuages ont déserté. Un froid sec menace désormais les routes des vacances, annonçant l’arrivée d’un nouvel ennemi : « La température peut baisser d’un coup et les routes [encore humides] peuvent geler derrière. » Retour à la base pour faire le plein de sel. Avant de repartir chasser le verglas. Qu’en est-il de la neige ce matin ? « La partie est déjà gagnée », se félicite Marc.
Article issu du Dauphiné Libéré