Ce n’est pas le sentier le plus commun pour accéder à La Pinéa et ses 1 771 mètres d’altitude. Mais le sentier Vermorel est malgré tout un chemin bien connu des amateurs de la montagne offrant une vue spectaculaire sur le massif de Chartreuse. C’est aussi pour ces raisons que la voie est régulièrement choisie pour être l’un des maillons des nombreux trails proposés dans le secteur. C’était le cas du Raidlight trail festival, à la toute fin du mois de mai, et du Grand Duc, les 28 et 29 juin, tous les deux au départ de Saint-Pierre-de-Chartreuse.
Mais tout récemment, l’organisation a informé ses participants d’un nouveau tracé, sans Vermorel donc. Jonathan Rouquairol, organisateur prestataire des deux courses, a dû réécrire les tracés en urgence, apprenant l’opposition du propriétaire à voir les épreuves passer sur ses terres. Le professionnel de l’organisation de courses en plein air ne cache pas « son inquiétude, son stress ». Car ce qui se joue avec cette histoire, comme ce fut le cas aussi au trail de Paladru, en avril dernier – deux courses avaient été amputées de plusieurs kilomètres quelques minutes avant le départ –, c’est celle de la cohabitation en montagne. Celle du partage entre les propriétaires privés, majoritaires dans les massifs isérois, et les différents usagers des montagnes.
Le sentier est pourtant bien référencé sur les sites de randonnée, et notamment sur celui de la Métropole de Grenoble, gestionnaire du Plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée du secteur. Toutefois, le propriétaire (qui ne veut pas témoigner en son nom) que nous avons contacté est clair.
Il s’inscrit dans la ligne de la position du marquis de Quinsonas-Oudinot, nous dit-il. Ce sentier étant sur sa propriété, il refuse maintenant qu’il soit emprunté. « J’avais mis des panneaux de propriété privée il y a une année », mais « ils sont régulièrement arrachés », dit-il.
Au sujet des trails, les coureurs « passent chez nous, piétinent les cultures ». Et leurs organisateurs ne demandent pas les autorisations de passage, « ils ne s’embêtent pas et on ne peut plus le supporter », répond-il.
« La Métro est malhonnête, j’ai assisté à une réunion et ils étaient en terrain conquis »
En colère aussi, le propriétaire, gérant d’un groupement forestier, l’est contre une prochaine course, celle du Néron qui doit avoir lieu… le jour d’ouverture de la chasse. « On nous demande de nous écarter », s’agace encore l’Isérois propriétaire « de plusieurs hectares » de terres en Chartreuse.
Il attaque aussi la Métropole de Grenoble qui référence son chemin, sans qu’il n’y ait de convention signée. « La Métro est malhonnête, j’ai assisté à une réunion et ils étaient en terrain conquis. Ils définissent les sentiers de promenade sans rien demander. Je ne veux pas discuter, [ma décision] est irrévocable », dit-il, très critique aussi vis-à-vis d’un arrêté qui l’empêche d’accéder en voiture à ses terres forestières, de Pomarey vers le col de la Charmette, alors que, dit-il, les touristes et marcheurs « ne sont pas sanctionnés ».
« Nous sommes dans notre droit », assure-t-il encore faisant référence à la très commentée loi de 2023 sur la propriété privée. « Je sais que je vais me faire mal voir, mais je ne suis pas le seul. On ne nous respecte pas. »
Alors qu’il s’énerve contre les coureurs qui piétinent les cultures ou jettent « leurs plastiques de barres de céréales », contre les VTTistes qui « écrasent tout », il ne veut pas les qualifier de « minorité ». « La minorité, elle a augmenté depuis le Covid. Elle est en train de tout démolir. »
« Qui est responsable s’il se passe un accident ? »
Une histoire qui en fait penser forcément à une autre. Celle de la réserve des Hauts de Chartreuse, où la randonnée est de nouveau autorisée, mais de haute lutte. « Nous avons des contraintes qui nous sont imposées par le Parc régional, par l’ONF, on ne fait pas n’importe quoi, réagit encore l’Isérois, fort d’une décennie d’organisation de trails. Nous respectons à 100 % les sentiers référencés au PDIPR [Plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée]. »
Sauf que dans le cas du sentier Vermorel, le propriétaire affirme n’avoir jamais autorisé le passage par ses terres. « Ils créent des PDIPR mais sans qu’il y ait de convention », réagit le propriétaire qui préfère rester anonyme. « Je ne suis pas forcément contre, quoi que j’aurais sûrement à redire, mais il n’y en a jamais eu. Et il y a des enjeux de responsabilité : qui est responsable s’il se passe un accident ? » Contactée, la Métropole de Grenoble, gestionnaire du sentier, n’a pas répondu à nos sollicitations.
La question du libre accès à la montagne
Voyant le conflit poindre, l’organisateur Jonathan Rouquairol a préféré « temporiser », et modifier le tracé. « Je ne me voyais pas mettre 1 000 personnes sur des chemins engageants dans ces conditions. » Mais « certains me disent qu’il ne faut pas lâcher prise, ne pas laisser faire », car il est en creux question, là encore, du libre accès à la montagne. « Je ne veux pas mettre en péril les courses ! Je suis là pour trouver des solutions aux problèmes, pas pour en créer d’autres. »
Le propriétaire lui, rappelle la loi sur la propriété privée et tacle les usagers de la montagne, « des milliers de gens tous les jours, qui ne respectent rien. Ils disent que la montagne est à tout le monde, mais il n’y a que les propriétaires qui paient les impôts… »
Alors que les organisateurs de trail devraient en théorie s’assurer de l’accord de chaque propriétaire en créant leurs parcours, c’est la pérennité de ce type d’organisations qui va être interrogée… Même si ces incidents se comptent sur les doigts de la main pour le moment, vont-ils donner des idées à d’autres ? « Tout ça ressemble quand même beaucoup à l’évolution de notre société », constate amer Jonathan Rouquairol.
Le Parc régional de Chartreuse est consulté par les organisateurs de trail au moment de l’élaboration des tracés sur le massif. Il étudie les parcours et veille aux impacts sur les espaces Natura 2000, les alpages et la réserve des hauts plateaux, précisément. Son rayon d’action donc…
« On encourage à emprunter les chemins de Plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée (PDIPR). En théorie, les propriétaires de ces chemins ont donné l’accord pour la randonnée, mais les organisateurs doivent quand même demander l’autorisation pour que les courses empruntent ces espaces », répond le Parc. Qui précise être dans l’entretien des chemins du PDIPR, qui sont en revanche bien portés par le Département…
Est-ce que le Parc doit être médiateur ? Clairement non, répond le PNR qui renvoie vers la loi – que la loi – tout en voulant clairement relativiser : « Il s’agit d’un seul propriétaire sur beaucoup d’autres. »
« Il faut être attentif aux dégâts sur les espaces naturels »
Une démarche confirmée par Christophe Suszylo, vice-président du Département au tourisme. Sans s’exprimer sur le cas précis du sentier Vermorel, il précise : « Quand on labellise un chemin PDIPR, c’est pour la randonnée à pied ou équestre, le trail ce n’est pas la même chose. »
Alors que jusqu’ici, les conflits étaient inexistants ou très occasionnels, le maire du Versoud a vu après la pandémie de Covid une forme de bascule. « Nous constatons un large mouvement pour profiter de notre belle nature, et c’est normal. Mais il faut être attentif aux dégâts sur les espaces naturels. Il est important de faire de la pédagogie pour que chacun comprenne les enjeux. »
Et il est vrai, reconnaît le vice-président, que dans la majorité des situations, des conventions n’ont pas été signées entre propriétaires et gestionnaires pour clarifier les usages. « Nous intervenons au coup par coup. »
En Isère, on compte 9 000 km de chemins PDIPR pour environ 30 000 propriétaires. L’élu rappelle que le Département consacre 700 000 euros de budget chaque année à ces chemins.
Article issu du Dauphiné Libéré





