Ce printemps, la Meije (3983 mètres), sentinelle entre Alpes du nord et du sud, a gardé sa parure hivernale. Difficile d’y lire les stigmates du réchauffement. Il est une double évidence : son succès ne se dément pas, ses refuges affichent complet. Pourtant, le voyage autour de la reine de l’Oisans, alpin en diable, cure de déconnexion de trois jours (ni Wifi, ni 4G) s’avère plus délicat.
Avant Covid, le tour de la Meije était devenu tendance, se hissant dans le top 5 des plus beaux raids à skis. À Villar-d’Arêne (Hautes-Alpes), au refuge de Chamoissière, porte d’entrée de cette haute route, le gardien Sébastien Louvet est témoin et acteur du changement.
Voilà dix ans qu’avec Sylvie, son épouse, il a transformé une ancienne vacherie à 2000 mètres d’altitude en étape cosy de 18 places, alimentée par le turbinage du torrent. Et à 100 mètres de là, l’historique refuge de l’Alpe et ses 94 couchages ne désemplissent pas. « Or la dérive climatique complique le tour. Dans les Écrins, passer d’une vallée à l’autre a toujours été plus technique. Mais lors des hivers très enneigés, la saison ne commençait pas avant la mi-avril. Aujourd’hui c’est l’inverse. Il faut inventer des alternatives pour les années où ça ne passe plus, quitte à ouvrir dès février. »
À la Fédération française des clubs alpins et de montagne (FFCAM), Niels Martin, directeur adjoint, entend faire muter les esprits et parle de randonnée « autour » de la Meije plutôt que de tour de la Meije. Quitte à rayonner depuis un lieu fixe ou inventer d’autres boucles, autour de la Grande Ruine (3765 mètres), par exemple. Telle est la perspective ouverte par l’adaptation des refuges du secteur.
Le refuge Adèle-Planchard a été rénové
De l’autre côté, versant Vénéon (Isère), bouleversé par les crues de juin 2024 et les événements climatiques précédents, certains ne sont déjà plus gardés. De ce côté-ci, aux sources de la haute Romanche, on les recalibre. 1200 mètres plus haut, la Société des touristes du Dauphiné (STD), créée en 1875, a redonné une jeunesse à son refuge Adèle-Planchard.
« Dire qu’avant on s’y lavait dans l’évier », se souvient Louvet qui l’a gardé jadis. Son célèbre mur « Trombe », à énergie passive, laisse désormais entrer la lumière et la vue sur la barre des Écrins. « Avant, c’était l’air, le froid et la neige qui pénétraient », se félicite Guillaume Mercier, le gardien dont le couscous a un goût d’ailleurs.
Comment faire face à l’afflux de demandes sur une saison plus courte ? Adèle est la dernière halte pour basculer en versant isérois, via le Col des Neiges et la Casse Déserte, battus par les vents, de plus en plus secs. Premier passage à 3500 mètres, rendu plus difficile par le climat. Naguère, les bons skieurs basculaient en glissant dans une première pente à 45°. Désormais, des rappels ont été équipés pour prendre pied sur le glacier dont le niveau baisse.
« L’avenir est aux petites unités et à la sobriété »
Voilà qu’un itinéraire bis se profile avec le tout nouveau refuge du Pavé, dans le vallon d’à côté. La nouvelle adresse, à 2841 mètres, près d’un lac glaciaire, déleste Adèle pour un accès direct au versant isérois. Ce bâtiment semi-enterré pour le protéger des avalanches et des chutes de pierres est gardé au printemps contrairement à son prédécesseur, spartiate.
Pour sa gardienne Pauline Muller, cette adresse de 30 places est plus qu’une étape sur le tour de la Meije : « C’est un camp de base pour d’autres itinéraires ». Il ouvre le champ des possibles. Et au club alpin français, Niels Martin y voit l’archétype de la nouvelle génération d’abris. « L’avenir est aux petites unités et à la sobriété ». Basculer de l’autre côté par le col du Pavé exige de savoir manier piolets et crampons, pour franchir un passage abrupt et skier sous la face sud de la Meije, « avec le frein à main », dans une pente suspendue au-dessus d’un précipice glaciaire.
Quant à la classique, venant d’Adèle, elle remonte ce vallon des Étançons dont la partie aval a été ravagée par les aléas climatiques. En bas, on devine le chaos de la vidange du glacier de Bonnepierre qui a contribué à engloutir la Bérarde. À mi-chemin, le Chatelleret, bâtiment fantôme, rappelle que dès 2023, ce versant isérois des Écrins était frappé.
« Dans le vallon, il n’y a aucun moyen de s’échapper. Le salut est par le haut en cas de souci »
Dans un environnement déstabilisé par le dégel, le refuge n’est plus gardé depuis deux ans. 850 mètres et deux heures d’effort plus haut, le Promontoire est une cabane arrimée au socle de la face sud de la Meije. À 3092 mètres, Sandrine Delorme est bien seule. Depuis juin dernier, c’est le seul refuge du haut Vénéon gardé. « Dans le vallon, il n’y a aucun moyen de s’échapper. Le salut est par le haut en cas de souci » : la brèche de la Meije et derrière La Grave via son téléphérique. La gardienne a beau tenir le choc, l’été s’annonce flou. La route de la Bérarde ne devrait être accessible que par trois navettes quotidiennes.
Du Promontoire s’élance la dernière étape, dans l’ambiance de la face nord. Les affaires se corsent et le dilemme se pose : abréger le tour à La Grave ou boucler la boucle par l’Aigle, refuge de carte postale, à 3450 mètres ? « Il ne faut pas vouloir faire des croix à tout prix en se focalisant sur le tour », tempère Sandrine.
Car l’Aigle se gagne par un couloir qui se raidit avec le mercure. Le Serret du Savon, coup de sabre de 200 mètres à plus de 40° surplombant des pentes fuyant vers la Romanche, prend des airs de verrou. « Et ce tour qui autrefois se faisait systématiquement est devenu aléatoire. La physionomie du couloir a changé, rendant l’accès compliqué ou impossible selon l’enneigement. Le Serret devient une goulotte de glace, une barre rocheuse s’est formée », indique Olivier Giroud, coprésident des guides de La Grave. Avec l’accord du Parc des Écrins et ses collègue de la Compagnie Oisans-Écrins, il a posé des points d’assurage dans ce corridor. « De façon à permettre de progresser en sécurité. L’adaptation passe aussi par un peu d’équipement pour pérenniser le tour ».
Article issu du Dauphiné Libéré