À 1 600 mètres d’altitude, le thermomètre affiche certaines nuits – 15 °C. Un modeste radiateur d’appoint souffle 24 heures sur 24 dans le camping-car de Mathilde et Laurent : « C’est un vieux modèle, l’air frais arrive assez vite. Mais quand ton chauffage est lancé, il fait aussi bon que dans une maison », assure ce couple belge qui travaille dans un supermarché des Deux-Alpes pendant la moitié froide de l’année.
300 € par mois
Heureusement, l’électricité, comprise dans le forfait parking, est illimitée. 300 € par mois pour avoir accès à l’eau et aux bornes sur les huit emplacements réservés aux travailleurs saisonniers. « C’est trois fois moins cher qu‘une location d’appartement dans la station », se console Mathilde, qui rêvait d’être embauchée pour un des rares postes nourris logés du secteur.
En revanche, pour ces nomades qui ont acheté leur maison ambulante 10 000 €, pas question de troquer quelques mètres carrés supplémentaires contre un loyer à 1 000 € par mois, tarif de location commun pour un petit appartement, d’après une agence immobilière du secteur. « C’est plus de la moitié de ton salaire qui part », soupire Laurent. « On a beau être deux, ça reste beaucoup trop cher », renchérit sa compagne.
« Vivre dans le camion, c’était mon plan B »
La porte du Challenger garé sur l’emplacement d’à côté s’ouvre. C’est Clément, un voisin saisonnier, qui a posé ses cales pour l’hiver. Il progresse prudemment sur la plaque de verglas qui le sépare du véhicule des Belges pour trinquer à son jour de congé : « Vivre dans le camion, c’était mon plan B, affirme ce chauffeur, qui récupère des touristes jusqu’en Suisse pour les acheminer jusqu’à la station de l’Oisans. J’ai passé plusieurs semaines à chercher un appartement, mais j’ai eu très peu de réponses. Beaucoup de propriétaires préfèrent loger en Airbnb. »
Une tendance confirmée par Anna, chargée de commercialisation dans une agence immobilière des Deux-Alpes : « Les propriétaires font de la gestion locative à la semaine, c’est nettement plus rentable. Pendant les grosses vacances de Noël, du nouvel an et de février, il faut compter 900 € la semaine. D’année en année, il y a de moins en moins de logements pour les saisonniers. » À quoi ressemblent les appartements restant ? « Ce sont des colocations dans un studio où les saisonniers trouvent un coin de canapé. »
« En termes de confort, je suis bien mieux ici »
Pas la peine d’y penser pour Antoine, qui travaille jusqu’en avril au service technique de la commune. Le trentenaire pointe du doigt le studio de musique qu’il a aménagé au fond de son poids lourd, deux énormes enceintes étant fixées aux parois de sa caisse isotherme : « L’espace est bien mieux agencé que dans les appartements des copains où ils sont serrés dans une pièce. En termes de confort, je suis bien mieux ici. ».
Plus rentable et plus confortable que l’offre réduite de logements, à condition, comme la plupart des saisonniers, d’investir dans un véhicule d’occasion. Tant pis pour les quelques « galères » d’un hiver sur 4 roues. Mathilde commence à s’habituer à charrier son bidon d’eau sur 200 mètres, à l’aide d’un skateboard. Constant, propriétaire d’un Rapido plus vieux que lui, ne se plaint pas les matins où il doit dégeler la tuyauterie de son évier. Et pour Clément, mieux vaut rire du jour où les températures glaciales n’ont pas épargné son réservoir d’eaux usées : « J’ai dû utiliser le sèche-cheveux », s’amuse le saisonnier. Sans avoir besoin de faire un dessin.
La troupe partage également l’asphalte avec des vacanciers, répartis sur une vingtaine de places, à 110 € la semaine. De quoi donner au parking, perçu par ses résidents comme le plan le plus économique de la station, des airs de village dans la ville.
C’est une mission qui s’apparente à celle d’une agence immobilière : le service logement de la mairie des Deux-Alpes réalise une « médiation » entre un certain nombre de bailleurs privés et de travailleurs souhaitant résider sur la commune. Si l’on ajoute ces appartements à ceux que contient le parc communal, plus de 100 logements sont mis à disposition des agents municipaux et des socioprofessionnels. Problème : « Nous avions un seuil pas loin des 200 logements, mais depuis le covid, nous en avons perdu la moitié puisque des propriétaires ont voulu en récupérer la jouissance », rappelle la municipalité.
Depuis son investiture en 2023 , la nouvelle majorité se félicite d’avoir investi « plusieurs millions d’euros » pour tenter d’apporter des solutions pérennes à la tension sur le marché locatif. La location touristique sera ainsi prohibée dans les cinq futurs appartements, hébergés dans un ancien presbytère et une vieille école en cours de réhabilitation. Courts séjours interdits, également, dans les 17 logements de l’ancienne résidence Okaya, rachetée par la commune et revendue à un promoteur sous conditions strictes.
Article issu du Dauphiné Libéré