Benjamin Védrines est-il l’oiseau rare de sa génération ? Celui qui semble toujours repousser la limite humaine. Seul, dans son espace de liberté, encordé à sa volonté. De sommet en sommet, il force l’admiration de ses pairs. Les autres guides de haute montagne se disent « époustouflés ». Quelques jours après sa performance au K2, le sprinter des cimes est de retour au Monêtier-les-Bains, où il vit. De retour après un exploit qui a marqué le monde de l’alpinisme : la réalisation de l’ascension du K2 en un temps record , 10 h 59 mn 59, là où le précédent s’établissait à 23 heures, en 1986. Il était détenu par Benoît Chamoux.
Ce record a retenti très fort dans le milieu, des vallées jusqu’aux sommets. « C’est tellement lunaire ce qu’il fait. Tout l’été, dans les refuges, le sujet de Benjamin Védrines est ressorti, avec ses exploits multiples. Et en plus, c’est un gars du coin », s’enthousiasme Benjamin Ribeyre, guide de haute montagne au bureau de La Grave et alpiniste, lui-même auteur d’ouvertures, notamment en cascade de glace.
« On sait ce que représentent ces records »
Benjamin Védrines est aussi guide de haute montagne. Il fait partie de la compagnie Oisans-Écrins. « Nous sommes très contents pour lui, il s’est entraîné comme un malade, a fait des réalisations hors du commun. Il s’est donné toutes les chances », estime Thierry Francou, le futur président de la compagnie des guides, et membre du bureau de Briançon.
Benjamin Védrines est né à Châtillon-en-Diois (Drôme). Mais les Hautes-Alpes sont devenues son camp de base il y a déjà plusieurs années. Les guides de haute montagne locaux le connaissent. « Les guides, nous sommes comme les autres, sauf qu’on sait ce que représentent ces records. On est époustouflé, et on a même du mal à comprendre comment il fait ça aussi vite, et avec toutes les difficultés que ça représente, que ce soit à skis ou en escalade », poursuit Thierry Francou.
« Ce n’est pas un coup de bol »
Ces exploits font-ils la fierté du département ? Représentent-ils une vitrine ? « Il n’y a pas forcément la même appropriation que lorsque l’équipe de France de foot marque un but. Les gens disent “on a marqué”, mais pas “on a fait le K2” », sourit Benjamin Ribeyre. « Pour un public averti, la performance de Benjamin [Védrines, NDLR] parle vraiment. Il a fait le Broad Peak en 7 heures, là, il réitère un exploit. Ce n’est pas un coup de bol, c’est prévu, annoncé, il est très bien suivi et se donne les moyens », poursuit Benjamin Ribeyre, qui vante également les qualités humaines de son ami Benjamin Védrines.
L’élite de l’élite, la crème de la crème
Ce dernier, à 32 ans, fait partie d’une minorité d’alpinistes professionnels. « Nous sommes admiratifs, et inquiets pour lui aussi », souffle Thierry Francou. « Il n’y a pas que les records de temps, mais les difficultés aussi qui impressionnent. La haute montagne est pluridisciplinaire. Ce n’est pas une tête brûlée, il sait ce qu’il fait. Mais, quand on fait de l’extrême, on frôle le danger, on est obligé d’accepter une part de risque. C’est l’inverse de ce que nous, guide, véhiculons », estime le guide de Briançon. « Ce qu’on explique à nos clients, c’est que nous évoluons dans un milieu dangereux. Et comme nous n’avons pas envie d’y rester, nous nous formons et faisons en sorte de minimiser au maximum les risques, comme les gens en mer. Dans tous les sports, il y a des élites, des professionnels. Il faut se rendre compte qu’il n’y a que quelques personnes au monde qui peuvent faire ça. Il sait lui-même qu’il ne pourra pas continuer sur ce rythme-là car c’est un jeu très dangereux. »
« Même nous, les experts, on a du mal à comprendre »
Christophe Moulin fait partie des formateurs de Benjamin Védrines. Il est guide de haute montagne, moniteur de ski, a été entraîneur national de ski alpinisme à la Fédération française de montagne et d’escalade pour les jeunes de haut niveau. À 66 ans, il est toujours, aujourd’hui, professeur de sport, uniquement d’alpinisme, pour la Fédération française des clubs alpins et de montagne (FFCam). Il participe au développement de l’alpinisme. Il s’occupait, jusqu’en 2018, du groupe de haut niveau, participant, avec eux, à des expéditions, pendant quinze ans, et des courses très difficiles dans les Alpes. Depuis 2018, il se consacre aux jeunes. Benjamin Védrines est passé par ces équipes. « Il était très fort en endurance, adorable et très altruiste », se souvient Christophe Moulin. « À l’époque, j’ai fait le col du Pavé et la Meije orientale avec lui. Il m’avait fait tirer la langue ! Je m’étais dit : “ il a un potentiel incroyable”. Il avait 17 ans. »
Après le groupe départemental et régional de la FFCam, Benjamin Védrines a intégré le groupe excellence, en 2016. « Je suis très admiratif et très fier d’avoir apporté une petite pierre à l’édifice. Ce qu’il vient de faire au K2, un 8 000’, sans oxygène, est un vrai exploit », juge Christophe Moulin. « Même nous, les experts, on a du mal à comprendre. Le k2 en 11 heures, c’est lunaire. Il fait partie des exceptions. Les records sont faits pour être battus, mais quand il le sera, ce sera aussi par un être d’exception. »
Selon Christophe Moulin, Benjamin Védrines a « une des meilleures capacités mondiales en endurance. Globalement, très peu de guides font des expéditions sur des 8000’. Dans les Hautes-Alpes, il doit y en avoir cinq ou six sur environ 300 que compte le département, qui participent à des expéditions en Himalaya ou en Alaska. Il y a quelques guides de haut niveau, comme Mathieu Maynadier , qui a aussi fait partie des équipes de la FFCam. Ce sont des guides qui ont une grande expérience des expéditions. Généralement, les guides font des treks ou des sommets d’altitude modérée pour vivre des aventures avec leurs clients. Les alpinistes qui font du haut niveau comme Mathieu Maynadier, Mathieu Détrie, Benjamin Védrines, ne font pas d’activité de guide en expédition », poursuit Christophe Moulin.
Mathieu Maynadier est l’un des premiers Haut-Alpins à être devenu un professionnel de l’alpinisme, à vivre de ses sponsors. Jean-Christophe Lafaille était professionnel, aussi. « Ces guides vont chercher des aides pour subvenir à leurs besoins, sans passer du temps à travailler, car ils doivent s’entraîner. Mais, avec ce système de sponsors, il peut y avoir de la pression, car, derrière, il faut avoir des résultats. Il faut être solide », estime Christophe Moulin.
« Benjamin Védrines est hors-norme mélange tous les genres, le ski de pente raide aussi, et tout à un haut niveau. Mais, il est lucide, il sait qu’il ne fera pas ça toute sa vie. J’espère qu’il sera capable de dire stop », remarque-t-il.
C’est ce qu’a fait Christophe Moulin, guide et alpiniste, également auteur d’exploits dans les années 1990, mais jamais sponsorisé : « J’ai refusé, à cause de la pression. » Il est l’auteur de plusieurs solos d’ampleur. « Je ne suis jamais allé sur des 8 000 car je n’en étais pas capable. Mais j’ai fait des faces en Alaska, à 5 000 ou 6 000 mètres, très pointues d’un point de vue technique. » Il partait seul, en hiver, dans les Écrins, aussi. « À l’époque, personne ne faisait ça. L’engagement était particulièrement énorme » : face nord de la Meije, face nord de l’Ailefroide… « Maintenant, le matériel a évolué et avec le réchauffement climatique, on fait plus de montagne l’hiver. »
En 1992, il a reçu un trophée de cristal pour la meilleure réalisation de l’année. « Cette reconnaissance de mes pairs a été quelque chose de très important. »
Article issu du Dauphiné Libéré