La montagne peut-elle encore être un espace de liberté totale ?

Pendant longtemps, en Haute-Savoie, on a utilisé le mot “cohabitation” pour évoquer le partage de la montagne. Une cohabitation entre, d’un côté, ceux pour qui elle est un espace de travail et un lieu de vie (alpagistes, restaurateurs, habitants), et, de l’autre, ceux pour qui elle est un endroit de loisir et de récréation (citadins, sportifs, randonneurs).

La montagne serait-elle devenue un lieu de conflits ?

Aujourd’hui, le vocabulaire a changé. Lors du dernier congrès de la Société d’économie alpestre de Haute-Savoie (SEA 74), de nombreux interlocuteurs ont utilisé le terme “confrontation” pour décrire la relation entre ces différents publics. Un glissement sémantique qui surprend et qui interroge. La montagne serait-elle devenue un lieu de conflits ? Un endroit où les envies des uns se heurtent inévitablement aux intérêts des autres ? Un espace où la liberté totale n’est plus d’actualité ? Décryptage.

En premier lieu, il convient de rappeler que les réponses à ces questions sont loin d’être évidentes. « Notamment parce que ces sujets multiplient les regards », expliquait, toujours lors du congrès, Anne-Lise Bard Houdant. Pour la directrice de la SEA, tout ceci s’apparente à une équation à trois inconnues : « Primo, on a cette vision ancrée de la montagne comme un espace de loisir, de ressourcement et de liberté, deuzio, on a une massification indéniable du tourisme, qui a d’ailleurs été voulue en son temps, et tertio, on a le besoin impérieux de préserver ce qui fait, aussi, la richesse de la montagne : le pastoralisme et les traditions en général. »

Selon elle, conjuguer tous ces aspects passe, plus que jamais, « par le dialogue, l’innovation (à travers les outils numériques) et le ciblage des messages adressés aux usagers (par exemple en travaillant avec des influenceurs) ».

Plateau de Beauregard, alpage des Vaunessins. Photo Sea 74
Plateau de Beauregard, alpage des Vaunessins. Photo Sea 74

« Parce que c’est un lieu ouvert, ils rentrent chez moi, viennent dans ma cuisine »

Une stratégie à laquelle Guillaume Loueillet, alpagiste à La Clusaz, a du mal à adhérer. « Je travaille aux Vaunessins, sur le plateau de Beauregard, et c’est un endroit où il y a tout le temps des promeneurs, des randonneurs, des VTT… En toute saison et du soir au matin. Généralement, ça se passe bien, on fait des visites de la ferme, ils achètent nos produits. Mais de plus en plus, ça se passe mal. Les rencontres se tendent. » Pourquoi ? « Parce que les gens, malgré nos rappels, ont du mal à respecter les consignes et la signalétique. Ils oublient qu’il ne faut pas piétiner l’herbe, sauter une barrière, ni nourrir les bêtes. Parfois même, parce que c’est un lieu ouvert, ils rentrent chez moi, viennent dans ma cuisine. Un jour, je vais en retrouver dans ma chambre ! »

Et de regretter le fait d’être « seul » face à ces situations. « Du coup, on passe pour les méchants alors que mon pré, c’est un espace de travail, pas de loisir. » Selon lui, une des clés pour faire baisser la pression serait, justement, « d’avoir du renfort » lors des pics de fréquentation.

« L’accès total à la montagne est révolu »

Au Pays du Mont-Blanc, c’est également ce que préconisent – et appliquent déjà – les élus. « Sur notre territoire, on embauche des jeunes l’été pour sensibiliser les promeneurs. Ils sont formés par les alpagistes eux-mêmes et se répartissent nos sites stratégiques selon un calendrier établi », témoigne Jean Bertoluzzi, le maire de Combloux.

Grâce à ce dispositif, près de 3 000 personnes ont été touchées en 2024. « On fait aussi des réunions d’information auprès des clubs et des associations sportives pour qu’ils rappellent les bonnes pratiques à leurs adhérents et en fassent des ambassadeurs », complète l’élu. Sur ce même territoire, Guillaume Mollard, agriculteur, ajoute qu’en plus de la sensibilisation, ces renforts pourraient « faire de la répression ». Et d’imaginer embaucher, sur certains secteurs, des gardes-champêtres pour faire respecter les arrêtés. Voire verbaliser les randonneurs indélicats.

Ce durcissement n’est toutefois pas souhaité par tout le monde. Gérard Fournier-Bidoz, président de la communauté de communes des vallées de Thônes, pense qu’avant de sanctionner et d’interdire, « on pourrait peut-être cloisonner la montagne. » Autrement dit : « Indiquer, très simplement, que de ce côté de la barrière on peut faire du VTT ou du bivouac et que de ce côté, il y a une exploitation à ne pas perturber. » « Si on ne peut pas contrôler le comportement des gens, alors il faut les orienter », résume l’élu. Quoi qu’il en soit, ce dernier en est persuadé : « De nos jours, l’accès total à la montagne est révolu. Et déterminer comment on y cohabite plutôt que comment on s’y confronte est un de nos plus grands chantiers d’avenir. » Une affirmation que personne ne contredira.

Article issu du Dauphiné Libéré

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