Les évènement sportifs sont-ils en danger face au réchauffement climatique ?

Carlos Felicia a eu très peur. Le 19 juin 2022, l’organisateur de la Saint-Albanaise, un trail à Saint-Alban-de-Roche, voit l’un des participants franchir la ligne d’arrivée en titubant. Son chrono est excellent mais pas son état de santé. Ce jour-là, les conditions sont caniculaires. Questionné par sa compagne, le coureur n’a plus aucun souvenir de la course qu’il vient d’effectuer. Il est embarqué de toute urgence par les pompiers et envoyé à l’hôpital de Bourgoin-Jallieu où il restera tout le week-end. Le président de l’association Courir à Saint-Alban se le promet alors, ça ne peut pas continuer ainsi. L’année suivante, il avance l’épreuve au mois d’avril, pour éviter les fortes chaleurs. « J’ai eu trop peur qu’il y ait un drame, explique Carlos Felicia. On n’organise pas un tel événement pour mettre des vies en danger. »

Cette réflexion autour de la santé des athlètes, Carlos Felicia n’est pas le seul à la mener. Si, en Isère, aucun évènement n’a connu de drame à la hauteur de celui du Haut-Giffre, le week-end dernier en Haute-Savoie (un mort et 16 blessés) , de nombreuses associations ou structures événementielles spécialisées dans le sport sont contraintes de s’adapter à des épisodes météorologiques de plus en plus intenses sur notre territoire.

« On n’hésite pas à shunter une difficulté pour proposer des parcours plus cool »

Le samedi 8 juillet 2023, les 1 500 participants engagés sur la Grande Course et le Maratrail des Passerelles du Monteynard reçoivent un mail, 24 heures avant le début des deux courses.

Il y est indiqué qu’en raison d’un épisode de canicule, l’organisation, en étroite concertation avec les services de secours, a décidé de réduire la distance et la difficulté des parcours. Le but ? Éviter la cime du col du Sénépi, trop exposée au soleil. « C’est à nous de nous adapter à l’instant T en fonction de l’évolution de la météo, analyse aujourd’hui Eric Le Pallemec, le patron d’Idée Alpe qui organise le trail des Passerelles. Nous avons toujours un plan B et même un plan C en tête en cas de conditions difficiles. On n’hésite pas à shunter une difficulté pour proposer des parcours plus cool. C’est ce qu’on a fait sur le triathlon de la Madeleine au mois d’août par exemple ». Un mois plus tard, la même structure a également été contrainte de raccourcir l’épreuve de natation du triathlon de Paladru en raison du niveau du lac, touché par la sécheresse.

« C’est notre responsabilité d’avoir une vision globale des choses »

Du côté de l’équipe de l’UT4M, qui propose 4 jours de trail autour des massifs de Vercors, Chartreuse, Taillefer et Belledonne, les organisateurs ont été contraints de prendre le même genre de décision en 2022. « Il y avait un passage en altitude, sans ombre, à 1 500 ou 2 000 m, où la température dépassait les 32 degrés, se souvient Yves Martineu, le directeur de course. Nous avons fait le choix de ne pas y envoyer les coureurs. C’est notre responsabilité d’avoir une vision globale des choses : beaucoup auraient pu passer cette difficulté, mais d’autres, moins préparés, auraient trop souffert ».

« On ne peut pas anticiper l’impossible, on ne peut pas imaginer un scénario qui ne s’était jamais présenté à nous. Nous ne sommes pas devins. Je pense que ce qu’il s’est passé à Samoëns va faire jurisprudence »

Eric Le Pallemec, patron d’Idée Alpe, , en référence à l’Ultra-Trail du Haut-Giffre où un traileur a perdu la vie et 16 autres ont été blessés ce samedi 15 juin.

Ne pas maintenir coûte que coûte

Quand il est question de fortes chaleurs, les organisateurs ont néanmoins d’autres solutions. L’équipe de bénévoles en charge du trail de Châbons, qui soufflera sa 4e  bougie le 14 juillet prochain, a avancé l’ensemble des horaires de départ d’au moins une heure par rapport à la première édition. « Nous faisons partir les participants grand maximum à 8 h 30 afin qu’ils évitent de courir en plein cagnard », souligne Marie Chuzel, secrétaire adjointe du comité des fêtes qui a eu l’idée de créer cette course. Pour les Passerelles aussi, les horaires ont été modifiés. Cette année, le Trail de l’Ebron démarrera plus tard, à 17 heures, tandis que la Grande course a été avancée à 5 heures du matin. Souvent, le nombre de ravitaillements et de points d’eau à disposition des athlètes sont également revus à la hausse.

Malheureusement, parfois, il n’y a pas d’autre solution que d’annuler. Le jeudi 24 août 2023, les organisateurs de l’Échappée Belle, course d’ultra-trail prestigieuse entre l’Isère et la Savoie, ont annoncé qu’en raison de conditions météo extrêmes, c’est-à-dire des orages violents après une forte période de canicule, plusieurs de ses épreuves prévues le week-end seraient supprimées. Plus récemment, les organisateurs du Critérium du Dauphiné ont été contraints de neutraliser la cinquième étape après une chute collective impressionnante consécutive à un orage et à de fortes pluies en Nord-Isère [lire par ailleurs].

Les organisateurs de l’UT4M suivent les épisodes météorologiques avec attention.   Photo Le DL /Stephane Pillaud
Les organisateurs de l’UT4M suivent les épisodes météorologiques avec attention. Photo Le DL /Stephane Pillaud

« La santé des participants est et sera toujours la priorité »

Cela peut avoir des conséquences économiques sur les structures qui portent les événements. Surtout lorsqu’elles sont à taille humaine. « Quand vous vous retrouvez dans une situation où vous devez rembourser les coureurs alors que dans le même temps vous avez engagé tous les frais nécessaires, cela peut être difficile même si notre but n’est pas de faire des bénéfices », souligne Yves Martineu.

Dans les faits, tous les coureurs ne souscrivent pas les mêmes assurances lorsqu’ils s’inscrivent à une épreuve. Bien souvent, il faut en effet payer un peu plus cher pour y avoir droit. Ils ne sont donc pas tous remboursés. Mais les éventuels remboursements sont inévitablement synonymes de pertes. De quoi faire cogiter au moment d’annuler ? « Non, la santé des participants est et sera toujours la priorité, les enjeux sont trop importants », assure Carlos Felicia. Ce que confirment tous les autres organisateurs interrogés. Beaucoup disent aussi autre chose : à l’avenir, ce sont certainement leurs assurances à eux qu’ils devront revoir, afin de se couvrir davantage face à ce type d’événements météorologiques.

Xavier Francisco est médecin généraliste à Nivolas-Vermelle. Photo Le DL/Jean-Baptiste Bornier
Xavier Francisco est médecin généraliste à Nivolas-Vermelle. Photo Le DL/Jean-Baptiste Bornier
« Je ne veux pas être celui qui stresse tout le monde »

Xavier Francisco est médecin généraliste à Nivolas-Vermelle. Il n’est pas du genre alarmiste. Il est plutôt du genre impressionné par les athlètes capables de rouler, nager, courir pendant des heures, parfois dans des conditions difficiles. Il met en garde toutefois contre les effets de la chaleur sur l’organisme en plein effort et les comportements à risques : « Lorsque je faisais mon service militaire à Perpignan, je me souviens que dès qu’ils envoyaient les appelés, non-professionnels, faire du sport en plein cagnard à 13 heures un certain nombre tombaient dans les vapes. Il faut éviter les efforts violents quand il fait trop chaud, c’est logique. L’été dernier, j’ai croisé un coureur qui était en plein soleil avec un k-way. C’est complètement inconscient. Les risques peuvent être importants. Cela peut provoquer une hyperthermie maligne d’effort, on peut se retrouver dans une situation de détresse neurologique, vitale, et en mourir ».

Xavier Francisco conseille surtout de bien s’hydrater : « Cela ne veut pas dire boire énormément d’un coup, plutôt s’hydrater régulièrement au cours de l’effort. Je ne veux pas être celui qui stresse tout le monde, je dis juste qu’il faut faire gaffe. J’ai toutefois l’impression que les sportifs aguerris et les organisateurs de courses ont conscience de l’ensemble de ces dangers et qu’ils font attention. Je déconseillerais toujours toutefois la pratique d’une activité physique intense lors d’heures très chaudes de la journée. Tout comme je déconseille aux personnes âgées d’aller tondre leur pelouse à 13 heures en plein été ». Et le médecin de se remémorer un tournoi de gymnastique qui s’était déroulé à La Verpillière il y a quelques années : « Il faisait tellement chaud dans le gymnase que plusieurs participants s’étaient sentis mal, il avait fallu en mettre quelques-uns dans des bus climatisés garés à côté pour les refroidir ».

Le 6 juin dernier, les organisateurs du Critérium du Dauphiné ont été contraints de neutraliser la cinquième étape après une chute collective consécutive à un orage. Photo Le DL/Jean-Paul Rousset
Le 6 juin dernier, les organisateurs du Critérium du Dauphiné ont été contraints de neutraliser la cinquième étape après une chute collective consécutive à un orage. Photo Le DL/Jean-Paul Rousset

« Nous avons une grosse capacité d’adaptation » Pierre Yves Thouault, directeur adjoint du cyclisme chez ASO

Comment ASO s’adapte au changement climatique et aux phénomènes météorologiques intenses ?

« Nous ne pouvons pas nier la réalité du changement climatique. Sauf que nous ne pouvons malheureusement pas prédire ce qu’il va se passer avec 15 jours d’avance. Lors du Tour de France ou du Critérium du Dauphiné, nous avons une veille active à J-3, J-2 J-1, pour anticiper le cas échéant, des épisodes orageux. Le but, c’est de pouvoir avertir l’ensemble des suiveurs, anticiper, prendre les bonnes décisions. C’est une coresponsabilité entre les représentants des équipes, les coureurs, l’UCI et nous ».

Quelles décisions pouvez-vous prendre en cas de situation très menaçante ?

« Lors d’épisodes de très fortes chaleurs, je me souviens m’être réuni avec les différents acteurs de l’épreuve : nous avions décidé de mettre des points de ravitaillements plus réguliers, plus tôt au cours de l’étape aussi. On avait fabriqué des maillots avec de la glace à l’intérieur pour rafraîchir les coureurs, même si ces derniers ont une grosse résilience et une grosse capacité d’adaptation. Cette année, lors de Paris-Nice, nous avons aussi raccourci une étape à cause de la neige. La priorité, c’est toujours la sécurité des coureurs et des spectateurs ».

Cette année, vous avez aussi dû neutraliser une étape du Critérium du Dauphiné après une chute collective et un fort épisode orageux…

« Oui, ce n’était pas une décision très compliquée à prendre. Dans ce genre de situation, ce qu’il faut surtout, c’est du bon sens. Vous n’avez pas 40 réunions et 3 heures pour réagir. Beaucoup de coureurs étaient blessés, nos ambulances étaient saturées donc la décision était finalement assez naturelle. Comme en 2019, nous avions arrêté l’étape du Tour de Tignes à cause de la grêle, on nous l’avait reproché mais nous ne pouvions pas faire autrement. Nous travaillons en lien direct avec les préfectures. On a un centre de coordination, avec la police, la gendarmerie, les pompiers, des médecins… »

Avez-vous l’impression que vous devez gérer davantage d’épisodes climatiques intenses qu’auparavant ?

« Nous avons déjà vécu des moments de chaleur intenses lors des différentes épreuves que nous organisons. La différence, c’est qu’aujourd’hui, elles vont durer plus longtemps. Ce n’est pas sur 1 ou 2 jours, c’est beaucoup plus long. Il peut faire très chaud, mais on peut la même journée avoir des épisodes d’orages, de pluie intense. C’est ça qu’il faut essayer d’anticiper : on a des patrouilleurs techniques, un PC mobile, des yeux partout, on peut réagir assez rapidement. S’il faut bouger une heure avant le franchissement d’un col, on peut le faire. Nous avons une grosse capacité d’adaptation, même si notre stade à nous, c’est la voie publique ».

Article issu du Dauphiné Libéré

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