« On est passé d’un pic de fréquentation à une surfréquentation inédite »
Samedi 13 janvier 2024 fera date dans l’histoire des 7 Laux, à 30 minutes de Grenoble et Chambéry. La veille, Jean-François Genevray, patron de la station, a senti le vent se lever. Ses webcams offrant un panorama des conditions en direct sont consultées comme jamais. « Le beau temps annoncé et les réseaux sociaux ont amplifié le phénomène. Pour la première fois, on a vu les ventes en lignes dépasser celles d’un samedi classique au matin. » Habitué à passer d’un extrême à l’autre, 13 000 skieurs/jour le week-end, des centaines le lundi, l’exploitant a alerté la gendarmerie. « On savait que ça allait mal se passer. On est passé d’un pic de fréquentation à une surfréquentation inédite »
À contrecœur, les équipes ont arrêté les ventes de forfaits aux portes du domaine saturé. Un comble. « C’est quand même notre gagne-pain… On n‘était pas du tout préparés à ça ». Des parkings débordés et 6 km de bouchons jusque dans les villages alentour. Ce scénario est amené à se reproduire, vu les prospectives climatiques. Le déficit de neige en bas entraîne le report de clientèles vers les domaines plus hauts, mieux exposés. Comme d’autres, Les 7 Laux songent à la tarification dynamique, faisant varier le prix du forfait au gré de la demande et de stopper en amont la vente. Pas simple, pour une station très prisée des jeunes.
« On n’arrête pas quelqu’un qui a décidé de venir skier »
L’hiver dernier, marqué par un fort contraste d’enneigement, cette situation, nombre des domaines les plus perchés de leur massif l’ont vécue. L’Alpe d’Huez dans l’Oisans, le col de Porte en Chartreuse, Les Saisies dans l’Espace Diamant, Chamonix et Les Contamines dans le Mont-Blanc…
À devoir absorber la clientèle venue des voisines en mal de neige. C’est le cas d’Avoriaz, où les autorités ferment la route d’accès en cas de saturation. « C’est le signe d’une très forte attractivité pour la neige. Et on n’arrête pas quelqu’un qui a décidé de venir skier », note Thomas Faucher directeur de la SERMA qui exploite la station haute des Portes du Soleil.
Son voisin Frédéric Marion, qui dirige le domaine du Grand Massif, voit s’opérer ce « phénomène de transhumance entre ses stations villages et Flaine ». Jusqu’à 16 agents ont dû être affectés à la régulation d’un télésiège pour gérer la foule ! « La réponse de la profession est assez homogène », indique celui qui brandit le risque d’une « perte de valeurs » pour l’activité. Bref, que le client insatisfait par l’attente et le stress ne revienne pas. Et de travailler sur un plan de contingentement fixant le taux de saturation au-delà duquel on ne vend plus de forfait, incitant à la réservation.
Verbaliser les imprudents ?
Le grand péril de ces pics, c’est le sentiment d’insécurité qui prospère au sein d’une clientèle, prête à tourner les spatules en cas de frayeur. Le taux d’abandon induirait pour une station une perte de recettes équivalente à ce que la hausse tarifaire génère : 3 à 7 %. Le profil de ces abandonnistes ? Ces mamans frôlées par des ados aux skis doublement spatulés lancés à tout berzingue sur une bleue.
Difficile de mettre un agent de sécurité derrière chaque skieur. Des décennies que l’on débat des bienfaits de la prévention. Aux 7 Laux, Jean-François Genevray a assorti les matelas de protection aux couleurs des pistes pour éviter les erreurs d’itinéraires. L’hiver dernier, une cliente s’est retrouvée au sommet en chasse-neige, avec pour seule expérience du ski un tuto découvert la veille sur Internet.
Faire de la prévention nécessite d’aller au contact des usagers. Il est question que les pisteurs-secouristes assument ce rôle. Du côté des exploitants, on parle de plus en plus de la nécessité d’instaurer un règlement, à l’instar des parcs. Et la répression n’est plus un vilain mot. « Tôt ou tard ces règles on nous les imposera » prévient Frédéric Marion. Sa station de Flaine reste sous le traumatisme de la mort d’une fillette, il y a deux hivers, percutée sur une piste. « Un drame dont les conséquences pénales risquent de régler le problème parce que le jour où on sera condamné en tant que directeur pour mise en danger de la vie d’autrui, on sera obligé de changer de posture. »
« Je ne pense pas que le flicage soit la solution »
Or les autres grands pays de ski ont adopté des règles, avec la possibilité de retirer le forfait aux voyous des pistes. Thomas Faucheur rebondit : « Certes, on n’a pas de règlement intérieur, mais dans nos conditions générales de vente, rien n’interdit de se réserver le droit de retirer un forfait à quelqu’un dont la pratique serait dangereuse. »
Mais tout le monde n’est pas encore prêt, selon Jean-Luc Boch, président de l’association des maires de stations de montagne (ANMSM) : « Ne jamais oublier que le domaine skiable est un espace de liberté qui nous est cher… On ne peut aller vers une réglementation comme aux États-Unis où vous avez un patrouilleur qui peut vous verbaliser tous les 100 mètres parce qu’il a estimé que votre vitesse était trop importante. Je ne pense pas que le flicage soit la solution. » D’autant que plane une incertitude : à qui reviendrait la mission de sanctionner le délinquant des neiges ?
Article issu du Dauphiné Libéré