Au Marathon du Mont-Blanc : « Il faut être en capacité d’avoir la tête froide pour prendre les décisions »
t Ce dernier samedi matin du mois de juin, alors que le 90 km a été lancé la veille à Chamonix, les yeux sont tournés vers le ciel. Le Duo étoilé du Marathon-du-Mont Blanc est programmé à 19 h 30, une course en montagne, en binôme et en nocturne de 21 km.
Son maintien est en suspens depuis que les bulletins météos rapportent des épisodes orageux, de la pluie. « La veille, en voyant ça, on aurait annulé », pose Frédéric Comte, le directeur du club des sports de Chamonix et organisateur de cette 45e édition.
De nuit, les hélicoptères ne décollent pas, et, surtout, les conditions, pluie et froid, peuvent mettre en difficulté des traileurs comme les bénévoles, qui eux restent statiques le long du parcours. De nuit, il faut aussi prévoir quatre fois plus de secouristes que le jour.
À midi, la commission de sécurité décide d’attendre encore les derniers bulletins. À 16 h, elle se réunit de nouveau, alors que le vent souffle fort. Autour de la table, les organisateurs, l’adjoint sécurité et montagne de la Mairie, l’EMHM, les CRS, les pompiers, la croix blanche, la croix rouge, la Chamoniarde, le météorologue.
Une heure de discussion, un appel à la Préfecture, un dernier bulletin météo de la vallée et la décision est finalement prise de maintenir la course, en la décalant de 30 minutes, Chamonix semble protégé des orages ce soir-là. Un dernier point à 19 h 45 dans les escaliers de la mairie, à quelques mètres du départ conforte le choix.
« Il faut être en capacité d’avoir la tête froide pour prendre les décisions », insiste Frédéric Comte. « Il faut avoir de la disponibilité, ne pas gérer d’autres points noirs. On a une obligation de moyens, en termes de sécurité, même si le risque zéro n’existe pas, on doit tout mettre en œuvre pour réussir. »
Une journée intense en coulisses, qui s’est déroulée sans encombre – sauf pour deux chevilles – pour les traileurs du Duo étoilé et des derniers concurrents du 90 km, de retour à Chamonix en pleine nuit.
Chartreuse Terminorum : les traileurs sont pucés
De son côté, le format de la Chartreuse Terminorum (cinq boucles à réaliser de 60 km, 25 000 m D + en 80 heures maximum), sans balisage, sans ravitaillement et sans GPS pousse à croire que les coureurs sont lancés à corps perdu sur les sentiers de Chartreuse.
« Je ne recommande pas cette course à quiconque n’est pas préparé », soutient d’ailleurs Benoît Laval, l’un des organisateurs de cette épreuve, réputée pour être l’une des plus dures du monde. « Plus dure ne veut pas dire la plus dangereuse », continue l’organisateur.
La Chartreuse Terminorum vient de boucler sa sixième édition et les accidents se font rares sur cette course. Secouriste présent depuis 2017, Bruno Ambier, président départemental de la Savoie de la Fédération française de sauvetage et secourisme (FFSS), assure que les risques sont moindres sur ce type d’épreuves.
« Ce qui change, c’est qu’à la Chartreuse Terminorum, ce sont 40 athlètes expérimentés, qui savent dans quoi ils s’engagent. Dans les trails avec plus de monde, le niveau est plus hétéroclite. C’est là où il y a de la casse », explique le sauveteur.
En 2024, il a dû s’occuper d’une grosse éraflure d’un concurrent. Sur le parcours, les participants sont géo-localisables à tout moment grâce à une puce GPS qu’ils transportent sur eux.
Pour cette sixième édition, le départ de l’épreuve, qui devait avoir lieu au cœur de la nuit, a été reporté de quelques heures, notamment en raison d’une alerte orange aux orages dans le massif de la Chartreuse.
Aurélien Dunand-Pallaz (vainqueur de la Diagonale des fous et de la Hardrock 100 en 2023) : « Sur un entraînement, je sais m’arrêter, sur une course, c’est plus délicat, on fait confiance à l’organisateur. Il faut savoir choisir son parcours en fonction des conditions météos, si un orage arrive, il faut savoir faire demi-tour. En règle générale, il faut connaître l’environnement dans lequel on court et faire les bons choix. Si on arrive à rester lucide, on peut se faire confiance. Personnellement, je n’ai jamais connu de trop mauvaises expériences. »
Stéphane Ricard (double vainqueur de la 6000D) : « Je n’ai jamais eu peur sur les trails, qui ont toujours été bien organisés. C’est d’ailleurs tellement dur de le faire. Nous coureurs, on vient là pour consommer alors que de gens prennent de sacrés responsabilités. Même sur la 6000D, où tu passes sur des glaciers, je n’ai pas eu de souci. Habitant dans les Hautes-Alpes, je suis aussi peut-être plus habitué aux conditions difficiles en montagne, car j’y vais très souvent. L’ennemi, selon moi, est vraiment le brouillard. Cela m’est arrivé une fois au sommet de Bure (dans le Dévoluy), où je ne voyais plus à 1 mètre autour de moi. C’était à l’entraînement, et j’ai commencé à sentir le danger. Le temps devient alors un problème, surtout si tu as froid, il faut se dépêcher pour trouver la bonne combe. Sur une course, lorsque tu sors de la trace, tu es livré à toi-même. »
Grand raid : gare à la neige !
La sécurité reste l’un des piliers de cette épreuve titanesque. Dans les Hautes-Alpes, le Grand raid du Guillestrois/Queyras proposait ce week-end un parcours de 160 km notamment. De quoi nécessiter une sécurité sans faille.
« Nous avons des secouristes sur nos 12 points hauts (des cols situés entre 2400 et 3000 mètres d’altitude) en permanence, déroule Pierre Kaftandjan, le maître d’œuvre. Nous avons des infirmiers, le Grimp (groupe de reconnaissance et d’intervention en milieux périlleux), des pisteurs secouristes. »
Quant à la base du PC secours, elle est située à Guillestre, et l’organisation dispose d’un hélicoptère dédié à la course et basé à Saint-Crépin.
« La nuit, le PGHM, avec lequel nous sommes en lien étroit, prend le relais », poursuit le Haut-Alpin. Ce que celui de Jausiers a d’ailleurs dû faire dans la nuit de samedi à dimanche, après que 6 coureurs se sont retrouvés en hypothermie .
A ces contraintes, est venu s’ajouter cette année un « enneigement tardif qui nous a obligés à revoir les parcours, explique Kaftandjian. Nous avons enlevé les cols enneigés pour des cols plus sûrs. On a aussi une échappatoire en fonction des orages, et un routeur météo qui fait un point toutes les deux heures pendant la course ».
Une course qui peut parfois virer à l’épique, « surtout s’il y a le mauvais temps et que la visibilité diminue. Mais nous avons des balises tous les 30 mètres et s’il le faut, on en remet en direct. Le plus compliqué reste le brouillard. Si les averses et les orages arrivent en plein après-midi, c’est moins pire que la nuit. En fait, beaucoup de choses se décident à l’instant T ».
Article issu du Dauphiné Libéré