C’est un angle mort du loto du patrimoine de ce cher Stéphane Bern : ces refuges d’altitude, trésors d’architecture et modèles d’innovation dans un monde qui file droit vers les +4 °C. Chez nos voisins suisses, une partie des recettes de la loterie romande contribue aux équipements sportifs dont la rénovation des 153 cabanes gérées par le club alpin suisse (CAS). Lequel doit trouver de nouvelles ressources pour adapter son parc bâti. Des fleurons sont déplacés, menacés par le dégel des versants et autres phénomènes climatiques.
La Pilatte est fermée depuis 2021
En France, la vallée du Vénéon (Isère), avant même la catastrophe du 21 juin dernier qui a dévasté le hameau de la Bérarde, a vu deux de ses refuges figurer parmi les premières victimes du climat. La Pilatte est fermée depuis 2021, la fonte accélérée du glacier dont il est riverain ayant déstabilisé son socle rocheux. Fracturé en deux, sa démolition n’est toujours pas actée. Dans le même bassin, sous la Meije, le Châtelleret n’est plus gardé depuis l’été 2023 et un débordement torrentiel lié à un dégel des moraines glaciaires. Un nouvel épisode pluvieux automnal dans ce vallon des Étançons aurait encore aggravé la situation, au risque d’entraîner une fermeture définitive.
Dans le Mont-Blanc, le refuge de Cosmiques, a été conforté par bétonnage après un écroulement de 600 mètres en 1998 sous ses bases. Sur la voie historique du toit des Alpes, celui des Grands Mulets est suivi de près sur son îlot rocheux, sujet à la fonte du permafrost.
Cinq refuges déplacés en Suisse
La hausse des températures a un coût pour ces infrastructures que le Club alpin suisse (CAS) a évalué entre 5 et 7 millions d’euros par an. Soit 100 millions jusqu’en 2040, Un tiers de la facture de l’entretien de son parc ! L’évaluation inclut les accès à ces bâtiments menacés par des phénomènes gravitaires. Dans la confédération helvétique cinq refuges ont dû être déplacés et reconstruits. La Triftütte, dans les Alpes bernoises, a été détruite en 2021 par une avalanche de plus grande ampleur provoquée par la fonte du glacier qui le domine.
La Rothorhnhütte, à 3200 m, face au mont Rose, a été reconstruite cette année. Quant à la Mutterhornütte, dans les Alpes bernoises, à 2900 m, fermée depuis 2021, elle a subi le même phénomène glaciaire que la Pilatte. En amont elle est exposée aux chutes de pierres liées à la fonte du permafrost. Quant à la pittoresque cabane des Bouquetins, sur la Haute Route Chamonix-Zermatt, elle s’affaisse sur ses fondations. Un tiers des cabanes suisses pourraient être déstabilisées par le dégel du permafrost.
Vers une hausse des prix ?
Mais l’impact climatique c’est aussi l’approvisionnement en eau, précise Nicolas Raynaud, président du club alpin français (FFCAM). À l’été 2022, de grande sécheresse, au moins cinq refuges avaient dû fermer, car à sec dans nos Alpes. Toilettes sèches et restrictions sont désormais de rigueur. Cet été les Drayères, dans les Cerces (Hautes-Alpes) a dû fermer dix jours en raison d’une pollution de l’eau par une algue. Et les coûts d’entretien grimpent avec le mercure.
Pour les Suisses ces nouvelles contraintes obligent à revoir leur mode de financement. Si les recettes générées par les 350 000 nuitées et les dons financent la moitié des investissements, le CAS devra chercher d’autres revenus : subventions ou fondations privées ? « Ou augmenter nos prix qui sont bas par rapport aux hôtels en vallées » estime Ulrich Delang, en charge des cabanes du CAS, rappelant que sur neuf projets de reconstruction, sept sont liés au climat.
Si les Suisses en appellent à la confédération et à leurs cantons, en France les projets du Club alpin Français (FFCAM), étaient ces dernières années subventionnés à hauteur de 50 %, comme pour celui du Lac du Pavé (Hautes-Alpes), inauguré cet été et résistant aux avalanches. Mais qu’en sera-t-il pour la suite et le financement de cinq rénovations à venir ? À La Lavey, dans ce Vénéon déjà éprouvé, les travaux doivent commencer l’an prochain. Le Parmelan, au-dessus d’Annecy, les Merveilles, dans le Mercantour, ou le Bonhomme sur le Tour du Mont-Blanc, sont en attente. Vu le contexte budgétaire rien n’est acquis.
C’est en Autriche que la situation est la plus critique. La fédération des associations alpines, 900 000 licenciés, soit 10 % de la population du pays, a lancé ce printemps une pétition pour un plan de 95 millions d’euros afin de sauver ses cabanes et sentiers menacés par le climat. Quelque 272 refuges sont en mal de travaux.
Vers plus de sobriété ?
S’adapter, c’est aussi rendre ces bâtiments plus sobres, selon Nicolas Raynaud. « On est peut-être allé trop loin, à vouloir permettre de recharger les portables, ou proposer des douches chaudes. On a contribué à changer les standards de ce qu’était un refuge en lui donnant les services d’une auberge, or c’est avant tout un lieu de vie et de survie ». Pour, le président du Club alpin français, le climat fait bouger les lignes. Avec une fréquentation toujours forte. Heureusement car sur les cinq à six millions d’euros de recettes annuelles des 120 hébergements du CAF, la moitié contribue à leur fonctionnement et un tiers à leurs investissements. Les refuges de moyenne montagne compensent la perte de ceux d’en haut, en première ligne sur le front climatique. « La problématique est double, on est pris en tenaille entre une montagne qui se casse la gueule en haut et prise d’assaut pas le bas ».
Avec encore à 315 000 nuitées en 2024, malgré les intempéries, les refuges français font presque aussi bien qu’en 2023, année record : 320 000. « À périmètre constant la fréquentation est stable », observe Nicolas Raynaud. La plupart des refuges du Vénéon n’ont pu être gardés, suite à la lave torrentielle de la Bérarde. Certains, sur les grandes itinérances, n’en finissent pas de séduire : la dent Parrachée sur le tour de la Vanoise (Savoie), les Drayères, sur le tour du Thabor, La Pra dans la chaîne de Belledonne (Isère). Avec 15 000 nuitées, le col de la Vanoise sous la Grande Casse, reste le plus actif. Il a doublé son activité en dix ans, depuis son dernier lifting.
Article issu du Dauphiné Libéré