Solidarité, subventions… : comment sauver les stations fragiles ?

Plus que les millions de journées skieurs et le rang de leader européen de la France sur le marché du ski, ce chiffre-là est édifiant : 73. Comme le nombre de stations qui l’hiver dernier ont été impactées par “les accidents d’enneigement” et ont bénéficié de l’assurance du syndicat Domaines skiables de France (DSF), fédérant les opérateurs. Soit, peu ou prou, un tiers des exploitants. À rapprocher des prospectives climatiques de Météo France à l’horizon 2050 : la viabilité d’un tiers des domaines, même avec la neige de culture, serait compromise.

« Nous ne sommes pas une ligne sur un tableur Excel »

L’avenir des stations fragiles, c’était l’un des sujets du congrès de DSF, début octobre. On a entendu les paroles prophétiques de la députée iséroise Marie-Noëlle Battistel (NFP) : « Quand on ferme une station, on ferme toute une économie, un écosystème, l’épicerie, les fermes… »

Sans doute pressentait-elle que le lendemain sa communauté de communes de la Matheysine allait voter l’arrêt de l’Alpe du Grand Serre, impactant 200 emplois dont dix agriculteurs pluriactifs. Chaque fermeture, largement médiatisée, alimente ce « ski-bashing », qui provoque le ressentiment des petits exploitants, « artisans de la neige », selon Sandra Ferrari, à la tête des quatre stations du massif des Bauges (Savoie Grand Revard), toujours sous le choc d’un incendie criminel contre un télésiège et du rapport de la Cour des comptes grinçant. « Il traduit une méconnaissance profonde de nos territoires. Nous ne sommes pas une ligne sur un tableur Excel. Derrière ces stations il y a des hommes. »

Le pire hiver depuis 40 ans

Or outre l’Alpe du Grand Serre, plus grande des petites stations, c’est le Grand Puy (Alpes-de-Haute-Provence), à Seyne-les-Alpes où, par référendum, à 71 % les habitants ont acté l’arrêt des remontées qui chaque année pesaient 13 % du budget communal. À l’Alpe, l’intercommunalité a abondé 3 millions en 7 ans. Mais c’est aussi Alti-Aigoual dans le Gard, où une cagnotte a été lancée pour ouvrir cet hiver. Et Métabief, plus grande station jurassienne, qui ferme 30 % de ses pistes. L’hiver que l’on a connu, le pire depuis 40 ans, est dans la moyenne de ceux prévus en fin de siècle.

Aux coûts du maintien de l’activité pour les collectivités, Anne Marty, président de DSF oppose le coût social de l’arrêt : « 200 personnes sur le carreau, sans possibilité de plan ou de reclassement, c’est 200 personnes au chômage, au moins 200 000 euros. Ne vaut-il pas mieux que l’argent public soutienne l’activité que des indemnités ? »

Pour Hugues François, ingénieur au Laboratoire Écosystèmes et Sociétés En Montagne, l’équation qui se pose aux collectivités revient à peser le rapport coût/bénéfice pour le territoire, dans un contexte de dégradation de l’enneigement. Chaque cas appelle une réponse particulière. Cousue mains.

Le modèle de la Drôme

Voilà 20 ans que dans la Drôme on a reconfiguré le modèle suivant une logique de service public. « Et il n’est pas question de lâcher la neige », explique Cédric Fermond, directeur des stations drômoises. Si le département n’avait pas repris ces stations, entre 1200 et 1700m, « elles seraient mortes aujourd’hui. Les communes ne peuvent supporter seules les problématiques économiques ».

Certes le site de Val Drôme a fermé, mais six autres dont trois d’alpin continuent. Faute d’eau dans le Vercors, on a tourné la page “neige de culture”, préférant le recours à un réseau de barrières à neige, qui forme des congères.

L’expérience drômoise montre les limites de la diversification. Cet hiver, le col du Rousset et La Jarjatte ont ouvert en mode été, avec luges et trottinette sur herbe. Bilan : 5 % de recettes d’une saison habituelle. Si le département injecte 1,5 à 2 millions par an de subventions, l’activité génère 8 à 10 M€ de retombées. Ces stations sont les portes d’accès aux sports nature pour les Drômois, troisième pôle touristique du département.

L’union dans les Bauges

L’union fait la résistance, c’est le credo des stations des Bauges, soutenues par les agglomérations de Chambéry et Aix-les-Bains. Pour Sandra Ferrari, la promesse d’un accès au ski et au nordique (premier site en France) à moindre coût, avec 60 000 scolaires. Si l’investissement dépend des collectivités, le syndicat mixte vise le petit équilibre de fonctionnement. Pour 6 M€ de recettes directes, la structure évalue à cinq fois plus les retombées, avec 590 emplois liés.

« Débrayer tout de de suite les remontées en disant que le ski sera fini en 2050 signifie l’effondrement de l’économie locale et impacte notre école. » Mme Battistel évoque 6 euros de dépenses en station pour 1 € dans un forfait. « Aucune industrie ne peut avoir une activité équivalente ».

Dans leur transition ces stations attendent de l’État un plan et de la souplesse de gestion. Aidées en sortie de Covid, pour penser leur diversification, reste à financer les investissements. En avril l’Alpe du Grand Serre avait reçu l’engagement ministériel pour boucler un projet de télécabine rehaussant son front de neige. La dissolution a douché les espoirs.

La solidarité, nouvel axe fort des Domaines Skiables de France

Des grandes en soutien des petites… Le principe était déjà acté depuis 2001 par la chambre professionnelle des exploitants de remontées mécaniques. Voilà 23 ans que Domaines Skiables de France contracte la police d’assurance Nivalliance contre les aléas climatiques.

Objectif de ce dispositif de solidarité, financé par les domaines via des cotisations indexées à leurs recettes : limiter les conséquences financières d’hiver pauvres en neige impactant les plus fragiles. Cette année 3,73 € millions d’euros seront reversés à 73  stations. Les 59 très grandes ou grandes stations, les 33  domaines de taille moyenne soutiennent déjà les 113 petits sites de neige, davantage touchées par les aléas du réchauffement climatique, car situées plus bas en altitude.

Mais la nouvelle gouvernance, officialisée le 5 octobre dernier au congrès de Reims entend aller plus loin. La solidarité entre stations c’est le credo de la nouvelle présidente, Anne Marty, qui a créé une commission sur ce sujet dans le cadre d’un pôle Responsabilité sociale et environnementale. « L’objectif c’est justement de réussir à éviter des fermetures brutales comme à l’Alpe du Grand Serre. »

Et d’accompagner les adhérents dans leurs démarches administratives ou techniques et de fournir des aides matérielles. Fabrice Bouter, patron de la Sata (Alpe d’Huez/2 Alpes) a été nommé à la tête de la commission solidarité et il l’assure : « On est un petit monde dans un grand monde économique, nous devons parler d’une même voix.

Et que l’État ne porte pas seulement la parole de nos opposants mais de ceux qui vivent en montagne ». Suivant ce principe, du personnel des 2  Alpes est allé aider la station du mont Aigoual pour changer un câble. Les stations des Bauges ont bénéficié de l’expertise de Combloux, des Karellys et de Métabief, à la pointe en matière de transition.

Article issu du Dauphiné Libéré

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