L’Étape du Tour est un sacré défi sportif. Cette cyclosportive, qui permet aux cyclistes amateurs de vivre l’expérience des coureurs professionnels en suivant le tracé d’une étape du Tour de France, est la plus courue au monde. L’édition 2025 aura lieu dans deux mois, jour pour jour. Le 20 juillet prochain, des milliers de cyclistes prendront le départ d’Albertville pour rejoindre la station de La Plagne. Avec un programme très corsé : 131 kilomètres, 4500 mètres de dénivelé positif et 5 ascensions répertoriés.
Vous vous demandez à quoi ressemble l’Étape du Tour ? Voici notre réponse. Jonathan Gaillard, journaliste pour le magazine Outlines, a pris le départ de l’édition 2023 entre Annemasse et Morzine. Il raconte ci-dessous son expérience.
Peu importe l’édition, l’EDT c’est à chaque fois la découverte d’un beau coin de France… et de soi-même.
Aux petits soins pour leurs invités, l’équipe de Julbo a pris possession du Campanile de Findrol près d’Annemasse. Le lunetier jurassien, partenaire de l’Étape du Tour, nous a gentiment invité à venir participer avec leur team à l’édition 2023 et après quelques mois d’une préparation plus ou moins structurée, on y est.
La veille de la course lors du briefing, on se retrouve avec les biathlètes de l’équipe de France Anthonin Guigonnat et Emilien Jacquelin, le spécialiste de cross-country Maxime Marotte, le cycliste semi-pro Arthur Blanc… Au milieu de ces gros moteurs, une question : qu’est-ce que je fais là ? Martin Fourcade est présent mais appelé par d’autres obligations, il ne prendra pas le départ. Enak Gavaggio s’est bien préparé pour l’occasion, roulant surtout en soirée pour ménager sa vie de famille.
Car pour se lancer sur l’Étape du Tour, la préparation est essentielle, ne serait-ce que pour se rassurer soi-même. Il faut trouver les créneaux, inventer de nouvelles habitudes pour réussir à faire des sorties longues régulièrement et si possible travailler la force, l’intensité… Même si on ne suit pas à la lettre le plan d’entraînement conseillé par l’organisation, il faut s’imposer une certaine régularité pour profiter un minimum le jour J.
Sur le départ, la mise en scène est bien fichue, ça vous prend aux trips
Briefing terminé. On s’installe à table avec les montagnards Léo Slemett et Vivian Bruchez, athlètes ambassadeurs Julbo. Grande première pour eux aussi, on se sent moins seul. Vivian semble content de se sentir « fébrile ». « On va peut-être prendre un bout de corde et un sac à dos pour se rassurer », plaisante le spécialiste du ski de pente raide.
Cette fois ça y est. Il est l’heure de quitter l’hôtel. Bien sûr, la nuit a été courte, entre stress et excitation. Après quelques kilomètres, nous arrivons près de notre sas. Jamais vu autant de cyclistes ! Tout est bien fléché et chacun sait où il doit aller et quand. Ça bouchonne un peu mais l’organisation tient son horaire. Sur le départ, la mise en scène est bien fichue, ça vous prend aux trips. Musique, images, public : c’est un coup à partir trop vite ! Et c’est ce qui se passe.
En vélo, aucun col est anodin
Le tracé nous mène vers le col de Saxel, première bosse du jour. Ne connaissant pas le coin et n’ayant pas reconnu le tracé, nous avons “préparé” le parcours sur écran, en interprétant comme on pouvait le tracé, en disséquant les profils des cols ou en regardant des vidéos. Le col de Saxel, certes peu raide, est plus long que ce à quoi on s’attendait… C’est là que notre esprit, à partir de cette première réalisation concrète, exécute une mise à l’échelle de tout le reste du parcours : VER-TI-GI-NEUX. La journée va être longue.
Saxel franchi, on passe à l’objectif suivant. En montagne, ce sont les cols qui donnent le rythme et les objectifs sont donc bien identifiés. Le col de Cou nous attend. La vraie première difficulté du jour se fait sentir. Absorbé par les deux gros cols que sont la Ramaz et Joux-Plane sur le profil de l’Étape, nous avons finalement eu que très peu d’intérêt pour ceux qui les précédaient. Mais en vélo, aucun col est anodin.
Avec 16 000 inscrits (un peu moins au départ), nous sommes nombreux sur la route ce 9 juillet 2023 et le flot de cycliste est continu. Même en montée à 8 km/h, il faut toujours être vigilant entre ceux qui passent par la droite, ceux qui passent par la gauche, ceux qui n’avancent vraiment pas vite… Heureusement que la route est fermée à la circulation ! Et cela s’apprécie encore plus lors des descentes entre les pressés qui tracent et vous dépassent sans prévenir et les stressés qui freinent pour un oui ou pour un non. Quelques chutes sont inévitables. Une route fermée ne nous autorise pas à relâcher notre vigilance.
La chaleur est étouffante, la fringale guette
Après les cols de Saxel, Cou, Feu et Jambaz, nous approchons de la moitié du parcours symbolique que notre esprit a dessiné. Place au premier très gros morceau, le col de la Ramaz (ne prononcez pas le Z s’il vous plait). La veille au briefing, on nous avait signalé que Julbo organisait un ravito à notre attention exclusive au kilomètre 97, dans la première partie de l’ascension de la Ramaz. Donc, on zappe le ravito de Mieussy au pied de la pente.
Le chantier commence et nombreux sont ceux qui s’autorisent une pause dès qu’un bout d’ombre se dessine. La chaleur est étouffante. Ne voyant pas arriver le ravito, on commence à s’impatienter et tout doucement, l’esprit prend le pas sur le corps. La fringale guette. Vite, un gel ! On n’a jamais été aussi content de voir Clément et Nathan qui nous attendent sous la tente Julbo. On en profite pour boire le coca qui nous fait rêver depuis quelques kilomètres. Un sandwich ? En pleine fringale, nous commettons l’erreur de trop manger et trop boire. Et si jusqu’ici ça n’allait pas trop mal, ce ravito géré à la Ragnar Lodbrok va nous coûter très cher pour la suite. Sur l’Étape encore plus que sur votre sortie dominicale, il faut prendre soin de son alimentation et de son hydratation. Allez-y par petites doses régulières.
On ne fera pas le jeu de mot avec la Ramaz mais clairement, on est en plein dedans ! La chaleur est lourde, le soleil mordant, la pente raide et l’esprit part en vrille. Les mauvaises pensées distillent une liqueur aigre qui plombe le moral. Dans une situation de détresse, c’est étonnant ce que l’on peut imaginer pour jouer contre nous-même. « J’ai passé un long moment à me chercher une bonne excuse pour abandonner », nous confiait le plus sérieusement du monde Enak Gavaggio, médaille de finisher autour du cou. Quelques cyclistes commencent à redescendre en contre-sens pour rallier le point de rapatriement de Mieussy. Pour eux, il n’y aura pas de breloque…
Sur ces terribles pentes, c’est zone de conflit sous les casques et sur la route. Les paravalanches font office d’hôpital de guerre. Le soleil, la chaleur, la pente et le doute se sont alliés contre nous. C’est l’axe du mal. Partout, dès qu’il y a un coin d’ombre, des cyclistes sont arrêtés, couchés à même l’asphalte ou à l’ombre d’un fossé.
50 Cent balance son In da club dans nos oreilles
Grâce à une bonne pause dans la fraîcheur d’un tunnel providentiel, nous sommes sortis vivant de l’enfer de la Ramaz. Nonchalant, le rappeur 50 Cent balance son In da club dans nos oreilles où défile les titres de notre playlist Monday Motivation. Un reste de lucidité nous fait prendre conscience de la beauté du paysage. À la base si on fait du vélo, c’est aussi pour voir du pays et découvrir de nouvelles contrées. On gardera un souvenir cuisant du Chablais ! Mais malgré les douleurs et la fatigue, il faut savoir lever la tête du guidon pour apprécier le paysage, ça met de l’essence dans le moteur.
On dirait bien qu’il ne reste plus qu’une bosse à passer désormais. Pour l’heure, il faut redescendre et se blottir dans un groupe pour avaler l’interminable et suffocante ligne droite qui mène de Taninges à Samoëns sans y laisser des plumes. À notre grande surprise, c’est une femme qui traîne toute une grappe de coureurs mâles opportunistes. Le patriarcat est en PLS. Il faut savoir que les féminines sont assez peu représentées sur l’Étape du Tour et c’est bien dommage. Elles ne seront que 763 à l’arrivée à Morzine contre 11 028 hommes.
En 2025, elles auront le droit elles aussi à leur propre édition de l’Étape du Tour entre Chambéry et le col de la Madeleine (les hommes sont les bienvenus).
Une médaille de finisher et une banane font le bonheur d’un homme
La dernière difficulté approche, le col de Joux-Plane et ses 11,6 km pour 988 m de dénivelé positif avec 8,5% de moyenne. Pas si long (quoique) mais raide, cassant. Il y a beaucoup de rouge sur la modélisation de notre GPS qui décide de s’éteindre faute de batterie, comme pour poser un voile de pudeur sur cette atrocité.
Au bout d’une petite éternité, le portique qui marque l’arrivée au col se présente au loin. Les jambes retrouvent un peu de décence mais chaque mètre se mérite. On passe le col pour s’arrêter 50 mètres plus loin, hébété. On l’a fait ? « Bravo » ! La vue est splendide. Nous ne sommes pas essoufflés, pas cramé, juste… lassés. Il faut maintenant redescendre tranquillement jusqu’à Morzine pour passer la vraie ligne d’arrivée. Une médaille de finisher et une banane font le bonheur d’un homme. Un coup de fil à la famille, un message aux collègues qui, on le sait bien, n’y croyaient pas trop.
Réaliser quelque chose qui nous paraissait infaisable
Après quelques mois, que reste-t-il de cette Étape du Tour ? De la fierté mais aussi un sentiment d’inachevé. Et si j’avais mieux dormi la veille ? Et si j’avais fait une reconnaissance ? Et si je n’avais pas mangé ce sandwich au kilomètre 97 ? On se surprend à analyser sa performance comme si on avait raté notre coup. Saleté d’amour-propre !
L’idée était simplement de réaliser quelque chose qui nous paraissait infaisable pour faire taire cette petite voix intérieure, tant pis pour la manière finalement. Désormais, les sorties du dimanche ne sont plus abordées de la même manière et cette grosse bosse n’a vraiment plus rien d’effrayant. Après tout, on a vécu l’enfer et on en a réchappé… Mais on n’a pas été jusqu’à se réinscrire pour l’édition suivante !
Vous vous demandez si l’investissement (150 € tout de même) en vaut le détour ? Voici quelques éléments de réponse :
- Sécurité : on évolue sur route fermée à la circulation sur la totalité du parcours, ce qui est un privilège rare. Vous pouvez ainsi réaliser le fantasme de tout cycliste : prendre un rond-point à contre-sens !
- Organisation : 16 000 inscrits, est-ce bien raisonnable ? Oui, ça fait du monde mais l’organisation avec des sas de départ par niveau permet de réguler le flux de cycliste sur la journée : les pros en tête et les moins aguerris à l’arrière. Attention à la barrière horaire !
- Ravitaillements : point crucial pour une cyclo de ce format, les ravitos sont hyper bien organisés. On y trouve des bénévoles souriants, des tables pleines de choses pour se refaire la cerise (sucré et salé) et boire en quantité. Certes, il n’est pas toujours évident de trouver une place pour garer sa monture mais nourrir autant de cyclistes affamés dans d’aussi bonnes conditions, ça relève du génie. Des “douches” sont également disposées sur les ravitaillements pour faire redescendre la température des corps et des esprits.
- Assistance : tout le long du parcours, des motos assistance permettent aux victimes d’avaries mécaniques de repartir. Près des ravitaillements aussi, des tentes avec des mécanos attendent ceux qui ont un souci avec un dérailleur récalcitrant, un levier à resserrer…
- Le public : bloqués chez eux par la course, ils auraient pu choisir de regarder le Tour à la télé en attendant que la route soit libérée mais non, ils sont nombreux à vous encourager et vous rafraîchir par tous les moyens… Quel bonheur toute cette bienveillance !
- L’expérience : partager une Étape du Tour de France, la même que les pros avec une semaine d’avance, c’est assez unique dans le monde du sport. On a rarement l’occasion de taper la balle à Roland-Garros ou de faire un foot au Parc des Princes…