Comment Serre Chevalier a révolutionné le snowboard dans les années 80

Le passé répond de l’avenir clame la cité Vauban. Encore faut-il ne pas l’oublier, ce passé. « Il faut se rappeler que dans les années 1984-1986, Serre Chevalier était surnommée “La Mecque du surf” », certifie un des pèlerins Xavier Duport. Briançon et la vallée de la Guisane, territoire de pionniers du snowboard dans les Alpes françaises. Niche d’apprentis sorciers de la planche et des fixes. Prophètes mordus de freeride dans des combis aux couleurs décollant aujourd’hui la rétine.

« Quand on a vu un mec sur une planche sans bâtons… »

Pour Didier Moranval-Vincent, les premiers souvenirs du surf des neiges remontent à 1984. La trouvaille est faite par un ami parti skier à Tignes. « Il a vu Paul Loxton et Régis Rolland [ personnage principal de la série Apocalypse snow , NDLR] sur cette nouvelle planche et en a récupéré un gabarit en carton. À l’époque, on était une bande de monoskieurs, le freeride nous faisait kiffer. Alors, quand on a vu un mec sur une planche sans bâtons… »

Avec les frères Denis et Bruno Bertrand, Didier Moranval-Vincent se lance dans la fabrication maison de cette planche venue d’outre-Atlantique, équipée d’une dérive pour une meilleure stabilité dans la poudreuse. Un atelier se monte dans la chaufferie du restaurant des parents Moranval, au pied de l’actuelle télécabine Prorel à Briançon.

« On utilisait des produits chimiques sans vraiment de sécurité, sourit celui qui est aujourd’hui conseiller immobilier. Des clients partaient du restaurant parce qu’ils ne supportaient pas l’odeur ! » Pour tester la solidité : un compère bien bâti debout sur la planche entre deux chaises. Pour tester la glisse : les spots de freeride de la Guisane et du Lautaret. Pour tester entre amis : le club les Bonnes surf.

Xavier Duport en 1983. Photo Xavier Duport
Xavier Duport en 1983. Photo Xavier Duport

Le Géo Trouvetou de Serre Chevalier

Encore faut-il y tenir sur ces surfs, très inspirés de leurs cousins maritimes : la position debout s’acquiert après une prise de vitesse . Le bout des pieds est sommairement arrimé. Gare à la faute dans le creux de la poudre. L’équipe se penche aussi sur les carres, histoire de se débarrasser des dérives…

« Chaque station avait son crew qui fabriquait ses planches. Mais nous, on avait notre “petit génie” », pointe Didier Moranval-Vincent. Le Géo Trouvetou de Serre Chevalier est implanté au Monêtier-les-Bains : Xavier Duport. Le surf des neiges, lui, il l’a découvert en 1982 en Suisse. « Un peu par hasard dans un magasin de sport qui avait reçu une Winterstick : un surf en queue d’hirondelle. Pas très grand, avec une dérive, des fixes juste pour l’avant des pieds et des picots pour ne pas déraper. Je l’ai encore. » Les premiers tests se font dans le col du Lautaret, « quand il y avait encore de la neige ».

Déjà dans la conception de produits, associé aux recherches des Bonnes surf pour le Saint Graal de la planche, Xavier Duport s’intéresse au maintien des pieds. Et conçoit les premières fixations avec un système rotatif réglable : une révélation. « C’est ce qui se fait encore aujourd’hui. J’ai déposé un brevet et, avec des financements, j’aurai pu aller plus loin et être à la retraite depuis un bon moment », avance-t-il. Les premiers prototypes sont usinés… au lycée d’Altitude de Briançon !

« Une Citroën AX sport en dotation »

À prêcher chacun dans leur station, les adeptes de cette nouvelle glisse finissent donc par se réunir à La Mecque. « En 1987, on a organisé le premier Derby des stations sur les pentes du Prorel qui n’avaient pas encore de télécabines. Le snowboard intriguait tout le monde, y compris un des patrons de Citroën qui a mis une AX sport en dotation, s’en amuse Didier Moranval. Tout le monde se ramenait avec ses propres planches, même un Tahitien avec sa planche de surf sans souplesse ! » Drôle d’époque, drôle de mode. « Certains skieurs étaient intrigués, d’autres nous voyaient comme des rebelles, des ados attardés. Mais ce que l’on a fait a énormément développé le freeride dans le secteur. »

Du freeride aux pistes. D’une secte à une religion. Serre Chevalier est au centre des regards et, alors que le snowboard séduit de plus en plus, les locaux sont missionnés par le Syndicat national des moniteurs de ski pour former des vestes rouges à cette nouvelle pratique. Lorsque Didier Moranval-Vincent ouvre son magasin de snowboard au pied du Prorel, en 1994, il peut compter sur une centaine de marques différentes…

« La station des doux et des dingues »

Serre Che a un temps poursuivi sa belle histoire avec le snow, via son champion Pierre Vaultier. Pas vraiment freeride, mais bien les deux pieds ancrés sur une board. Quarante ans après, l’esprit avant-gardiste de la station semble avoir basculé dans la légende. « Pendant longtemps, le slogan de Serre Chevalier c’était la “station des doux et des dingues”. Un état d’esprit qui a permis l’émergence du snowboard comme on l’a connu, selon Xavier Duport. Mais il y a eu un changement de politique en matière de promotion touristique et on a un peu oublié ce pan de l’histoire de la station. »

Pour celui qui est désormais concepteur de panneaux photovoltaïques, la bonne parole de la Guisane « s’est exportée ». Denis Bertrand, par exemple, est par la suite devenu rédacteur en chef de Snowsurf , magazine de référence du milieu. Xavier Duport, lui, a poursuivi dans les fixations chez Nitro, puis Salomon. A exporté son “fun park” de l’Aravet, « le premier pipe en dur avec son système d’exploitation » qu’il emmène jusqu’aux JO de Nagano.

Un esprit un peu “dingue” que Serre Chevalier retrouvera peut-être, quelques semaines en 2030. « Dommage quand même que l’épreuve de half-pipe n’ait plus lieu à Serre Chevalier, ça aurait fait un beau clin d’œil… » À moins d’un miracle.

Article issu du Dauphiné Libéré

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