À quelques centaines de mètres de la route des Grandes Alpes, qui mène à Tignes, Val d’Isère et au col de l’Iseran, rien ne laisse présager aux milliers d’usagers qui l’empruntent, hiver comme été, que se cache un joyau. Une carte postale authentique d’un village savoyard, montagnard, à l’architecture traditionnelle, avec ses maisons de pierres, leurs balcons en bois ou en fer forgé, ses ruelles étroites, ses potagers en plein village. Seul dépasse le clocher de 25 mètres de l’église Saint-Roch, qui veille depuis 1714 sur La Gurraz, un des treize villages de Villaroger, blotti derrière une ancienne moraine, sur son promontoire rocheux.
À 1 600 mètres d’altitude, sous le dôme glaciaire du Mont Pourri
Cette église baroque en forme de croix latine (deux chapelles se font face), bâtie grâce aux dons des frères Borrelet, qui avaient fait fortune dans le colportage et le négoce à Turin, symbolise l’histoire de ce village suspendu, perché et isolé : il fallait éviter le trajet périlleux pour se rendre à la messe à Villaroger, en plein hiver.
À 1 600 mètres d’altitude, sous le dôme glaciaire du Mont Pourri (3 778 mètres d’altitude), les avalanches ont façonné la vie du village, et l’état d’esprit. Si la dernière grosse coulée remonte à 1990 (le village a été coupé du monde pendant quatre jours), les barrières pour empêcher la circulation et le risque avalancheux sont ancrés dans les esprits. « Tous les Gurrains, même les enfants, savent que s’il y a du bruit qui vient de la montagne, il faut rentrer dans la première maison et se protéger les voies respiratoires », avoue Stéphanie Revial. De quoi ériger la solidarité en qualité première et forger l’identité de La Gurraz (prononcez Gurre), peu épargnée par les catastrophes : incendie en 1871, décimée par la maladie en 1884. Rien à voir avec l’image préconçue froide des montagnards.
40 habitants à l’année
« On porte ce village, symbole de ruralité à la montagne, avec une certaine fierté. Avec ses 40 habitants à l’année (la plupart travaillent sur Tignes et Val d’Isère), il fait preuve de dynamisme et sait se montrer ouvert. Il y a une belle alchimie avec les résidents secondaires, plutôt aisés, qui gardent et subliment le cachet ancien », reconnaît le maire de Villaroger (380 habitants), Alain Emprin. « Il y a des Anglais, des Nantais qui viennent d’arriver », lâche une écolière. Et des Lyonnais, Rouennais, Parisiens, Belges… « Ils avaient envie de vivre une vie de village », souligne Stéphanie.
La convivialité n’est pas un vain mot. Les pots de bienvenue sont courants, les Belges font leur fête de la frite, et Mickey Dufour, descendant de son C15 Citroën, est toujours là pour offrir un sucre mariné dans le génépi et la gnôle à 90 degrés. « Moi-même je suis un importé, j’ai épousé une Bonnevie. Au cimetière, vous verrez les noms : Bonnevie, Marmottan… », sourit son père, Paul Dufour, 71 ans, un demi-siècle de vie à La Gurraz.
Au sein de l’association des fours du Mont Pourri, la jeune génération perpétue la fête du pain (recette ancestrale où les pommes de terre permettent d’utiliser moins de farine), en novembre et en juin, à la fois maintien des traditions et ouverture sur l’extérieur, avec plus de 130 personnes autour du four du XIXe siècle. « La cheminée du four, là depuis des années et des années, est tombée cet hiver. Elle a déjà été reconstruite », insiste Mireille Bonnevie.
Calme et tranquillité
Ce village de caractère ne vit pas replié sur lui-même, même sans commerce, depuis la fermeture du bar-restaurant Le Fenil (où Gérard Holtz et Jacques Chancel, qui cite La Gurraz dans son livre “De l’or et de rien”, aimaient à se délecter d’une omelette en plein Tour de France). Porte d’entrée pour des randonnées dans le parc national de la Vanoise, vers les refuges de la Martin et de Turia, ce havre de paix hors du temps, à l’écart de la société moderne, respire le calme et la tranquillité. « Un article du Petit Dauphinois, il y a près d’un siècle, se demandait si le Bon Dieu lui-même était venu jusqu’ici », rigole Albert Revial, maire adjoint de 1971 à 2020.
Seul résonnent le bruit des cascades qui « dégueulent » de la Vanoise et les cris des enfants dont les ruelles sont la cour de récréation. Pourtant fermée durant quatre ans dans les années 1980, l’école (neuf enfants sur huit niveaux de la maternelle au CM2), c’est le cœur et le poumon de La Gurraz. Sylvie Mercier, l’institutrice qui boucle sa première année ici, goûte son bonheur, arrivée d’Orléans en début d’année scolaire. Après 32 ans d’éducation nationale dans le Loiret, elle a été choisie parmi les trois cents candidats qui avaient répondu à ce « poste à profil ». « J’ai signé pour trois ans, sans être venue, par choix de vie. Avec mon mari, on a tout quitté pour venir vivre à la montagne. Nous ne sommes pas du tout déçus. Il y a une solidarité incroyable, on a l’impression d’avoir toujours vécu ici ».
Des scènes des Bronzés font du ski tournées à La Gurraz
Au-delà du « petit cocon » (« la vue, c’est notre bonheur tous les jours »), Sylvie, même si elle n’a pas une minute à jongler entre les niveaux, savoure. « Avec deux assistantes, Mireille et Nadine, c’est presque du travail individualisé. On fait plein de choses (du sport, des randonnées…) et chacun avance à son rythme. Rien à voir avec une classe classique. Le cadre de vie est un vrai plus. Les enfants sont hyper autonomes, dégourdis ».
Pas étonnant que le réalisateur césarisé Pascal Plisson ait choisi l’école gurraine, l’année prochaine, comme héroïne de son prochain long métrage sur la survie des petites écoles de France. Un juste retour des choses… et des caméras à La Gurraz. À l’hiver 1979, c’est là, au 1 961 route de La Gurraz, que Patrice Leconte a tourné quelques scènes des Bronzés font du ski (la maison des paysans, le refuge, les enfants qui crient « Parisiens têtes de chiens »…). Méconnue, la « Gurre » passe pourtant à la télé tous les hivers…
Article issu du Dauphiné Libéré