Ski hors-piste à Serre Chevalier : l’expérience ultime avec Benjamin Védrines

Dévaler le hors-piste emblématique de Serre Chevalier avec Benjamin Védrines, l’homme qui sprinte les plus hauts sommets de la Terre, c’est comme tirer des bords d’Optimist avec Charlie Dalin, recordman du Vendée Globe en baie de Saint-Malo. Pour lui une aimable promenade digestive, pour nous un moment d’émotion. Il a beau avoir déjoué le K2, deuxième point culminant du globe l’été dernier en 11 heures, avec première mondiale en parapente à la clé, le garçon s’émerveille encore de vous ouvrir les portes de son jardin.

2 heures pour avaler les 2000 m de dénivelé

On pénètre là sur son stade d’entraînement. L’entrée du vallon de la Montagnolle, comme il dit, « marque la limite entre le domaine aménagé de Serre Chevalier, le plus vaste des Alpes du sud et la pleine nature du Parc des Écrins ». Depuis une dizaine d’années qu’il vit au Monêtier, son camp de base, c’est là qu’il parfait une condition physique hors-norme, montant et redescendant ce vallon, en Sisyphe heureux, puis celui, adjacent, du Tabuc, jusqu’aux cimes du glacier du Monêtier. Il ne lui faut pas plus de 2 heures pour avaler les 2000 m de dénivelé et 30 minutes chrono pour atterrir. « J’aime bien aussi rallonger la dose, plonger sur le lac de l’Eychauda, dans la Vallouise et remonter ».

Ce jour-là, moins d’une semaine s’est écoulée après son dernier fait d’armes, un solo hallucinant de 5 jours dans les 1000 mètres de paroi verticale des Drus (massif du Mont-Blanc), au rocher aussi lisse (7e degré de difficulté sur une échelle de 8) que branlant, à l’épreuve du climat.

« Une fois en haut continue de t’élever »

On emprunte le télésiège ce qui paraît presque contre-nature à celui que les endorphines chatouillent, incapable de mettre son corps à l’arrêt. Celui de l’Yret vous propulse au sommet de Serre Che, 2750 m d’altitude. On est fatigué rien qu’à l’entendre dérouler le menu de ces derniers jours où il était censé se reposer. Escalade, ski de fond et… tournage d’une pub sur le versant italien des Alpes pour son sponsor, l’équipementier The North Face, avec l’Irlandais Barry Keoghan, héros de Dunkerque de Christopher Nolan et dixième acteur à avoir incarné le Joker de Batman.

Fidèle à la philosophie bouddhiste, « une fois en haut continue de t’élever », Védrines nous exhorte à mettre les skis sur le sac et à le suivre, escalader les 80 mètres d’arêtes aériennes histoire de gravir le rocher de l’Yret, qui toise notre descente du jour. Supplément d’âme et de poudreuse à pourfendre.

« La Montagnolle, c’est l’accès à la très haute montagne »

« C’est non seulement le plus beau hors-piste du domaine mais l’un des premiers que j’ai fait tout jeune, c’est là où j’ai appris à skier en toutes neiges ». On sent l’affect chez lui qui, de ce belvédère, trace du doigt les contours de sa station par les crêtes. Ce fer à cheval de Briançon au Lautaret, il en a épousé les frontières en deux jours l’hiver dernier, passant par le sommet des Agneaux (3665 m), toit de Serre Che, ou le Grand Galibier, seigneur des Cerces (3228 m), qui marque la limite avec les Alpes du nord. 100 bornes pour 11 000 m de dénivelé, skis aux pieds, et santé bonheur.

« La Montagnolle, c’est l’accès à la très haute montagne, derrière il y a la Barre des Ecrins, le dernier 4000 des Alpes. Tout un symbole. » En face, ces Agneaux, sommet tricéphale qui domine le vallon, c’est sa montagne fétiche. Il la connaît par toutes les coutures, ayant plongé ses spatules dans ses vires suspendues les plus improbables à nos yeux.

L’entrée du hors-piste n’a rien de très secret. Après avoir dévalé quelques hectomètres la noire « Col du vent », le sempiternel panneau de mise en garde marquant la limite du monde non balisé et sécurisé précède le raide mur d’entrée.

« Et là on bascule dans un environnement sauvage, sans remontée mécanique, on passe sans transition du bruit au silence et à la solitude ». L’entame du couloir étroit prend le vent. Elle est parsemée de bosses. On est rarement les premiers à entrer dans la Montagnolle. C’est le tube, le standard des moniteurs de la station. Mais le couloir s’évase en même temps qu’il s’adoucit, offrant la place pour faire sa trace. « Préservé des chaleurs, orienté ouest, le haut reste longtemps en neige de qualité », assure le guide qui met en garde : « Il faut rester concentré dans ses virages, on est encore à froid ». Bien vite, la vigilance cède à l’exaltation, à mesure que le relief s’incline et que l’on prend de la vitesse.

« Idéale pour une première expérience freeride »

« La Montagnolle, ensuite, n’est pas trop technique. Par son accessibilité, elle est idéale pour une première expérience freeride ». Un premier replat permet de reprendre son souffle avant de basculer à la fameuse bifurcation où il n’est pas rare de croiser la fusée Védrines en pleine séance, fonçant vers le Tabuc, le pic du Rif et les hautes cimes des Écrins, les peaux de phoque collées aux semelles de ses planches.

Déjà les mélèzes pointent leurs branches et le long final dans le vallon suivant le torrent a des airs de voyage suivant un chemin forestier joueur, façon boardercross. La Montagnolle, c’est la plus belle façon de découvrir l’envers de Serre Chevalier de pied en cap. On rejoint par gravité le front de neige du Monêtier, 1400 m de distance verticale dans les jambes. « En mode derby les plus forts mettront 20 mn, si on va tranquille comptez une bonne heure ».

Pour vous, repus de paysages et de sensations, la journée peut s’arrêter là. Pour Benjamin, elle commence. Un arrêt chez sa psy, avec qui l’homme qui expose sa vie veille à sa santé mentale, et le voilà reparti au grand air jusqu’au crépuscule : 1700 m d’ascension vers le col du Casset puis un retour par le célèbre couloir Davin, 40 à 45 degrés d’inclinaison sur 800 mètres. Pour le coup une autre descente mythique. Version… ski extrême.