La transhumance est désormais reconnue comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco. Les pratiques et les savoir-faire liés au pastoralisme sont solidement enracinés dans le département. À travers ses différentes missions, la Fédération des alpages de l’Isère (FAI) vise à les consolider et les perpétuer. « Chaque année, nous allons sur un alpage différent pour illustrer toutes les variétés des territoires », explique Denis Rebreyend, président de la FAI. Cet été, la journée des « alpagistes » s’est tenue à l’Alpe d’Huez, « une ville à la montagne où la relation pastoralisme-tourisme est forte. Il y a une prise de conscience que l’un peut nourrir l’autre avec un soutien fort de la mairie ».
Sur les pentes, vertes à souhait, les vaches cheminent, indifférentes au ballet ininterrompu des vélos ponctué par les passages de randonneurs et des traileurs. Unique, l’alpage d’Huez est une illustration de cohabitation des pratiques. Mais derrière les images bucoliques, c’est toute une organisation qui a été mise en place entre partenaires.
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« Nous sommes très contents »
L’association foncière pastorale (AFP) d’Huez d’abord, qui permet de mettre à disposition 2024 parcelles appartenant à 220 propriétaires soit 1 500 hectares. « Ces propriétaires nous permettent d’exploiter le domaine à travers une convention de mise à disposition », souligne Jean-Yves Noyrey, maire d’Huez. « La municipalité indemnise 200 euros par hectare par an » et provisionne aussi 100 000 euros pour l’achat de terrains potentiels afin d’éviter le morcellement. Que les terrains soient communaux ou privés, seule l’AFP peut autoriser les travaux (piste de VTT, parapente…) à travers le vote d’une délibération en assemblée. Au-delà, « nous sommes très contents de cet entretien parce que si on devait tous faucher… » témoigne Valérie Orcel, la présidente.
À leur place, 280 ovins s’en chargent. Le groupement pastoral réunit quant à lui 13 éleveurs essentiellement du Nord-Isère. Leurs bêtes arrivées le 31 mai en Oisans ne redescendront pas avant le 19 septembre.
Des conditions optimales pour les bergers…
Kevin Quattrochi, le berger, prend soin d’elles. Originaire de Conca en Corse, Kevin avait projeté de s’installer sur son île, en chèvres, « mais le climat est trop sec ». La chaleur perturbant les animaux et le mode d’élevage. Surtout, « ma passion première, ce sont les vaches », dit-il. Cette parenthèse au sommet lui convient parfaitement car « c’est une année de transition pour moi. Je m’apprête à rependre une exploitation à Autrans en bovins lait ». Il ne regrette pas cet intermède : « C’est un logement 5 étoiles dans un alpage 5 étoiles. »
L’ancienne gare d’arrivée du bobsleigh aux JO de 1968, entièrement rénovée par la municipalité l’an dernier, est un agréable pied à terre qui permet de l’héberger avec sa femme et ses deux filles, « d’allier famille et passion ».
Il veille sur les bêtes, essentiellement des génisses, et organise les parcs. « Les randonneurs et piétons sont hyper respectueux et prennent des photos », constate Kévin. Mais il y a toujours quelques brebis galeuses notamment des vététistes qui « se mangent des fils ». Dangereux pour eux et pour les animaux qui se retrouvent dehors…
Et les bêtes
Si la période est chaude, l’alpage a les ressources nécessaires en eau. « La réserve naturelle du lac blanc représente 2 millions de m3 et bouge peu », explique Denis Delage, vice-président de l’AFP. 800 000 m3 sont ainsi prélevés dont 600 000 pour l’eau potable et 200 000 pour la neige de culture. Et c’est le surplus du lac et le canal des Sarrasins qui alimentent « tous les pâturages dans lesquels il y a beaucoup de ruisseaux », ajoute Kévin.
En Oisans, « toutes les communes ont des alpages » dont une partie située dans le cœur du parc des Écrins rappelle Jean-Rémy Ougier, vice-président en charge de l’agriculture de la communauté de communes. « Onze communes sur 19 ont des AFP. » Au total, l’Isère compte 37 associations foncières et 85 groupements pastoraux. Comme le résume Bruno Caraguel, « le département est structuré autour du collectif : un fonctionnement modèle », voire un modèle de fonctionnement.
Le rendez-vous de la Fédération des alpages de l’Isère (FAI) a été l’occasion d’aborder différentes problématiques et notamment le logement des bergers. Un sujet qui avait fait du bruit l’an dernier avec la chanson Niche à chien de Pastor X and the Black PatouX. Ce collectif de bergers et bergères dénonçait les conditions de vie dans les cabanes déployées par les parcs dans les alpages pour répondre à la prédation.
Cette année, la FAI a justement dressé un inventaire des logements pastoraux (109 principaux, 40 secondaires, 36 abris). « Sur 185 chalets d’alpage, 80 à 100 sont tout à fait corrects, a précisé Bruno Caraguel, directeur de la FAI. 17 sont insalubres et non utilisés. » Si des aides sont attribuées par la Région et le Département, « les communes doivent apporter le reste à financer, or, elles n’ont pas toutes les mêmes ressources ». D’autres freins liés au code de l’urbanisme peuvent aussi se présenter. Dans tous les cas, « le logement, c’est une stratégie pour l’attractivité du métier ».
« Il n’y a pas de système de protection des bovins qui a fait ses preuves et qui est financé »
Le dossier de la prédation est loin d’être classé et touche désormais les bovins, 60 attaques ayant été recensées depuis le début de saison. Comme l’a expliqué une responsable de la Direction départementale des territoires, « il n’y a pas de système de protection des bovins qui a fait ses preuves et qui est financé. Le bovin est une espèce vulnérable ». Une expérimentation d’introduction de chien aux troupeaux est actuellement menée dans d’autres départements. « On va encore tordre le métier, a estimé Denis Rebreyend, président et éleveur bovin. On commence à nous faire entendre qu’on ne pourra plus continuer à travailler comme on sait le faire. C’est un choix de société. »
Imposée dans le cadre des mesures de protection, la présence des patous s’est accrue. On en dénombre 8 000 dans les Alpes, entre 600 et 800 en Isère. Mobilisée sur la médiation et la prévention, la FAI a mis en place “Mon expérience avec les chiens de protection” (que les personnes victimes d’agression peuvent remplir en ligne) afin d’avoir une analyse fine des interactions et trouver des solutions.
Pour finir, il a encore été question de la FCO8 ou fièvre catarrhale dont le premier cas a été enregistré en Isère ce jeudi. Une maladie touchant bovins et ovins qui peut les décimer en deux jours.
• Repères
Les bergers d’appui
Partenaire de la FAI, le Département vient en soutien de l’agriculture avec un budget de 10 millions d’euros par an. Il est également à l’initiative de la mise en place du berger d’appui. Ce poste expérimenté l’an dernier pour venir remplacer un berger malade ou absent est reconduit cette saison à travers deux postes financés.
Une expérimentation sur les bovins
La Matheysine est le secteur le plus touché par la prédation bovine par le loup. La Communauté de communes de la Matheysine soutient des éleveurs à travers une expérimentation. Des bovins situés sur l’alpage du Sénépy, de Cholonge et de Valbonnais sont équipés de balises GPS doublées d’une application smartphone afin de repérer des mouvements anormaux.
Découvrir Pasto Kézako
Derrière Pasto Kézako s’exprime un collectif, le Réseau pastoral Auvergne-Rhône-Alpes, qui travaille en réseau à l’échelle régionale afin de sensibiliser d’une seule voix sur le pastoralisme et le partage de la nature.
La FAI
Pour tout savoir sur les missions de la Fédération des alpages de l’Isère (FAI), les alpages ou encore comprendre le rôle des chiens de protection, un site : www.alpages38.org
Article issu du Dauphiné Libéré