La banque, les grands vins, le savoir-vivre et l’idée de la station de ski… Sacré héritage que celui de la dynastie Rothschild. C’est devenu tarte à la crème de l’écrire mais Megève fut le laboratoire français des sports d’hiver pour la baronne Noémie, lasse de croiser les Allemands dans les palaces de Saint-Moritz. Sur les pentes du mont d’Arbois naquirent le premier téléphérique skieur, le fuseau, la technique du champion Émile Allais… Et l’idée totalement novatrice d’un chalet de villégiature. C’est à la fin de l’année 1925 qu’entrait en piste un des grands oubliés des pionniers de l’or blanc.
Esprit montagnard et confort de la vie parisienne
Nantais d’origine, sorti des Beaux-Arts, inspiré du grand designer Jacques-Émile Ruhlmann et de Le Corbusier, l’élève architecte Henry Jacques Le Même débarquait dans les Alpes pour soigner une santé fragile. La providence mit sur sa trace la baronne, soucieuse de créer en ces lieux où les locaux avaient une sainte horreur de l’hiver un hébergement associant esprit montagnard et confort de la vie parisienne. Jusqu’à 1980, et une commande de Marcel Dassault, Le Même construira 250 chalets, tous uniques, répondant aux canons de ce qui deviendra l’archétype de l’habitat haut de gamme aux sports d’hiver. En un siècle, l’esprit s’est décliné partout, non sans dévoiement dans une profusion de bois.
Car, à l’origine, le chalet s’inspire des fermes de montagne. Sur commande de gens du Tout-Paris, Angèle de Bourbon et consorts, le génie de La Même sera d’adapter l’habitat agropastoral aux nécessités d’un séjour au ski. « Il conserve les éléments saillants comme la volumétrie et l’inclinaison des pentes de toits à 22 degrés. Ainsi il s’approprie la silhouette de l’architecture vernaculaire mais réinvente totalement l’intérieur en proposant un mode d’habiter moderne », écrivent les architectes expertes Françoise Véry et Mélanie Manin.
« Le Même s’est inspiré de tout ce qu’il y avait dans l’arc alpin »
Telle la panoplie pour se parer face aux frimas de l’hiver, son chalet est construit selon un triptyque ou trois couches : le soubassement en pierre, préférence au granit de Combloux, ajustant la construction dans la pente, pour accueillir le personnel, le ski room et la cuisine ; puis le bel étage en enduit, avec le living-room, la salle à manger, quand le troisième niveau, avec les chambres, est revêtu de boiseries.
« Le Même s’est inspiré de tout ce qu’il y avait dans l’arc alpin, allant chercher des références en Autriche, en Suisse, dans le Queyras. Il réalisait le chantier de A à Z, y compris la décoration intérieure », témoigne Jean-Luc Freundorfer, son dernier ébéniste. Ce “Champollion” de Le Même décrypte le moindre détail : tel ce motif en dents de loups sur les rampes d’escalier, les volets ou les rambardes. Et ces mosaïques de carrelage, « tapis de grès cérame » en trompe-l’œil, permettant de pénétrer avec ses chaussures pleines de neige, quand la moquette eût été salissante. Le chalet d’origine est art déco en diable.
Quant à la chambre du skieur, elle est dotée de plafonds en lamelles de bois et de lits superposés… L’icône était née. « Le Même cherchait à produire une image identifiable de la nouvelle architecture du territoire nord alpin, auprès d’un public international », dixit ses biographes. S’il a commis aussi à Chamonix, les Avanchers (Savoie) ou l’Alpe d’Huez, Megève restera son fief.
« Une cinquantaine de chalets sont encore intacts »
Selon l’association des Amis Henry Jacques Le Même, « une cinquantaine de chalets sont encore intacts ». Son président, Antoine Pioger, est « né dans un “Le Même”… » S’il a créé l’association en 2020, c’est pour promouvoir ce patrimoine en péril, menacé de démolition ou de transformation bling-bling « en faux chalets savoyards, où la seule chose qui change c’est la taille de la piscine ou du garage ».
Il est là, le vrai luxe : ne pas avoir le même que le voisin. Car tous ces chalets, numérotés, sont chargés d’histoire, ils ont traversé la guerre, chacun a sa couleur de volets. En devenant propriétaire du Loustalet, édifié en 1933, Benoît Giraud, chirurgien à Lyon, n’a pas eu instantanément le coup de foudre. « J’ai d’abord vu la chaudière orange en bas au milieu, les volets verts. Je m’étais fait une idée du chalet contemporain. Et puis je me suis rendu compte du potentiel, de l’originalité, loin du cliché imitation bois ancien. La maison a une âme. Agréable à vivre, on mesure le talent de l’architecte. »
Visionnaire, Le Même : son chalet était déjà moderne il y a cent ans. Rien n’était laissé au hasard : point de vue, souci du détail, emprise au sol limitée. La multiplication de fenêtres ou baies en façade ouest baigne l’intérieur de lumière, comme des tableaux où le paysage s’invite dans le living. Consciente du patrimoine, la commune a rendu son Plan local d’urbanisme plus restrictif concernant les travaux extérieurs.
Pour admirer le style Le Même, difficile de s’inviter chez un particulier. On peut jeter un œil à l’hôtel Au Coin du feu, où le patron Nicolas Grivet est un passionné qui a rénové son dernier étage dans le même esprit. Au rez-de-chaussée, bar, buffet, chaises triangles et tabourets estampillés Le Même, sont le fruit d’inlassables chines, aux airs de chasse au trésor. Aux fermes de Marie, 5 étoiles du cru, on peut même dormir dans un chalet d’origine reconstitué.
Avant-guerre, Le Même fut candidat au projet de développement de Méribel dans les Allues, montra son chalet à l’exposition universelle de 1937 et construisit des sanatoriums au Plateau d’Assy. Puis, son apport à la montagne passa au second plan, architecte de la reconstruction en Savoie, à qui l’on doit le lycée Jean-Moulin d’Albertville ou les cités d’Ugine. Laissant à d’autres standardiser son concept novateur.
Article issu du Dauphiné