Premières femmes au sommet du Cerro Torre : l’exploit de trois Françaises

Elles portent un nom connu du milieu. Fanny, la Haut-Savoyarde de la compagnie de Chamonix, est la fille du regretté Emmanuel Schmutz, grand professeur de l’Ensa, l’école des guides, où son mari, Damien Tomasi officie désormais. Sa camarade de promotion 2016, aux airs de girl power (Six filles pour 47 mecs quand même…), la Drômoise Lise Billon, transcende aussi un sacré héritage familial, entre son père et son frère. Elles n’avaient pas attendu cet été austral 2024, pour se faire un prénom, Lise étant à ce jour l’une des deux seules femmes à avoir décroché le piolet d’or, l’oscar international de l’alpinisme. Avec le Cerro Torre, à la frontière entre Argentine et Chili, elle avait une histoire à solder, deux échecs à gommer. Cette vagabonde des verticales, spécialiste de l’exploration, qui a fait de la Patagonie son pays de Cocagne, savait la cime aussi lisse qu’un mât.

« Cette montagne majestueuse pouvait devenir l’enfer »

Pour venir à bout de cette flèche de granit de 1000 m, surmontée d’un étrange champignon de neige, sans cesse exposée aux tempêtes océaniques, elles ne furent pas trop de trois. Leur camarade basée dans le Queyras (Hautes-Alpes), Maud Vanpoulle, sociologue et spécialiste des facteurs d’accidentologie en montagne, est venue apporter un supplément d’âme.

Lise promettait à ses copines que « cette montagne majestueuse pouvait devenir l’enfer ». Et au final après 40 jours d’attente et trois d’ascension, elle parlera d’enfer modéré. Doux oxymore… « Prise individuellement, on n’est pas du genre à avoir une énorme confiance en nous. Mais les trois réunies, nous avons eu la force de se balancer dans cette ascension qui faisait peur », analyse a posteriori Lise Billon.

Photo Fanny Schmutz
Photo Fanny Schmutz

Un itinéraire historique nommé la “voie du compresseur”

Ce n’est pas par sa hauteur, 3128 m, que le Cerro Torre tient sa réputation de montagne la plus difficile à gravir. Mais de sa raideur finale et son environnement qui ont tramé sa riche histoire. Témoin, sa conquête prétendue entre 1959 et 1970 par l’Italien Cesare Maestri, au prix de 400 pitons plantés dans la roche, est restée controversée. L’iconique pic a inspiré au réalisateur allemand Werner Herzog un mémorable film, Cerro Torre, Le cri de la roche.

C’est justement pour cette arête sud-est et le célèbre itinéraire historique, anciennement nommé “voie du compresseur” avant son dépitonnage en 2012 que le trio était parti début janvier. Avant elles une dizaine d’expéditions à peine avaient gravi cette voie du Filo suresto. Aucune femme.

Photo Fanny Schmutz
Photo Fanny Schmutz

Une nuit horrible « à dormir sur la tranche, les pieds dans le vide »

Débarquées le 13 janvier, à El Chaltén, le Chamonix de Patagonie, à guetter les humeurs de la paroi, elles auront attendu 40 jours le bon créneau. « Et là, bam le ciel s’est dégagé, la montagne est apparue. Inespéré », raconte Lise.

Le 22 février, les filles se sont élancées sous les averses, s’infiltrant dans la courte et rare fenêtre qui se profile, le Dieu éole calmant ses ventilateurs. Mais à mesure qu‘elles approchaient de la montagne elles découvraient ses versants plâtrés de neige. Autant grimper sur une patinoire en chaussettes ! Sans trop y croire elles ont progressé dans cette géographie où les noms et les obstacles ont un petit air de pays d’Alice aux merveilles. Pour atteindre le bien nommé col de la Patience à remonter le glacier tourmenté du Torre il leur faudra 11 heures, le double du tarif habituel.

Taillant dans le vent un premier bivouac inconfortable, elles s’élancent le lendemain tout aussi remplies d’incertitudes, le sac lourd de 15 kilos. « On se disait qu’on n’irait jamais au sommet, il fallait vider les fissures pleines de neige ».

Dans ce labyrinthe de rocher et de neige, elles posent un deuxième bivouac pour une nuit horrible. « À dormir sur la tranche, les pieds dans le vide ».

Photo Fanny Schmutz
Photo Fanny Schmutz

Le Cerro Torre, « un monde de givre »

Le plus dur les attend au pied du fameux Head Wall. Ce 25 février, troisième jour d’ascension sera décisif. « On rentre dans le monde du Cerro Torre. Un monde de givre », explique Fanny Schmutz. Elle et ses copines restent incrédules. Pour adhérer à cette paroi, où la possibilité de poser des protections est rare, « sur des écailles qui font peur » il fallait que la montagne s’assèche sous leurs pas, un peu comme la mer Rouge s’ouvrait devant Moïse.

Pour atteindre ce fameux mur final, vertical en diable, elles réaliseront la longueur de glace de leur vie, progressant dans un tunnel vertical de 60 m, une cheminée vers le ciel qui dessert ces quatre dernières longueurs baignées de vide, 150 mètres de défi. « On voit le sommet. On y est presque ! », poursuit Fanny qui enfilera les chaussons avec la « méga-pression » pour entamer en tête ce final dans un rocher douteux traversé d’une cascade d’eau. La voie est encore humide, mais ce serait trop bête de ne pas essayer. « Pour voir ».

Lise renchérit : « L’engagement était maximal, tout comme la pression même si je me projetais dans cette voie depuis des années. Les mouvements d’escalade étaient complètement dingues à cette altitude-là ».

Photo Fanny Schmutz
Photo Fanny Schmutz

La Drômoise prenait le relais pour finir dans le 7e degré (sur une échelle de difficulté allant à 9) et sortir la 28e et dernière longueur du colosse de Patagonie. Ses larmes se mêlent alors à celles de ses copines, les 80 mètres de champignon de neige sommital sont avalés comme dans un rêve.

Entre célébration du collectif et synergie de la cordée, Lise a vaincu le signe indien : « Nous n’y serions jamais arrivées les unes sans les autres. On se demandait si nous n’étions pas à la limite de la présomption ou de l’engagement ultime. » Fanny retient une immense dose d’adrénaline : « Un shot de bonheur pur ». Depuis, les trois filles sont revenues en France. Mais toujours pas sur Terre.

Article issu du Dauphiné Libéré

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